Etudier l’URSS de Staline avec Le Tombeau d’Alexandre de Chris Marker en classe de troisième.

Alexandre Ivanovitch Medvedkine est un cinéaste russe né en 1900. Ces entailles que les pères de famille font au chambranle des portes pour mesurer la croissance de leur progéniture, le siècle les a tracées sur sa vie : il avait 17 ans, c’était l’insurrection d’octobre – 20 ans, la guerre civile, et lui dans la cavalerie rouge avec Isaac Babel, – 38 ans, les procès staliniens, et son meilleur film Le Bonheur attaqué pour « boukharinisme » (…).
Pas mal comme fil conducteur pour explorer la tragédie de notre siècle. Son énergie, son courage, ses illusions, ses désillusions, ses compromissions, ses bagarres avec les bureaucrates, ses illuminations prophétiques, ses aveuglements, volontaires ou non, son humour indestructible et la lumière déchirante que l’effondrement de l’URSS jette rétrospectivement sur toute sa vie, ce sont ceux de toute une génération, et c’est le portrait de cette génération que j’ai essayé de tracer à travers le portrait d’un ami.

Chris Marker

Objectifs du travail

Le Tombeau d’Alexandre dresse le portrait d’un cinéaste méconnu soviétique qui peut être pris pour le portrait du cinéaste type. Le travail demandé aux élèves et de dresser la biographie d’Alexandre Medvedkine dont Chris Marker fournit les éléments les plus marquants et de les relier à l’histoire de l’URSS dont les grands axes ont été étudiés en cours et résumés dans un tableau sur le totalitarisme. Dès le début du film, Chris Marker fixe le cadre chronologique : le nouveau siècle, la révolution d’octobre, les purges et 1989, chute du mur de Berlin et mort d’Alexandre Medvedkine.

Ce travail sur le film a été entrepris dans un triple but :
– En premier lieu, il s’agissait d’initier les élèves à la prise de note et de trier les informations surabondantes que nous livre le film. Au niveau de la séquence sur le stalinisme, Le Tombeau d’Alexandre est une mine d’or concernant les documents sur l’URSS. On y trouve les principales images de propagande, comme la reconstitution de la révolution d’octobre, décortiquées, analysées et renvoyées pour ce qu’elles sont, des images et non comme la réalité.
– Second but alors, la force de ce film est d’exposer clairement le rôle des images et de la propagande en URSS et de bien montrer aux élèves que derrière toute image se trouve un opérateur.
– Enfin, demander aux élèves de dresser le portrait de Medvedkine et de sa génération permet de nuancer une vision souvent manichéenne de l’histoire qu’à force de simplifications (trois heures pour aborder une question aussi délicate relève de la gageure) nous portons dans notre enseignement.

Ce travail a été effectué avec une classe de troisième en Z.E.P. La même approche est possible avec une classe de première, celle-ci devra naturellement être moins « encadrée » dans la prise de note et le tri des informations.

Fiche élève

Je n’ai pas de recette miracle et de fiche toute prête à donner aux élèves. Le travail de la classe s’est plus déroulé en fonction des réactions au film, en entrant dans le jeu de Chris Marker qui se permet d’arrêter, de recadrer les images et de souligner tel ou tel aspect, autant par le discours que directement dans l’image. Il est d’ailleurs important de souligner que dès son premier moyen métrage Lettre de Sibérie en 1958, Chris Marker a « inventé » le montage horizontal où l’image renvoie à ce qui en est dit, pour reprendre André Bazin (un travail sur l’objectivité des images doit d’ailleurs – et sera fait – sur une séquence de ce film en éducation civique sur les médias). La structure du film en deux parties – Le royaume des ombres et Les ombres du royaumes -, elles-mêmes divisées en lettres, permet d’arrêter assez facilement la projection du film et de faire le point avec les élèves, de trier les informations avec les élèves et de commencer à classer ses informations. Pour cela, je crois que le plus simple est de leur donner le sujet est d’en expliquer les termes ainsi que de leur proposer un tableau pour les aider à la prise de note.

Le tombeau d’Alexandre, un film de Chris Marker (1993)

Alexandre Ivanovitch Medvedkine est un cinéaste russe né en 1900. Ces entailles que les pères de famille font au chambranle des portes pour mesurer la croissance de leur progéniture, le siècle les a tracées sur sa vie : il avait 17 ans, c’était l’insurrection d’octobre – 20 ans, la guerre civile, et lui dans la cavalerie rouge avec Isaac Babel, – 38 ans, les procès staliniens, et son meilleur film Le Bonheur attaqué pour « boukharinisme » (…).
Pas mal comme fil conducteur pour explorer la tragédie de notre siècle. Son énergie, son courage, ses illusions, ses désillusions, ses compromissions, ses bagarres avec les bureaucrates, ses illuminations prophétiques, ses aveuglements, volontaires ou non, son humour indestructible et la lumière déchirante que l’effondrement de l’URSS jette rétrospectivement sur toute sa vie, ce sont ceux de toute une génération, et c’est le portrait de cette génération que j’ai essayé de tracer à travers le portrait d’un ami.

Chris Marker

A l’aide de tes connaissances et des informations que donne ce film, explique dans un paragraphe pourquoi la vie d’Alexandre Medvedkine permet de comprendre ce qu’était l’URSS de 1917 à 1939.

Pour relever les informations sur Alexandre Medvedkine et sur l’histoire que nous livre le cinéaste Chris Marker, il est inutile de tout noter. Mais, il faut savoir les grands axes du cours (la révolution, la guerre civile, la collectivisation, la terreur de masse, le culte de la personnalité) et relier la vie d’Alexandre Medvedkine et des autres témoins qui parlent dans le film à ces axes qui permettent de comprendre l’histoire de l’URSS.

|Vie d’Alexandre Medvedkine|Autres artistes|Un seul chef |Un parti unique|Economie dirigée|
|1900 – 1989|Isaac Babel ; Meyerhold ; Eisenstein ; Vertov| -|-|-|

Avant de travailler sur le film, il est nécessaire de faire noter aux élèves les principes et moyens d’application du système staliniste.
Ensuite, la méthode adoptée suit le déroulement du film dont vous trouverez à la suite un découpage et quelques informations à faire relever par les élèves, lors de la mise en commun des notes prises par ceux-ci, si toutefois elles n’apparaissaient. J’insiste particulièrement sur la nécessité que j’ai eu de bien relier chaque élément à chaque colonne de ce tableau. Cela peut être fastidieux au début et dévorer un temps toujours précieux, mais cela c’est révélé indispensable pour ne pas perdre d’élèves en route et le temps perdu a finalement été très largement récupéré.

Découpage du Tombeau d’Alexandre

Première partie : Le royaume des ombres

Première lettre :
– faire noter les éléments biographiques de Medvedkine : sa naissance, la guerre civile, ses origines ;
– le sort tragique du Bonheur ;
– Isaac Babel ;
– Medvedkine dans l’Armée rouge ;
– noter le contexte de la guerre civile (lettre de Lénine à Molotov, 19 mars 1922) ;
– mettre en relief les trajectoires de Babel et Medvedkine.

Deuxième lettre :
– bilan de la guerre civile ;
– éléments biographiques de Medvedkine : la propagande dans l’Armée rouge ;
– l’art soviétique au service de la révolution : Eisenstein, Dziga Vertov ;
– le cinéma idéologique et l’image-mensonge : la prise du Palais d’Hiver, Roman Karmen…

Troisième lettre :
– éléments biographiques de Medvedkine : le Ciné-train ;
– faire noter le rôle propagandiste du train : montrer ce que doit être la collectivisation et la phrase du commentaire « Ce qui annonçait un temps où tout le monde serait coupable de quelque chose. » ;
– faire noter le constat glaçant de la misère des kolkhozes, le koulak comme bouc émissaire ;
– Comment vas-tu camarade mineur ? : la misère ouvrière (il est intéressant de faire remarquer aux élèves que les images du Ciné-train sont des images de propagande,mais elles n’en gardent pas moins leur nature indicielle) ;
– enfin, sur l’importance du train dans le cinéma de Medvedkine, il faut relever le dernier passage de cette lettre : « Nous ne saurons jamais quelle est la part de conscient ou d’inconscient dans ces images, mais mon propos est d’interroger les images, et avant l’obligatoire fin heureuse, on voit ici ce qu’il y avait dans les yeux du moujik mis en face de l’autorité, et c’était la terreur ».

Seconde partie : Le royaume des ombres

Quatrième lettre :
– éléments biographiques de Medvedkine : La Nouvelle Moscou, Tchudesnitsa ;
– censure de La Nouvelle Moscou ;
– la censure d’Eisenstein, Babel… ;
– l’image protectrice de Staline ;
– Staline, maître de l’industrialisation ;
– courte évocation des purges ;
– le réalisme socialiste des Cosaques de Kouban ;
– La berceuse de Dziga Vertov et le culte de la personnalité ;
– la retouche d’image dans Nom russe : le « commissariat aux archives » ;
– la mise en scène des procès à travers L’Aveu, le procès de Meyerhold, la peur de Medvedkine, l’arrestation de Babel.

Cinquième lettre :
– l’engagement des cinéastes dans la guerre patriotique ;
– la situation en 1991.

Dernière lettre :
– le complot des Blouses blanches en 1953 ;
– la mort de Staline ;
– Medvedkine et le film Jeunesse florissante le 1er Mai 1939 ;
– témoignage de la cinéaste Marina Goldovskaïa sur les grandes messes staliniennes ;
– éléments biographiques de Medvedkine de 1953 à 1989.

A partir de ces éléments relevés dans le film, mes élèves ont eu à construire et rédiger un paragraphe argumenté dont le sujet était : « A l’aide de tes connaissances et des informations que donne ce film, explique dans un paragraphe pourquoi la vie d’Alexandre Medvedkine permet de comprendre ce qu’était l’URSS de 1917 à 1939. »

Je vous livre quelques observations sur les paragraphes rendus.

Sur 19 paragraphes, une grande majorité (14 paragraphes) ont construit un plan en deux parties en traitant, en premier, de la vie de Medvedkine, puis, dans une seconde partie, de l’histoire de l’URSS. Dans ces devoirs, quatre n’ont pas pris d’exemples dans le film pour parler de l’histoire de l’URSS et n’ont fait aucun lien entre les parties, sauf pour conclure qu’Alexandre Medvedkine avait vécu en URSS, participé à la guerre civile et qu’il avait filmé Staline. Les dix devoirs restant ont exploité le film pour parler de l’URSS en parlant, par exemple, des tracteurs dans les kolkhozes, ou du film Jeunesse florissante où la population défile devant Staline. Ces élèves ont fait un lien entre Medvedkine et l’histoire de l’URSS en concluant qu’Alexandre Medvedkine avait fait des films de propagande et que ses amis avaient connu la répression.

Enfin, les cinq élèves restants ont adopté un plan en deux parties autour d’Alexandre Medvedkine. La première partie est la biographie de Medvedkine et l’évocation de ses films. La seconde partie faisait état de la censure, de la répression et de la misère, avec des exemples pris dans le film. Ces cinq paragraphes concluaient sur le fait qu’Alexandre Medvedkine avait fait des films de propagandes et qu’il avait participé au stalinisme, mais qu’il en avait, tout comme ses amis, été victime.

Documents annexes

Qui est Alexandre Medvedkine ?

– Découpage du film (officieux) : lettres 12345 6

– Le texte de présentation du film par Chris Marker au festival de Locarno en 1993 :
http://www.mip.berkeley.edu/cgi-bin/cine_doc_detail.pl/cine_img?6023?6023?1

– Le « mini site » sur Sans soleil de Chris Marker mis en ligne sur le site de l’académie de Nancy-Metz : http://www.ac-nancy-metz.fr/cinemav/marker/