Telle est la question centrale du colloque du même nom qui a réuni 44 chercheurs du 27 au 29 avril 2006 à Paris sur les sites de l’Inathèque de France et de l’Agro-Tech.
Chevilles ouvrières de cette manifestation, Christian Delporte (professeur d’université et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines, UVSQY), Laurent Gervereau (président de l’Institut des images) et Denis Maréchal (INA) ont brillamment posé en ouverture du colloque les révolutions qui affectaient depuis 30 ans sinon plus la place de l’image en Histoire.

1) L’image dans les recherches en Histoire: une place qui va croissant depuis 30 ans

Dressant un état des lieux de la recherche dans le domaine et dessinant des perspectives, Christian Delporte revient sur trois moments fondateurs porteurs de perspectives positives.

  • Mai 1986 : la rencontre à Paris-Censier « Historiens et images » marque un premier pas. Image et Histoire. Actes du colloque Paris-Censier, mai 1986, Editions Publisud, 1987, 319p

Elle est la première manifestation d’envergure du genre après des tentatives esseulées antérieures comme l’article pionnier de Robert Mandrou sur les relations entre cinéma et histoire dans un numéro des Annales ESC de janvier-mars 1958 ou l’article « Images » signé Marc Ferro dans La Nouvelle Histoire en 1978.
Toutefois, les contributions de cette rencontre ne posaient ni questionnements sur l’objet, ni approches méthodologiques, ne proposaient que de rares supports et des études pointues tout en évinçant l’histoire contemporaine, quasi-absente, comme la validité des liens existants entre Histoire et Histoire de l’art.
Rares sont alors encore les recherches historiques qui placent au coeur de leur démonstration l’image.

  • Mars 1996 : Histoire, Images, Imaginaires du 15ème au 20ème siècle au Mans. Annie Duprat et Michèle Ménard ss dir, Histoire, Images, Imaginaires. Fin XVème-début XXème siècle, Le Mans, Presses de l’Université du Maine, 1998, 509 p

Un moment de progrès : la question des sources et des démarches méthodologiques ponctuent les débats … mais les contemporainistes ne sont que cinq sur 38 intervenants … Toutefois, le petit cercle composé de Laurent Gervereau, Philippe Buton et Christian Delporte se lance à l’assaut des questions méthodologiques en particulier sur l’image fixe et ouvrent d’immenses perspectives de recherches.

  • Avril 2006 : Quelle est la place des images en histoire ?On attend avec impatience les actes du colloque qui devaient paraître à l’automne 2006

le phénomène est totalement inversé: le monde des images fascine … mais de façon souvent désordonnée et peu structurée par l’université.
L’heure est cependant encore au déficit méthodologique, à l’identification des lieux de ressources … et de brillants chercheurs (et trouveurs !) en audiovisuel sont contraints dans les universités de postuler sur d’autres chaires et d’aborder d’autres thèmes que le leur … en Histoire.

2) Trois révolutions des images pour ouvrir aujourd’hui sur une histoire du visuel.


Laurent Gervereau
rappelle que depuis des décennies l’image a pu pesé sur l’opinion publique et distingue trois révolutions depuis 150 ans.

  • Une révolution quantitative.

Six étapes depuis la préhistoire rendent caduque une conception nationale des images pour s’ouvrir vers une image globale:

    • La Renaissance en marque le premier moment
    • le 19ème siècle est le temps de la multiplication industrielle des images, dominé
      par l’ère du papier à partir de 1850

    • la première guerre mondiale marque le moment du basculement du cinéma de la France vers les Etats-Unis
    • Les années 1920 voient quant à elles le cinéma se répandre sur la planète et les images papier se « cinématographier », par la pratique du montage en particulier
    • Les années 1950 sont le temps du spectacle qui, via la télévision, s’impose à domicile
    • Les années 2000 voient l’internet absorber toutes les formes d’expression : l’individu est en contact direct avec des images de toutes les époques.
  • Une révolution quantitative.

Si hier les images étaient en quelque sorte une esthétisation du fonctionnel (le silex, la cathédrale…) la Renaissance, par l’invention de l’image sans but fonctionnel, a créé l’art occidental. Aujourd’hui, le cloisonnement traditionnel en matière d’analyse d’image n’a plus de sens affirme Laurent Gervereau : on est passé de l’extension de la notion d’art à celle de décor. L’art englobe tout les champs de la production esthétique.
Dès lors, le paysage iconographique s’étant métamorphosé, les historiens d’art, à l’instar de Laurence Bertrand Dorléac, ont élargi leurs recherches, les historiens aussi ont compris le tournant, les fonds d’archives s’ouvrent, de nouveaux chercheurs se lance à l’assaut de la photographie…
La vigilance n’en est pas moins de mise : l’art est « englouti dans un tout visuel en expansion », l’ère de la compilation devient celle de la dilution dans un « magma mondial général ».

  • Une révolution des récepteurs

L’exemple de l’image de Saddam Hussein montre que « la guerre mondiale médiatique englobe tout ». Chacun d’entre nous a des avis tranchés sur le personnage, chacun a l’impression de le connaître : « le savoir-faire est dépassé par le faire-savoir ».
Aujourd’hui l’agora en direct, la circulation mondiale, l’impossibilité de vérification de l’information, le fait que le récepteur devient l’émetteur montrent que ce n’est plus l’enquête qui prime, mais l’événement, non plus la diversité des points de vue qui nous est donnée à voir, mais des points de vue tout simplement.
Les cultures s’hybrident et s’interpénètrent dans une relativisme généralisé qui nie les différences et le libre-arbitre : tout se vaut, « tous géniaux/tous pourris » !

Or, plaide le coordinateur de l’imposant et incontournable Dictionnaire mondial des images ss dir Laurent Gervereau, Editions Nouveau-Monde, novembre 2006, 1 119 pages, réunissant 265 auteurs pour 387 entrées. tout est divers et face à ce bombardement d’images (la Joconde, image unique, a donné lieu à des milliers d’images secondes), il faut des critères, il faut des repères. Pour un enfant, Jacques Chirac ou un pharaon égyptien vus tous deux à la télévision, sur le même support, relèvent du même regard. Il faut apprendre aux élèves, martèle l’intervenant, les aider du moins au décryptage et à la création afin qu’ils en comprennent les fonctionnements. Ouvrir sur une histoire du visuel.

3) Pour ouvrir au monde des images : trois mutations au sein de l’INA

Jean-Michel Rodes, directeur de l’Inathèque de France, intervient pour faire le bilan provisoire des trois mutations qui ont récemment affecté l’INA dans son ouverture et son rapport à l’extérieur :

  • dans le domaine de la collecte.
    300 000 heures par an sont actuellement conservées, qu’il s’agisse de sons ou d’audiovisuel. Une impressionnante quantité qui permet de couvrir tout le spectre de l’audiovisuel… même si se pose l’inévitable question de la sélection : que conserver parmi 50 chaînes de télévision, 17 de radio ? Du reste, l’historien n’est jamais en face de toutes les archives : il tente de constituer des corpus cohérents…
  • dans le domaine de l’accès, en particulier par internet.
    Le jour de l’ouverture du colloque correspondait au jour de la mise en ligne de 100 000 heures d’extraits audiovisuels plutôt destinées au grand public. Multipliant ainsi l’accès, qu’il soit savant, professionnel, éducatif. Chaque année, des millions d’heures sont visionnées par des étudiants et des chercheurs…
  • dans le domaine des usages.
    Un domaine partagé et qui pose problème, comme en témoigne la pétition de la Société Pour l’Histoire des Medias (SPHM) A l’occasion de la discussion du projet de loi sur « la transposition dans le droit français de la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information », la SPHM a décidé de lancer une pétition pour le droit à l’utilisation pédagogique et le droit de citation à des fins scientifiques des images et des sons (http://www.histoiredesmedias.com/petitiondroitdauteur.htm).

Enfin, Marc Ferro, saluant cette « révolution copernicienne » à l’INA, a terminé par quelques remarques courtes et lumineuses, soulignant que chaque novation technologique avait eu, sur l’histoire en train de se faire, des effets non négligeables :
– l’imprimerie, corrélée à la diffusion du protestantisme et à la division de l’Europe
– le transistor, dont l’impact a permis aux peuples pauvres, sans électricité, à accéder à la connaissance
– la cassette vidéo, utilisée par l’islamisme pour développer ses thèses et sa façon de voir, à l’instar d’un Khomeiny ou d’un Ben Laden.