Dévotion est un film vers lequel je me suis plongé parce que j’ai vu des Corsairs dans une bande annonce, et qui m’a complètement retourné au point que le plaisir de retrouver ces avions chers à Pappy Boyington est devenu secondaire lorsque l’écran de fin s’est levé. Il lance une petite série de films consacrés à la guerre de Corée, afin d’explorer les représentations d’un conflit qui peut sembler avoir été occulté au cinéma par la guerre du Vietnam.

 

 

La bande-annonce du film est rudement bien ficelée. Avec le recul je me rends compte que je suis pourtant passé à côté du sujet, bien qu’il soit justement distillé.

« Tu n’as pas ce qu’il faut pour devenir pilote, tu ne vaux rien, tu ne devrais même pas avoir le droit de voler »

 

« La guerre oubliée de l’Amérique », la Corée, n’est que la trame secondaire du film. Cette mention de guerre « oubliée » s’adresse d’ailleurs au public américain et le dossier entamé par cet article permettra d’y revenir et, le cas échéant, de nuancer, ou pas. La bataille de Chosin, dont  il est question, s’est déroulée du  27 novembre au 13 décembre 1950. C’est une défaite pour les forces onusionnes, essentiellement américaines. Encerclés par des forces chinoises largement supérieures en nombre, les troupes US parviennent néanmoins à se dégager en infligeant de très lourdes pertes aux troupes communistes, mais la perspective d’une victoire rapide et d’un écrasement de la Corée du Nord communiste s’évapore.

 

Le ciel commande à la terre

Le soutien aérien lors de ces combats a été décisif et, sans lui, les troupes au sol auraient été submergées et écrasées. Nous sommes ici clairement dans la droite ligne des écrits de Giulio Douhet[1] ou d’un Henry Hap Arnold[2] qui ont nourri l’idée d’un Airpower, sorte de réponse au Seapower de Alfred T.Mahan[3]. Des missions de supériorité aérienne pour nettoyer le ciel de potentiels adversaires, puis des missions d’interdiction pour écraser les arrières, l’acheminement des renforts et enfin des missions de Close air support (CAS). Dans ce dernier cas il s’agit pour les avions de mitrailler et bombarder directement des troupes au sol, ce qui va se retrouver dans la dernière partie du film.

Dans cette perspective le film met bien en valeur le rôle des forces aéronavales US qui, croisant au large, pouvaient intervenir avec efficacité. La Chaine FOX NEWS a d’ailleurs salué un film héroïque, à la gloire de ces pilotes qui ont pris des risques énormes pour sauver ce qui pouvait l’être.

 

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Mon pilote ce héros

 

La question de l’héroïsation des pilotes est particulièrement sensible aux États-Unis et de très nombreuses publications ont mis en valeur ces pilotes et leurs avions. Parmi eux les écrits de Warren E Thompson se sont par exemple imposés comme des classiques, à l’image de celui écrit avec David R. McLaren, Mig Alley : Sabres Vs Migs Over Korea, publié chez Specitality press en 2002.

 

Les classiques de chez Osprey

 

Voici donc un film de guerre très efficace, très classique et dont les séquences aériennes sont vraiment réussies. D’ailleurs nombreux sont les commentaires qui en font une sorte de miroir de Top Gun 2 : Maverick, un film à la gloire des ailes US et des pilotes.

Le summum est atteint lorsqu’un Mig 15, avion à réaction soviétique plus moderne que les Corsairs nés durant la seconde guerre mondiale, est abattu pour un vénérable ancêtre. Point d’exagération, ceci est arrivé dans le ciel de Corée.

 

Difficile de ne pas voir un clin d’œil appuyé à ce poncif ; les vieux coucous dépassés mais pilotés par la crème des pilotes US parviennent à tenir la dragée haute au matériel russe le plus moderne, mais avec des pilotes visiblement moins inspirés. Top Gun 2 : Maverick offre ainsi exactement la même séquence épique. Cette mise en situation d’infériorité technologique est un très bon moyen de mettre en avant le caractère héroïque des pilotes.

 

Un film classique de propagande ?

 

Du patriotisme, la belle gueule de Glen Powel, tout droit sorti des jupes de Maverick, des avions magnifiques, le drapeau US, des communistes repoussés malgré leurs vagues continues …. Voici un tableau qui pourrait faire croire à une énième collusion entre l’armée américaine et Hollywood comme l’a très justement démontré Mathew Alford dans son livre[4] « Hollywood Propaganda » parus aux éditions critiques en 2018 et dont voici la présentation :

 

Premier livre à examiner le fonctionnement interne d’Hollywood en tant qu’industrie politisée, ce livre révèle les liens étroits entre l’industrie du cinéma et les forces politiques américaines les plus réactionnaires. S’appuyant sur l’analyse minutieuse de nombreux films, M. Alford démontre qu’Hollywood loin d’être le lieu d’expression de la gauche américaine n’est que le versant culturel d’une politique impérialiste. Ainsi, des films comme Transformers, Terminator ou La Chute du faucon noir, ouvertement financés par le Département de la Défense, servent à promouvoir l’image de l’armée et de la politique américaine. Même des films dits critiques, voire contestataires comme Les Rois du désert, Hotel Rwanda ou Avatar, bien que d’une façon plus subtile, n’en remplissent pas moins une fonction similaire.

 

 

 

 

 

Et bien si ces aspects font partie intégrante du film, il n’en reste pas moins qu’ils sont secondaires, et de façon très large.

 

Avant la bataille, le combat d’un pilote noir

 

Tiré d’une histoire vraie, celle de Jesse L. Brown, premier pilote afro-américain de la marine, Dévotion est un film de guerre certes, mais aussi et surtout un film sur les pilotes, ce monde si particulier et, encore plus, un film militant. Être noir dans l’Amérique des années 50, c’était être confronté à un racisme latent. Construire sa vie avec sa femme et sa fille, dans un quartier lambda, entouré de WASP, n’allait pas de soi.

La séquence la plus forte n’est d’ailleurs pas celle d’un combat en Corée. C’est un combat contre un miroir. Un monologue éprouvant.

 

Jonathan Majors offre ici une partition de haute volée. Un pilote noir. Une merde qui ose souiller les ailes de la marine US. Un sous-homme qui ose voler avec des blancs.

L’essentiel du film repose sur la façon dont ce pilote essaie de s’imposer simplement comme un excellent pilote. Non point comme le premier pilote de couleur, mais comme un pilote tout court. Mis à l’écart par ses voisins, utilisé par les médias, moqué par certains de ses compagnons d’armes, il n’a de cesse d’essayer d’être reconnu pour ses mérites, même s’il prend petit à petit conscience de son statut de modèle pour ses frères.

Au détour d’entrainements, d’une rencontre improbable avec Liz Taylor à Cannes, cet homme lutte chaque jour pour s’imposer et ceci représente l’essentiel du film. C’est d’ailleurs cette lenteur parfois qui pourrait rebuter si le spectateur est surtout en quête d’action. La dévotion est multiple : pour sa passion de pilote, pour l’amour absolu qu’il éprouve pour sa femme et sa fille. Savoir que le film a été soutenu par FOX NEWS pour son patriotisme, laisse un peu perplexe lorsqu’on sait la façon dont cette chaîne a soutenu D.Trump dans l’Amérique du « black lives matter »[5].

 

Dévotion, un film plus subtil qu’il n’y parait

 

Le film de J.D. Dillard, avec justesse, sans lourdeur excessive, est en effet bien plus efficace pour traiter de la place des Noirs dans l’Amérique des années 50 que pour traiter de la Guerre de Corée ou de la bataille de Chosin.

Les scènes intimistes, les silences, les non-dits sont distillés avec justesse dans un film où, finalement, l’action est largement secondaire. Les regards échangés entre les acteurs, mais aussi avec le spectateur, accompagnent les sentiments complexes d’hommes qui, petit à petit, s’ouvrent à nous. Christina Jackson campe une femme incroyable, rappelant que ces pilotes ne sont bien souvent que peu de choses sans leur moitié et leur famille, n’en déplaise à Maverick. Le final est particulièrement réussi et bouleversant. Posant lentement les enjeux durant l’essentiel de Dévotion, le dernier quart se veut plus dynamique, dès lors que l’on arrive en Corée. Mais prendre son temps, c’est aussi ça qui m’a positivement surpris.

 

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Notes

[1] Douhet Guilio, La Guerre de l’air, Présentation de M. Étienne Riché, préface du général Tulasne, Paris, Journal « Les Ailes », 1932.

[2] Henry Hap Arnold, Global Mission, New York, Harper ans Row, 1949

[3] Mahan, A.T., The Influence of Sea Power upon History 1660 – 1783, London, Sampson Low, Marston & Company, 1890

[4] Alford Mathew, Hollywood Propaganda, Critiques Eds., 2018

[5] https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-qui-sont-les-medias-qui-soutiennent-donald-trump

 

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Fiche technique

États-Unis / 2022/ 2h 19min / Guerre, drame

Titre original : Devotion

Réalisateur : J.D. Dillard

Scénaristes : Jake Crane, Jonathan Stewart Adam Makos (d’après Devotion : An Epic Story of Heroism, Friendship, and Sacrifice, par Adam Makos)

Musique : Chanda Dancy

 

Avec

Jonathan Majors, Glen Powell, Christina Jackson

 

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Un prochain film devrait permettre de voir un tout autre visage des représentations de cette guerre. À bientôt donc !