Diffusion : 
Lundi 5 novembre à 23h45 sur France 3 Bourgogne Franche-Comté : 
Lundi 12 novembre à 23h45 sur France 3 Hauts de France.
Disponible sur France 3 TV Replay jusqu’au 12 décembre.

Emmanuelle Cronier – Université  de Picardie – Maître de conférences en histoire contemporaine

  • Thèmes de recherche :
  • – Histoire culturelle comparée
  • – Sociétés en guerre
  • – Cultures alimentaires
  • – Première Guerre mondiale

« L’échappée belle : permissions et permissionnaires du front à Paris pendant la première Guerre mondiale par Emmanuelle Cronier sous la direction de Jean-Louis Robert – Paris 1

Amie des Clionautes et de la Cliotheque, depuis la recension de sa thèse soutenue en 2005 «L’échappée belle : permissions et permissionnaires du front à Paris pendant la première Guerre mondiale », Emmanuel Cronier nous a réservé la primeur de son documentaire diffusé à partir du 5 novembre prochain sur France 3.

Clio-Ciné en avant première

« Au menu de la Grande Guerre. L’alimentation au cœur du conflit »

Destiné à un grand public, ce film pose clairement les problématiques de l’organisation du ravitaillement à l’échelle d’une guerre dont l’ampleur dans tous les domaines était restée jusqu’alors inégalée. La faim est en effet une arme de guerre, et les pénuries alimentaires ont forcément joué un rôle dans l’effondrement des empires. Le bilan est sans appel, et le blocus maritime imposé aux puissances centrales a contribué à leur effondrement. De la même façon, dans les rues de Saint-Pétersbourg, en mars 1917, (si l’on prend le calendrier grégorien), ce sont les femmes qui réclament du pain qui lancent l’irrésistible mouvement qui conduit à la chute de la dynastie des Romanov. Ce sont aussi ces soldats russes affamés qui seront les plus réceptifs à la propagande des bolcheviques à partir d’avril 1917.

J’ai fait le choix de publier directement une prise de notes sur ce film que j’ai eu le privilège de visionner avant sa diffusion. L’écriture d’Emmanuel Cronier est particulièrement agréable, et l’on se prend à suivre ce déroulé d’événements, ces situations parfois cocasses, le plus souvent tragiques avec le support de ces images le plus souvent inédites.

La nourriture, un élément essentiel du conflit. Symbole du don à celui qui verse son sang… donner à manger aux soldats, c’est un acte patriotique. Mais dans le même temps on se félicite des souffrances de l’ennemi privé de nourriture. Cela se traduit par un nationalisme alimentaire, comme ce saccage de commerces de bouche dont les noms ont des consonances allemandes. L’entreprise suisse qui produit le célèbre bouillon Kub est accusée d’espionnage au profit de l’ennemi. Leurs réclames sont suspectées de diffuser des messages codés à l’attention de l’ennemi.

La guerre entraîne une mutation industrielle et en même temps une mondialisation de l’alimentation.

Dépendance des allemands et des empires centraux. Blocus alimentaire de la Royal Navy. Plus de blé américain. Russie et Empire ottoman fragilisés. Dès 1915 il faut affamer l’ennemi. La guerre longue amène à faire appel aux colonies des Empires. Les états interviennent dans l’économie. Contrôle des prix et de la distribution. Le Grand état-major allemand s’empare de la production des engrais mais aussi du reste. Les citadins durement touchés.

En France, le ministère de la guerre passe de gros marchés, dont les conséquences vont être exceptionnelles pour les vignerons languedociens. Ces gros marchés vont également généraliser la diffusion des conserves, un produit de luxe avant guerre, et des marques célèbres vont connaître un fort développement. Saupiquet Cassegrain, Bonduelle, Lustrucru, Hénaff, nouvelle recette de pâté.  La nourriture est un élément central de la guerre, mais aussi des préoccupations de la population. Pour nourrir les soldats les industriels de l’alimentation développent de nouveaux produits. Le camembert, à la diffusion confidentielle hors de son terroir d’origine connaît après-guerre un développement national. Fabriqué avec seulement 2 litres de lait par fromage, il permet de diffuser sur le fond des produits laitiers.

Les premiers scandales sanitaires à propos de l’industrie apparaissent également et la société « la morue française » se voit condamnée pour avoir introduit du poisson avarié dans ses préparations.

De gros transferts de nourriture des colonies sont organisés vers les métropoles. La Roumanie et la Galicie sont pillées comme la Belgique par les armées en campagne. Les allemands divisent la Belgique en zones de réquisition. L’Allemagne réquisitionne 75 % de la production alimentaire belge. Belgian relief qui approvisionne aussi le Nord de la France. 9 millions de français et de belges sont secourus.

De nouveaux moyens de distribution sont également organisés, parfois dans l’improvisation. Les autobus parisiens sont modifiés pour transporter la viande. (La Wachkyrie). Viande d’Argentine congelée mais la chaîne du froid est mal respectée. Elle arrive avariée au front.

Au front, l’improvisation est la règle. Toute une logistique doit se mettre en place pour nourrir les combattants. Ces derniers ne sont pas mobiles, et la nourriture doit donc venir à eux, sous peine dégarnir le front. Couteau personnel est le lot de tous les soldats, mais la cuillère et la fourchette sont régimentaires. L’armée allemande dote les soldats d’accessoires adaptés. Couverts pliants.

Au fil de la guerre amélioration des dispositifs

Dans le Loir et Cher / Base américaine sur 30 km². Une ville qui approvisionne 2 millions de soldats. Les rations alimentaires pour les troupes américaines sont d’ailleurs particulièrement généreuses. 4000 calories / jour. Viande, patates, riz.

Pendant cette période où certaines communes cherchent à remettre en cause les repas de substitution, on notera que les états-majors veillent à ce que les habitudes alimentaires des troupes coloniales respectées. Et les tirailleurs d’Afrique du Nord découvrent aussi le couscous en boîte.

Quand les soldats se plaignent l’État-Major réagit assez rapidement. Coopératives militaires mises en place en 1915. On notera d’ailleurs que l’auteur n’aborde pas « le miracle Pétain », cette image d’Épinal largement popularisée d’un chef militaire soucieux d’approvisionner les roulantes en 1917.

L’eau manque souvent. Citernes acheminées. Les allemands sont mieux organisés, eau minérale distribuée.  Le vin = ¼ de litre au début et 1 litre par homme à la fin. Ce « vin aliment », titre seulement 8°, et il remplace avantageusement une eau de qualité pour le moins médiocre.

Interdiction de l’absinthe. Et des alcools forts.

Cuisines roulantes en 1915 en France, depuis 1914 ailleurs. Une Roulante par compagnie.  200 hommes. 800 grammes de pain par jour pour un français. Les américains ont leur pain de mie. La mauvaise qualité du pain allemand est également un signe des difficultés d’approvisionnement du pays. Pain de guerre. Kriegs Kartofeln, pain Caca.

L’Allemagne avec son industrie chimique développe des ersatz, mais on y trouve aussi les conséquences de la pénurie comme le lait dilué, rutabagas.

Sur le front, les soldats prennent également des risques et les corvées de soupe exposent au feu ennemi. Cela se traduit par des rations froides et du pain mouillé.

Plus à l’Est, les soldats indiens de l’armée britanniques souffrent aussi. Une unité de l’armée britannique doit se rendre aux ottomans près de Bagdad. Les troupes sont affamées.

Sur le front de Salonique face aux bulgares, des maladies comme le scorbut se développe. Les chefs militaires favorisent les cultures de potagers. 1500 hectares de potagers. Et Clémenceau qui est alors dans l’opposition dénonce les « jardiniers de Salonique ».

En même temps, dès qu’ils ont l’occasion, les soldats organisent des festivités alimentaires. Mais lors des permissions, ils peuvent constater la fracture avec l’arrière qui semble prospère vu du front.

L’aggravation de la situation alimentaire est particulièrement forte dans les villes. Le rationnement du pain apparaît en France en 1917. Interdiction de la pâtisserie et des viennoiseries. Files d’attente et pénuries. Campagnes d’affichage – l’union sacrée passe par les assiettes. Recettes adaptées.   Cuisiner avec les restes, en enlevant le mauvais goût des produits rances… Jardins potagers scolaires.

Travail des femmes à la terre et à l’usine. En grande Bretagne, armée des paysannes. Les soldats près du front travaillent aux champs.

La grogne monte dans les villes de garnisons américaines où les prix flambent. Les mercantis sont dénoncés. Dans les pays alliés cependant, les apports des colonies et les approvisionnements américains limitent les effets de pénuries réelles. Par contre, en Allemagne, dans l’empire ottoman, austro-hongrois, de graves pénuries apparaissent. La ration alimentaire moyenne ne dépasse pas 1000 calories / jour. Cela génère des tensions entre ruraux et citadins. Fracture qui se retrouve plus tard. Les paysans sont considérés comme privilégiés, tout comme les riches.

Les pénuries alimentaires ont pu favoriser l’antisémitisme et les autorités ont évidemment favorisé la recherche de boucs émissaires.

Pour les massacres de masse commis dans l’Empire ottoman, à l’encontre des Arméniens, la privation d’eau et de nourriture est intentionnelle. Mais dans un autre contexte, la guerre qui désorganise les circuits d’approvisionnement entraîne une famine au Liban en 1918. (200 000 morts).

Dès 1917, les pénuries se développent dans les empires. La crise alimentaire joue un rôle essentiel dans l’Empire austro-hongrois. Divisions sociales, l’État perd toute légitimité aux yeux de la population. En Allemagne la Révolution de novembre 1918 signe la fin de l’Empire. Mais les pénuries continuent, et la situation devient catastrophique. 750 000 civils allemands meurent de sous-alimentation après la guerre. 1 million en Russie.

Les États-Unis sortent comme les grands gagnants. La grande guerre est aussi l’espoir d’une expansion économique nouvelle. Un nouvel ordre alimentaire et commercial s’impose au monde.

SYNOPSIS

1914-1918. La Première Guerre mondiale n’a pas seulement bouleversé les manières de faire la guerre. Elle a aussi profondément changé notre alimentation. Pour nourrir les 80 millions de soldats, pour ravitailler les civils indispensables à la victoire, les ressources du monde entier sont mobilisées. Toute une puissance logistique se met au service de l’alimentation du combattant. Les produits arrivent du monde entier. Les industries alimentaires développent des produits qui se sont imposés depuis au cœur de notre alimentation comme les conserves ou les bouillons en cube. Les rations des soldats s’adaptent à la guerre des tranchées ou au combat dans le désert. Lors des repas, les soldats tissent des liens indispensables au moral. Enivrer les soldats avant la bataille ? Une légende.

La pénurie pousse les civils à être inventifs car il faut tout économiser : le pain, la viande, le sucre. Recettes économiques, campagnes d’affiches, potagers urbains : il faut mobiliser les ventres pour l’effort de guerre. L’Allemagne et ses alliés (Autriche-Hongrie, Empire ottoman) font face à une crise alimentaire qui épargne les pays alliés et joue un rôle décisif dans leur défaite en 1918. Des images rares des émeutes de la faim et de la famine qui touche les Puissances centrales montrent que la faim a aussi été une arme pendant la Première Guerre mondiale.

Il a reçu le label Mission Centenaire 1914-1918