Les Clionautes soutiennent l’initiative de l’association, « les Amis de Georges Izard » natif de la commune d’Abeilhan dans l’Hérault. Le vendredi 15 septembre prochain, la trajectoire personnelle de cet avocat passé de la Résistance au prétoire comme avocat sera l’objet d’un colloque.
Georges Izard est l’un des protagoniste de cette affaire Kravchenko, un cas typique de la guerre de propagande à laquelle se livrent les deux blocs depuis 1947. Ce film relate le procès, de son début au jugement final, qui voit les rédacteurs en chef des Lettres françaises, la revue littéraire du Parti Communiste Feançais, condamnés pour diffamation.

L’AFFAIRE KRAVCHENKO La guerre froide à Paris

Bernard George
Paris, janvier 1949. L’affaire de diffamation qui oppose le dissident soviétique Victor Kravchenko au journal communiste, Les Lettres Françaises, devient le « procès du siècle ». Dans une salle d’audience bondée, ses témoins racontent pour la première fois la famine en Ukraine, les purges et l’enfer des camps soviétiques. Face à lui, soutenu par Moscou, le journal communiste a réuni témoins et intellectuels qui, en ordre de bataille, s’acharnent à nier l’évidence. Par quels mécanismes insidieux peut-on rester aveugle devant la vérité ?

L’affaire Kravchenko n’est pas souvent abordée dans le second degré, comme exemple caractéristique du climat intellectuel de la guerre froide à ses débuts. Elle constitue pourtant une illustration remarquable de cette période.
Victor Kravchenko est un diplomate soviétique, passé à l’ouest en 1944, à l’occasion d’une mission à Washington. Très rapidement, il publie un ouvrage qui le rend célèbre aux États-Unis, mais également en France. Le livre « j’ai choisi la liberté » est un véritable succès de librairie avec 500 000 exemplaires vendus dans le pays.
Cet ouvrage décrit la vie en Union soviétique, pendant la période des purges staliniennes, et s’éloigne énormément des films de propagande et des retours de voyage « éblouis » des communistes français, revenant d’URSS.

L’affaire Kravchenko est un simple « procès en diffamation », intenté par celui que l’on peut considérer comme un des tous premiers dissidents soviétiques au rédacteur Sim Thomas qui avait publié dans les lettres françaises, la revue littéraire du parti communiste, une série d’articles dénonçant « l’imposteur, l’ivrogne, le traître, l’affabulateur », Kravchenko.
Le personnage, au-delà de son récit et de son expérience vécue, au sein de la nomenklatura soviétique, entend bien se servir des prétoires comme d’une tribune pour dénoncer le communisme et l’Union soviétique.
Les entretiens qui viennent, dans le documentaire, nourrir le propos, présente le contexte de cette année 1948, lorsque commence « l’affaire ». Michel Winock évoque cette année de tensions extrêmes, où ont lieu simultanément le coup de Prague et le blocus de Berlin, les grèves des mineurs en France, avec de très violents affrontements dans le Nord-Pas-de-Calais et dans le bassin minier d’Alès. Le procès Kravchenko tient la France en haleine pendant le premier trimestre de l’année 1949.
Tout l’intérêt de ce film est de montrer comment, après la seconde guerre mondiale, dans laquelle l’Union soviétique a joué un rôle déterminant dans la victoire contre le nazisme, des intellectuels français ont été amenés à prendre fait et cause pour le stalinisme.
Certains d’entre eux, comme Pierre Daix qui rompt avec le parti communiste en 1956, où Edgar Morin, explique dans le film comment ils ont pu être amenés à passer par « pertes et profits », les témoignages accablants présentés lors de ce procès en diffamation.
Face à Victor Kravchenko c’est toute la machine de propagande du Kremlin, relayée en France par le parti communiste que dirige alors Maurice Thorez, qui se déploie. Dans ce procès, tous les coups sont permis, faisant comparaître le général Roudenko, l’ancien supérieur du diplomate, et sa première épouse Zinaïda Gorlova que l’on amène de Moscou, tendis que son fils qu’elle a eu avec Kravchenko est retenu en Ukraine. Zinaïda Gorlova présente son ex-mari comme un ivrogne, un époux violent, et au final un traître à sa patrie.
De son côté, Victor Kravchenko cite comme témoins Margarethe Neuman, épouse d’un cadre du parti communiste allemand et du Komintern, arrêté par Staline pendant les purges de 1937, emprisonnée au goulag, et livrée aux Allemands, après la signature du pacte germano soviétique. Margarethe Neuman décrit alors le goulag, et rappelle le cynisme de Staline soutenant Hitler jusqu’à l’opération Barbarossa le 22 juin 1941. Margarethe Neuman, livrée avec d’autres communistes allemands par l’Union soviétique, passe la guerre à Ravensbrück. Elle s’évade avant l’arrivée de l’armée rouge qui libère ce camp.
Son témoignage ébranle les certitudes de l’ancienne journaliste communiste Dominique Desanti ainsi que d’Edgar Morin, mais ces derniers, même s’ils ont du mal à mettre en doute la vérité de ce récit, justifient le point de vue soviétique, au nom de l’intérêt supérieur du prolétariat.
Le personnage de Victor Kravchenko est plutôt bien décrit par l’historien américain Gary Kern, qui parle d’un individu plutôt mégalomane, et qui après sa victoire, lors de son procès, va d’échec en échec, jusqu’à sa mort, (par suicide ?) dans un hôtel de New York, en 1966.


Master Class Bernard George, autour de son film… par La_Scam

Dans ce film le rôle des avocats, et notamment de Georges Izard est assez peu montré. On sait pourtant qu’il était très présent lors du procès, et qu’il n’est de cesse de démonter les arguments des deux responsables des lettres françaises, André Ullmann et André Wurmser.
Paradoxalement, les révélations de ce procès n’ont pas forcément fait bouger les lignes. Le parti communiste français n’est pas ébranlé de l’intérieur par une dissidence, tant les blocs opposés apparaissaient comme inamovibles. Il faut attendre 1956, et l’invasion soviétique de la Hongrie, pour que des fissures apparaissent au sein de ce groupe que les intellectuels communistes représentaient. Sans doute lucides en leur for intérieur, ils étaient sans doute pris au piège par ce « mensonge justifié », par la défense de la cause du prolétariat mondial que l’Union soviétique représentait alors.
Le parti communiste français, jusqu’en 1968, avec l’invasion de la Tchécoslovaquie par les chars de Brejnev, est resté un parti stalinien. Maurice Thorez, Waldeck Rochet, Georges Marchais ont été les fidèles relais du point de vue de l’Union soviétique en France. Mais au fur et à mesure, le parti se vidait de ces intellectuels, compagnon de route, et parfois idiots utiles du stalinisme.
Le colloque d’Abeilhan permettra de présenter, avec différents points de vue, le contexte de cette affaire et bien entendu mettra l’accent sur la trajectoire de l’avocat, Georges Izard, natif de cette commune et académicien en 1971. Ce procès Kravchenko a sans doute été déterminant dans sa trajectoire personnelle qu’il avait commencée comme étudiant à Louis le Grand, puis comme député frontiste de Meurthe-et-Moselle, membre de la SFIO en 1937.
Ayant rejoint la Résistance, Georges Izard est secrétaire de l’OCM (Organisation civile et militaire) de 1944 à 1948. Membre de l’assemblée consultative provisoire en tant que délégué de la Résistance, il participe à la Libération à la création de l’UDSR, dont il est secrétaire général adjoint, avant de devenir président du Mouvement démocratique et socialiste pour les États-Unis d’Europe.
À la fin des années 40 Georges Izard s’éloigne de la politique pour effectuer son retour au barreau, et son nom est associé à l’affaire Kravchenko contre Les Lettres françaises, Claudel contre Maurras, le bey de Tunis et le sultan du Maroc, dont il défend les intérêts lors des crises de décolonisation.

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