Fiche film : KEÏTA, L’HÉRITAGE DU GRIOT

Auteur : KOUYATÉ Dani

Pays : Burkina faso

Année : 1994

Durée : 95 min

Genre : fiction

Niveaux concernés : Classes de sixième et de cinquième

Synopsis

Mabo, élevé en français, va découvrir avec stupéfaction toute l’histoire de ses ancêtres grâce à la tranquille pédagogie d’un vieux griot qui s’est installé chez lui. Bientôt, l’épopée du fondateur de l’Empire mandingue, Soundjata Keïta, le fils de la femme-buffle… n’a plus de secret pour lui !

Enseigner l’Afrique par les récits des griots

« Le chasseur gagne toujours car le lion ne raconte jamais les histoires » tel est la phrase qui ponctue la discussion entre Mabo et le vieux griot. Ainsi, l’épopée de Soundjata chantée par ce vieux griot contient un enseignement moral et permet a fortiori de dresser un portrait contextualisé du rôle des griots dans la culture africaine.

Enseigner l’Afrique par le récit des griots semble tout d’abord être une approche originale et attractive pour nos élèves. Dans la société hiérarchique africaine de l’époque précoloniale qui ne connaissait pas de tradition écrite, les chanteurs et conteurs (griots) étaient considérés comme les gardiens des coutumes et des principes gouvernementaux.
Cependant, durant l’époque coloniale, la tradition orale a perdu peu à peu de son importance et les griots ont été contraints de se reconvertir, seuls quelques uns ont pu conserver dans des villages reculés leurs facultés de « bibliothécaire » de la mémoire africaine traditionnelle.
Dans un passé récent, on a redécouvert la richesse et la précision historique de leurs récits et tenté de mettre en relief ce patrimoine à l’instar de Dany Kouyaté dans son film : Keïta : l’héritage du griot. Ainsi, pour Dani Kouyaté : « ce film traite un chapitre de l’histoire de l’Afrique, l’épopée des Mandingues ». Mais, en réalité, le thème du long métrage « est avant tout l’oubli progressif de cette histoire. L’Afrique n’écoute plus ses griots. Et les griots oublient l’art de conter. Aujourd’hui, un griot est considéré comme un charlatan qui vit au frais des autres et cite de beaux vers. C’est très dommage, car le griot a toujours été considéré comme un gardien, un garant et un régisseur des rites, des us et traditions de nos ancêtres. Le thème principal de mon film, c’est la technique du griot qui consiste à mêler réalité et fiction dans le but d’aiguiser l’imagination ».

Ensuite, à travers Soundjata et selon Daphné Leblanc est brossé « le portrait d’un héros épique, multipliant les exploits physiques, intellectuels ou encore guerriers » LEBLANC Daphné, « Il était une fois dans l’ouest africain : pistes pour la lecture de Soundjata ou l’épopée mandingue, de Djibril Tamsir Niane, en classe de cinquième » dans L’Afrique enseignée : territoire(s), identité(s), culture(s) sous la direction de Vincent MARIE et Nicole Lucas, Le Manuscrit, à paraître, 2006. .
Dans ce cadre et pour David Ngamassu : « Enseigner l’Afrique, c’est valoriser les héros africains qui ont fait son histoire … » NGAMASSU David, « Contact des cultures, représentations et didactique de l’interculturel » dans L’Afrique enseignée : territoire(s), identité(s), culture(s) sous la direction de Vincent MARIE et Nicole Lucas, Le Manuscrit, à paraître, 2006. , c’est aussi montrer que « les épopées africaines sont des sources inestimables d’apprentissage des cultures africaines » Ibidem et qu’en procédant par comparaison et mise en contraste avec des épopées occidentales c’est exposer « que sur différents plans, les bardes, aèdes, troubadours, griots, mbomo-mvet utilisent les mêmes techniques de création et de recréation et que le merveilleux est un phénomène culturel universel » Ibidem.
Enfin, l’étude des récits des griots permet de relever avec les élèves « les éléments proprement africains : les objets magiques sont par exemple des cauris, alors que dans les contes connus des élèves, il peut s’agir de graines, de miettes de pain, de diamants… » Op. cit. n°1.

Travailler sur le film : Keita : l’héritage du griot de Dany Kouyaté avec nos élèves, c’est alors mettre non seulement en lumière de façon originale le passé culturelle d’une civilisation méconnue mais c’est aussi appréhender la notion d’oralité comme une source historique à part entière. En quoi les griots apparaissent-ils comme les garants d’une histoire traditionnelle sans cesse menacé de sombrer dans l’oubli ? Comment ne pas oublier et transmettre ces récits aujourd’hui ?
Répondre à ces questions permet de relier les programmes d’Histoire, de Géographie, d’Education civique et de Français.
Ce travail favorise ainsi l’exercice de l’interdisciplinarité et peut trouver dans les itinéraires de découverte (en classes de collège et plus particulièrement en cinquième où l’Afrique est au programme de géographie) un moyen de se concrétiser.

Repères historiques

Combattre les préjugés : l’Histoire de l’Afrique ne commence pas avec la colonisation.
Très souvent dans l’esprit de nos élèves l’histoire africaine est indissociable de la colonisation. Si pour eux l’histoire de l’Afrique ne commence qu’avec la colonisation c’est alors oublier que l’Histoire de ce continent est bien plus ancienne et étonnamment riche et diversifiée.
En effet comme le montre les longs métrages de Dani Kouyaté, la richesse culturelle africaine trouve ces racines dans des récits mythologiques anciens souvent méconnus de nos élèves. Ainsi, selon Daphné Leblanc : « les images qu’ont les élèves de l’Afrique sont encore bien souvent stéréotypées. Il apparaît donc essentiel de briser ces clichés et de donner à nos élèves une autre vision du continent africain. De même, les références de nos élèves sont reliées d’une part à la tradition greco-romaine, d’autre part à la tradition judéo-chrétienne. Or, tout en restant dans le cadre du programme, il semble possible de les ouvrir à d’autres traditions » Op cit n°1.. De ce fait, l’étude d’une culture souvent méconnue ou mal connue et peu évoquée dans les manuels scolaires contribue à ouvrir l’élève au respect mutuel et à la tolérance.

Une histoire ancienne et mythique : l’épopée de Soundjata

L’épopée de Soundjata permet de pénétrer en plein cœur de la culture africaine. Cette œuvre complète englobe outre le récit de l’enfance de Soundjata tel qu’il est présenté dans le film, ses aventures en exil, l’histoire de son prédécesseur, le roi magicien Soumaoro Kanté, son retour victorieux dans le pays mandingue. On peut considérer l’ensemble comme une sorte de poème épique qui aurait été commandé par la dynastie Keïta au pouvoir, afin de s’assurer l’admiration et la soumission de ses sujets. Le personnage de Soundjata a été représenté pour cette raison comme surhumain et doté de pouvoirs magiques. Comme tous les chants des griots, cette épopée contient de nombreux épisodes divertissants et dramatiques susceptibles de captiver nos élèves durant plusieurs séances.

De la réalité historique : la constitution de l’Empire mandingue

L’épopée repose sur des faits historiques authentiques qu’il est important d’évoquer avec nos élèves pour leur faire prendre conscience de la distance que peut prendre un mythe avec la réalité.
Après la bataille décisive de 1235 à Kirina, le roi historique Soundjata Keïta reprit le pouvoir, à la suite du roi Sosso Soumaoro, sur le petit Etat mandingue d’Afrique occidentale appelé aussi Mali (à ne pas confondre avec le Mali actuel). Les habitants de l’empire étaient appelés Malinkés. Durant son règne qui se poursuit jusqu’en 1260 environ, Soundjata étendit son territoire, avec l’aide de ses généraux, à d’autres peuples qui avaient été eux aussi opprimés par Soumaoro ; il constitua ainsi un grand empire et développa la capitale Niani. Les frontières de son pays furent constamment élargies par ses descendants, si bien que l’état pluriethnique mandingue finit par s’étendre de l’Océan atlantique au moyen Niger et de la forêt équatoriale au Sahara. La couche dominante du pays était certes islamisée, mais de nombreuse personnes conservèrent leur philosophie traditionnelle marquée par les dieux et les esprits, où l’art divinatoire et la magie jouaient un rôle important. A côté des paysans, les forgerons avaient eux aussi une importance particulière pour le pays, car ils étaient les seuls à connaître les techniques d’extraction du fer. La population se composait également de serfs et d’esclaves. L’empire était bien organisé. La population devait verser des redevances à l’élite et l’armée était importante.

L’empire mandingue devait sa réputation en Afrique du Nord et en Europe à l’or qu’on prospectait au centre. Ce n’est toutefois que sous Kankan Moussa (1307-1332) qui islamisa fortement l’empire que le pays atteignit son apogée. Les villes les plus importantes étaient alors déjà Djenné et Tombouctou. A la fin du XIV siècle, le gigantesque empire se mit peu à peu à décliner.

L’Afrique des traditions à la modernité : Griots d’hier et d’aujourd’hui

Le griot : une bibliothèque vivante

On trouve surtout des griots dans toute l’Afrique de l’ouest. Chaque famille princière avait ainsi un griot à son service. Conseiller du roi il avait le pouvoir de le contredire, parfois même de les destituer et de ce fait il pouvait intercéder entre le pouvoir et le peuple. Toutefois cette fonction de conseiller n’était pas sa seule attribution il était aussi l’éducateur des descendants princiers. Dans ces sociétés africaines anciennes, la tradition orale était la règle qui régentait les traditions et les coutumes du village. L’écrit n’avait pas sa place et c’est tout naturellement les griots gardiens de la mémoire du village qui était au cœur du processus de transmission du patrimoine culturel. Dans ces sociétés de troc le griot échangeait ses histoires contre sa subsistance.
Par ailleurs, l’empire mandingue ayant été démantelé au moment de la colonisation nous pouvons alors nous interroger sur l’avenir de ces gardiens de la mémoire des ancêtres.
En effet, durant l’époque coloniale, la tradition orale a perdu peu à peu de son importance et les griots ont été contraints d’accepter d’autres tâches. Ils n’ont pu conserver certaines de leur facultés que dans quelques villages reculés.

L’univers des griots : un univers métaphorique et symbolique comme explication du monde et antagoniste à celui de l’école

Avec la disparition et la redéfinition du rôle des griots c’est toute une vision du monde qui se trouve alors remise en cause.

Dans le récit du mythe de Soundjata Keïta, Kouyaté s’en tient d’abord étroitement à la tradition orale des griots. Ce récit contient des éléments -par exemple la métamorphose des humains en animaux ou l’usage des techniques divinatoires- qui sont peu familiers aux occidentaux. Kouyaté se fie pourtant à l’effet universel des symboles et des images. Chaque auditeur peut prendre dans son récit ce qui l’intéresse, ce qui lui est utile, ce qui le nourrit, même s’il ne s’agit que d’un détail, pense le cinéaste. Il est convaincu que chacun peut y retrouver sa propre histoire.

Par ailleurs, et du même coup, Dani Kouyaté dégage aussi dans ce film les différences entre le mode de vie traditionnel et le mode de vie citadin moderne en Afrique occidentale – illustrées dans le film par la lutte entre le vieux griot d’une part, les parents et l’instituteur de Mabo d’autre part. « Keita, mon premier film, faisait l’apologie de la fonction de griot. Je le défendais notamment par rapport à l’instituteur, au système éducatif qui chez nous voit d’un mauvais œil l’éducation traditionnelle » nous dit le réalisateur.

Certaines scènes du film sont alors légèrement exagérées et sont amusantes, d’autres sont pleines de tristesse face à la perte de l’ancienne culture. Le conflit entre la tradition et la modernité est typique de l’Afrique actuelle, c’est pourquoi le cinéaste Dany Kouyaté voit son film « comme une sorte de cri pour réclamer un équilibre qu’il ne trouve pas dans la réalité. Ce film ne propose pas de réconciliation entre les deux modes de vie, la fin qui ne donne pas de réponse devrait inviter à réfléchir ». Le cinéaste imagine par exemple comme issue possible que l’enseignant commence à s’intéresser aux techniques de narration du griot qui captivent et fascinent tellement les garçons.

Enfin, ce film peut aussi permettre d’illustrer des aspects du programmes de Géographie de sixième en présentant à la fois les paysages d’une grande ville de pays pauvre et ceux d’un espace rural (village africain).

La fin des griots : la fin d’une culture ?

D’une société de troc à une société de communication de masse : quel avenir pour les griots ? tel est la question que peut aussi poser le film a posteriori. Dans un passé récent, on a redécouvert la richesse et l’étonnante précision historique des récits des griots et tenté de les sauver d’un oubli définitif en les transcrivant sous une forme écrite et voir même cinématographique. De nos jours, les griots n’ont peut-être pas autant de talent que ceux du passé mais ils disposent de bien plus de moyens de communication. Média important pour les griots, le cinéma leur permet de continuer à transmettre l’histoire et les traditions au plus grand nombre. Mais être cinéaste en Afrique reste une exception. Dani Kouyaté semble être un de ces artisans modernes de la sauvegarde de la mémoire des griots : « je suis moi même griot de naissance » nous dit-il dans un entretien, « c’est pourquoi je suis moi aussi garant de l’histoire de mon peuple par rapport aux générations futures. Le sujet de ce film s’est imposé à moi. J’ai beaucoup de chance de vivre dans le siècle du cinéma, car le film est un merveilleux instrument pour un griot ».

Un sage africain a dit « Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Pour la mémoire de tous et selon Dani Kouyaté « il est important d’écouter les griots ». les récits des griots sont une source précieuse pour l’historien et un matériel pédagogique riche pour le professeur.

CONCLUSION

Si l’œuvre de Dany Kouyaté décrit de manière dense et captivante le début de l’épopée relative à la naissance du légendaire empire mandingue, au XIII siècle, ce film en tant qu’objet d’étude permet de montrer que l’Afrique sait aussi s’adapter à la modernité et que dans un contexte de mondialisation le cinéma africain (même s’il ne concerne encore que peu de réalisateurs) devient alors un instrument fantastique des griots modernes pour transmettre les richesses patrimoniales d’un continent souvent considéré comme en retard et en marge de la mondialisation.
Comme en écho, il est alors grand temps dans nos classes que les élèves se tournent vers cette culture pour comprendre les enjeux de l’Afrique actuelle.
—-

FICHE ELEVE

Avant la projection :

1) Une Histoire de l’Afrique des africains

La source historique :

Définir les termes de griot et d’épopée :

Quels sont les fonctions et le rôle des griot dans les sociétés africaines traditionnelles ?

L’Empire :

Rechercher les grands épisodes de l’histoire de l’empire mandingue : de sa naissance à son déclin.

Localiser sur une carte l’Empire mandingue et son évolution territoriale :

Le Héros :

Qui est Soundjata ?

Avec quel autre grand conquérant du programme d’Histoire de sixième peut-on le comparer ?

Après la projection :

2) L’Afrique des traditions à la modernité

Compléter le tableau suivant :

| – |L’Afrique traditionnelle|L’Afrique moderne|
|Paysages|-|-|
|Modes de vie|-|-|
|Culture , coutumes et croyances|-|-|
|objectifs|-|-|
|Personnages et générations concernées|-|-|

Corrections :

| – |L’Afrique traditionnelle|L’Afrique moderne|
|Paysages|Il s’agit de montrer une Afrique rurale à travers les aspects d’un village africain|Il s’agit de présenter une grande ville d’Afrique avec tous les aspects qu’elle comporte (circulation, bruit…)|
|Modes de vie|On mange avec les mains, on dort à la belle étoile dans un hamac. Vivre au grand air. La femme s’occupe de faire la cuisine.|On mange des spaghettis avec des couverts, on dort dans un lit et dans une villa cossue. Vivre dans une maison.|
|Culture , croyances et coutumes|Animiste, cosmogonie et mythologie ancienne. Croyance aux esprits. Oracle (cauri) ; les prières quotidiennes vont de soi.Les gens prennent eux-mêmes les décisions.|On ne prie plus que dans des circonstances précises. Il y a des décisions qui sont prises par le gouvernement.|
|objectifs|Transmettre l’héritage de ses ancêtres.|Avoir son examen pour trouver sa place dans la société|
|Personnages et générations concernées|Keita : le grand père|L’instituteur|

Keïta, l'héritage du griot.
Keïta, l'héritage du griot.