Comment le film de Cédric Kaplisch Les poupées russes évoque-t-il, cinq ans après l’Auberge espagnole Voir les articles 122 et 147 sur Cinéhig , la question de l’identité européenne ?
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Les documents
Document 1 : Le sujet du film, site Allocine
Xavier a 30 ans. Il a réalisé son rêve d’enfance, il est devenu écrivain, mais il semble quand même un peu perdu. Il a quelques problèmes avec sa banquière. Il a également des réticences à se fixer avec une fille et enchaîne les aventures amoureuses avec inconséquence. Xavier est contraint de continuer son travail à Londres, puis à Saint-Pétersbourg. Ces nouveaux voyages lui permettront peut-être de réconcilier le travail, l’amour et l’écriture. Cédric Klapisch raconte que la trame du scénario lui est apparue à Saint-Petersbourg alors qu’il était en promotion pour L’Auberge espagnole. » C’était la troisième fois que j’y allais et je suis vraiment tombé amoureux de cette ville. Avec Bruno Levy, on s’est dit que s’il devait y avoir une suite, ce serait bien qu’elle se passe ici. Et puis parallélement on est tombé sur un événement qui a beaucoup marqué le film. On a vu les coulisses d’un mariage dans un restaurant où le marié était complétement bourré dans les toilettes pendant que sa femme en robe de marié l’attendait devant la porte. Avec Bruno, on s’est dit que ça pouvait être drôle que le mariage de William [le personnages anglais du film] se mariait en Russie. Et tout s’est enchaîné… ». Le film est sorti en France le 15 juin 2005.
Document 2 : Extraitd de l’analyse du film par un géographe, Frédéric Bouvier, article paru dans la revue électronique Cafés géographiques, juillet 2005
Cinq ans après L’auberge espagnole, Xavier, l’étudiant en économie devenu écrivain commence : « Je remets le voyage en route ». (…) L’expérience qu’il fait de l’Europe est de nouveau le reflet de ses propres errements et de ceux de ses pairs, de Paris ou d’ailleurs en Europe, tous plus ou moins égaux. Mais l’Europe d’il y a cinq ans, née de Maastricht, semble meurtrie par les épreuves de la vie en commun, de l’élargissement à l’Est et de la mondialisation, et les compères d’alors vivent tous éloignés, éclatés, incertains de l’avenir, et sourds les uns aux autres. (…) Un mois après la fin d’un débat référendaire douloureux, Cédric Klapisch a au moins le mérite d’être toujours dans l’air du temps. (…) Au final, la (suite) de L’auberge espagnole se révèle aussi décevante que celles de la construction européenne. On fait le constat amer que celle-ci n’est plus le conte de fées où princesses et chevaliers se réunissent autour de la table ronde d’un château en Espagne. On avait pu trouver Klapisch trop enthousiaste ; lui reprochera-t-on d’être maintenant pessimiste ? Voilà un film – et une Europe ? – qui plaira aux Américains, avec sa dose d’Audrey Tautou, d’architectures classiques, de bateaux-mouches, d’accent français et de dialogues de sourds entre indigènes typiques. Quant aux Européens, ils sont dépités. A Saint-Pétersbourg, où se réunissent pour la première fois les anciens résidents de l’appartement barcelonais, la colocataire espagnole, la seule demeurée là où la jeunesse et l’enthousiasme les ont tous laissés, exprime le regret de cette cohabitation perdue et qui doit coûte que coûte revivre transformée. Cette renaissance attendue passe par la Russie que gagne le jeune frère anglais de Wendy et par l’accommodement institutionnel inhérent à la maturité (le mariage, métaphore du traité constitutionnel ?). Engagé, Klapisch ouvre l’Europe de demain sur l’Est, sur le monde postsoviétique, et sur un avenir qu’il vaut mieux, comme l’âge adulte, apprendre à accepter que refuser. Recueillera-t-il seulement la majorité ?
Document 3 : Un extrait du film (13′) : des retrouvailles des membres de « l’Auberge espagnole » à Saint-Pétersbourg pour le mariage du frère de Wendy à la fin du film (Xavier et Wendy s’embrassent à l’arrivée de l’Eurostar).
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QUESTIONS
1. Dans quel contexte particulier, concernant la construction européenne, est sorti en France le film de Cédric Klapisch ? Pour quelles raisons le choix de Saint-Pétersbourg comme lieu de tournage s’est-il imposé ? (docs 1, 2)
2. Retrouvez toutes les allusions dans l’image et la bande-son de l’extrait montrant que contrairement au précédent film de Klapisch sur l’Europe, la construction européenne « n’est plus le conte de fées où princesses et chevaliers se réunissent autour de la table ronde d’un château en Espagne ».
3. Ne peut-on pas toutefois nuancer cette vision pessimiste d’une Europe éclatée, sans identité ? Vous appuyerez votre réflexion sur les documents 2 et 3.
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PISTES DE CORRECTION
1. Le film de Cédric Klapisch, tourné en 2004, est sorti en France le 15 juin 2005, quelques semaines après le rejet du traîté de la constitution européenne par le peuple français consulté par référendum en mai 2005. D’après l’article des Cafés géographiques, le film s’inscrirait ainsi dans l’air du temps, c’est à dire dans une période de défiance par rapport à la construction de l’U.E.
Le choix de Saint-Pétersbourg peut se justifier par :
– une anecdote personnelle qui est arrivée au réalisateur du film (doc 1).
– une volonté délibérée du réalisateur d’ancrer Saint Petersbourg dans « l’orbite européenne » (doc 2). En ce sens, Cédric Klapisch reprendrait l’ambition de Pierre Le Grand qui au début du XVIIIe siècle a voulu faire de St Petersbourg la capitale de la Russie pour ancrer le territoire russe en Europe.
– l’architecture, la parenté de la ville avec les autres villes européennes (bateaux mouches, photographies de mariage devant les monuments emblématiques de la ville…) (doc 2, 3).
2. Les éléments soulignant l’éclatement des peuples européens :
– les scènes de brouille entre les personnages : gifle de Wendy à Xavier au début de l’extrait, altercation entre les parents anglais du marié (« les êtres humains normaux communiquent », lance la mère à son ex-mari).
– des personnages juxtaposés à l’écran qui ne s’adressent pas la parole au début de l’extrait, alors qu’ils viennent de se retrouver (scènes montrant la prise de photographie dans la rue ou au « palais des mariages », félicitations séparées des personnages sur le bateau).
– Alessandro, le jeune italien, qui après les photos, ne trouve plus de place dans une voiture (gag rappelant le cliché de l’Italien décalé, toujours à la traîne)
– Isabelle, la jeune belge, qui refuse dans un premier temps de se mêler à la farandole collective.
– La nostalgie de Soledad « vous me manquez beaucoup à Barcelone ». (doc 2 et 3).
– Les allusions à la diversité linguistique et culturelle : les félicitations de Wendy au marié : « c’est bien que tu en aies choisi une même si elle ne parle pas ta langue » ; les félicitations de Soledad « on est tous de pays différents, on parle des langues différentes et on a des vies différentes. »
3. Les éléments permettant de nuancer cette vision de l’éclatement des peuples européens :
– La fin du discours de félicitations de Soledad « on est tous de pays différents, on parle des langues différentes et on a des vies différentes… mais on est tous ici » appuyée par un plan très symbolique sur tous les membres de l’ancienne auberge espagnole : Wendy entre dans le champ pour rejoindre les autres qui se regardent enfin et sourient.
– La volonté de dépasser les clichés mis en scène dans le film précédent symbolisée par le « pardon » de Tobbias à William : « La première fois que j’ai vu William, je l’ai trouvé con. Comme je suis allemand, il m’a pris pour un nazi. Beaucoup de gens pensent ça. Mais aujourd’hui, l’Allemagne a changé, la Russie aussi a changé. »
– Le mariage entre un Anglais et une Russe, le père du marié qui fait l’effort de prononcer les félicitations en russe… Le mariage serait-il une métaphore du traîté constitutionnel où tous les membres de l’U.E finiraient par se retrouver, voire se réconcilier (doc 2) ?
– La farandole complète des personnages lorsque Isabelle se décide à intégrer le groupe malgré ses réticences initiales.
– La réconciliation et la reprise de l’idylle amoureuse entre Wendy et Xavier qui, d’après la voix off, aurait enfin trouvé « sa poupée russe »
– L’allusion au rôle des transports dans les dernières images du film avec l’arrivée de l’Eurostar dans la gare TGV de Londres qui permet à Xavier de se déplacer de part et d’autre de la Manche, sans s’en apercevoir : « Merde, j’ai pas eu le temps de finir ».