Trop chaud pour travailler. Quelle pourra être notre relation au travail et à la productivité dans un monde toujours plus chaud ?

C’est à cette question essentielle qu’ambitionne de répondre ce reportage de Mikaël François au travers de plusieurs exemples de métiers, essentiellement ceux s’exerçant en extérieur (comme les secteurs du bâtiment, de l’agriculture, de la livraison).

 

Les manifestations sont généralement claires : la déshydratation et l’emballement du cœur poussent le corps à ralentir l’effort mais le cerveau est moins alerte dans ses réactions et ses décisions. C’est là que peuvent survenir les accidents du travail. Parfois, le diagnostic est moins évident à l’image de l’hécatombe ayant frappé la ville de Chichigalpa au Nicaragua : pourquoi tant d’hommes jeunes des régions agricoles de canne à sucre tombaient comme des mouches ? Tout simplement parce que le travail physique continu fait augmenter la température interne du corps, les muscles générant leur propre chaleur. Combinée à la température ambiante et à la course à la rentabilité, cette augmentation thermique menace le système rénal de travailleurs n’ayant pas le droit de faire des pauses pour s’hydrater.

Comment les employeurs s’emparent-ils du problème ? Les solutions peuvent passer par les pauses obligatoires (car on peut tout à fait se sentir bien mais être en hyperthermie) mais surtout par la gestion des horaires. Démarrer plus tôt et cesser l’activité aux heures méridiennes est une piste préconisée par le ministère du travail en France mais rien de contraignant n’y est associé. Pour les chantiers, il est difficile de proposer un travail de nuit en raison des nuisances sonores. Au Qatar, les dirigeants d’entreprise semblent également appliquer ces principes de précaution mais en flirtant nettement plus avec les limites : à 28°, on considère que c’est dangereux de travailler et à 32°, le risque est mortel (et c’est hélas ce seuil limite qui est pris comme référent pour faire stopper l’activité). Quoi qu’il en soit, ces directives d’entreprises trop générales ne tiennent pas compte des besoins des corps de chaque individu.

Des pistes urbanistiques existent également comme la peinture blanche qui permet de baisser les températures des bâtiments, la végétalisation ou encore la ventilation naturelle.  Mais rafraichir par la climatisation est une fausse piste puisque celle-ci demande de l’énergie et donc émet du CO2. Là aussi, il faudrait pouvoir définir son propre confort thermique et surtout éviter que celui des uns se fassent au détriment de celui des autres (des ghettos pourraient se former entre les « cols secs » et les « cols humides », notamment dans les pays où le secteur informel est important). Sur la température intérieure, le reportage s’arrête sur l’industrie textile en Inde à travers l’exemple d’une entreprise ayant remplacé ses ampoules classiques par des LED et qui s’est vu améliorer sa productivité. Malgré tout, les ouvrières restent extrêmement proches les unes des autres, générant ainsi une chaleur ambiante sans compter les objectifs de production qui restent généraux et ne tiennent pas compte de la température du jour.

Le reportage interroge également la dimension éthique qui n’est pas sans résonner avec le calcul économique et les migrations géographiques de grande ampleur. Sur les chantiers du Qatar où nombre de travailleurs décèdent, on attribue des causes « naturelles » même si les personnes concernées sont jeunes et en bonne santé et que ces décès sont corrélés avec les périodes de forte chaleur. Des investigations ultérieures sont promises mais n’ont pas lieu.

Chez les livreurs américains de chez UPS, les décès sont également nombreux. Le rendement doit être de 100 à 200 livraisons par jour sur des journées de plus de 10 h, le tout sous une température pouvant dépasser les 50° à l’arrière du camion et avec la nécessité de rouler les portes ouvertes pour ne pas perdre de temps. Si l’entreprise dit avoir fait des amélioration (climatiseurs, uniformes respirants), elle a également investi dans des caméras embarquées pour faire la chasse aux minutes perdues.

Comme au Nicaragua, le Salvador est également confronté à un très fort taux de dialysés qui n’a pas le profil épidémiologique standard. Quel coût pour le traitement à vie de ces patients ? L’analyse peut être la même au Népal dont le PIB provient pour un quart de l’exportation de main d’œuvre à bon marché qui finalement meurt sur les chantiers qataris ou revient malade sans être pris en charge une fois le pays d’accueil quitté.

Un reportage qui, sans mauvais jeu de mots, fait froid dans le dos en posant un dilemme central pouvant s’étudier en géographie et en EMC : ralentir pour se reposer et assurer sa survie et son activité au prix d’une baisse de productivité à court terme (mais pas forcément à long terme) ou pour prendre des risques extrêmes pour être certain de tenir ses objectifs immédiats ?