Avec Agora Mateo Gil et Alejandro Amenabar proposent de nous faire découvrir les dernières années de la vie de Hypatie, mathématicienne et philosophe néoplatonicienne qui vécu à Alexandrie, à la fin du IVe siècle. Incarnée par l’actrice britannique Rachel Weisz, cette femme est devenue au fil des siècles une figure majeure de la science et du féminisme.
Synopsis
IVème siècle après Jésus-Christ. L’Egypte est sous domination romaine. A Alexandrie, la révolte des Chrétiens gronde. Réfugiée dans la grande Bibliothèque, désormais menacée par la colère des insurgés, la brillante astronome Hypatie tente de préserver les connaissances accumulées depuis des siècles, avec l’aide de ses disciples. Parmi eux, deux hommes se disputent l’amour d’Hypatie : Oreste et le jeune esclave Davus, déchiré entre ses sentiments et la perspective d’être affranchi s’il accepte de rejoindre les Chrétiens, de plus en plus puissants…
Le travail de Mateo Gil et d’Alejandro Amenabar s’inscrit dans la droite ligne d’auteurs qui ont fait d’Hypatie un symbole pour les femmes mais aussi pour donner à réfléchir aux tensions qui peuvent exister entre pouvoir et sagesse intellectuelle. Déjà en 1854 dans Les filles de feu, recueil de poèmes et de nouvelles, Gérard de Nerval en faisait un symbole particulièrement puissant.
Et à ce propos, – permettez à un voyageur qui en a foulé les débris et interrogé les souvenirs de venger la mémoire de l’illustre calife Omar de cet éternel incendie de la bibliothèque d’Alexandrie, qu’on lui reproche communément. Omar n’a jamais mis le pied à Alexandrie, – quoi qu’en aient dit bien des académiciens. Il n’a pas même eu d’ordres à envoyer sur ce point à son lieutenant Amrou. – La bibliothèque d’Alexandrie et le Serapéon, ou maison de secours, qui en faisait partie, avaient été brûlés et détruits au quatrième siècle par les chrétiens, – qui, en outre, massacrèrent dans les rues la célèbre Hypatie, philosophe pythagoricienne. Ce sont là, sans doute, des excès qu’on ne peut reprocher à la religion, – mais il est bon de laver du reproche d’ignorance ces malheureux Arabes dont les traductions nous ont conservé les merveilles de la philosophie, de la médecine et des sciences grecques, en y ajoutant leurs propres travaux, – qui sans cesse perçaient de vifs rayons la brume obstinée des époques féodales.
Outre la vie extraordinaire d’Hypatie, le film est aussi l’occasion de suivre un péplum, genre particulier du cinéma. L’antiquité a ceci de complexe qu’elle ne nous a pas laissé assez de traces pour pouvoir s’en faire une idée rigoureusement précise. Le tableau que nous en avons repose sur des sources lacunaires, offrant ainsi un support complexe, parsemé de trous, d’incertitudes que les historiens ont parfois bien du mal à analyser au-delà d’hypothèses raisonnables.
Il en est ainsi de la vue d’Hypatie. Ne nous sont parvenus que quelques fragments lacunaires. La correspondance littéraire de Synésios de Cyrène qui se présente comme élève d’Hypatie, offre une base de travail intéressante pour les années 395-413 (Synésios meurt en 413). Au milieu du Ve siècle, l’historien de l’Église, Socrate de Constantinople, permet d’essayer de comprendre la mort cruelle de la philosophe qu’il situe pendant le carême de l’année 415. Ceci posé, et malgré les autres brides qui nous sont parvenues, nous n’avons aucun écrit d’Hypatie et de nombreuses questions demeurent en suspend.
Pour les cinéastes reconstituer l’antiquité peut donc s’avérer être une gageure. Les premiers péplums ont largement hérité des approches romanesques du XIXè siècle, telle celle citée plus haut à propose de Gérard de Nerval. Il ne s’agit pas de reconstituer un passé rigoureusement fidèle à la réalité historique, faute de sources précises et fécondes, mais bien de construire une image déformante d’un passé lointain. Les salles obscures qui virent les premiers péplums défiler imposèrent leur lot de clichés qui, pour certains, ont encore la vie dure. Des héros bibliques ou mythologiques, des femmes fatales à l’image de Cléopâtre, des empereurs romains fous et dépravés. L’antiquité ce sont des hommes en jupettes, des fresques flamboyantes et, bientôt, un musique pompeuse reconnaissable entre toutes.
Après un âge d’or qui vit se succéder sur les écrans Les 10 commandements, Ben Hur ou encore Cléopâtre au tournant des années 1950-1960, le péplum s’essouffla pour petit à petit disparaître des cinémas. Les années 2000 virent le genre reprendre vie de façon épiqueVoir le péplum renaît de ses cendres, les échos, 16 juin 2000.
L’intérêt d’Agora réside donc également dans le fait de mettre en perspective l’évolution du cinéma, dans son discours autant que dans sa forme. Si la reconstitution d’Alexandrie est très bonne, il n’en reste pas moins que le film ne trouva le succès qu’en Espagne. Largement critiqué, il eut du mal à trouver son public. Dans un article à charge en date du 5 janvier 2010, Thomas Sotinel inscrit par exemple Agora dans un schéma comparatif avec le Gladiator de Ridley Scott et le Troie de Wolfgang Petersen, concluant que l’essai espagnol était largement moins réussihttps://www.lemonde.fr/cinema/article/2010/01/05/agora-un-peplum-intellectuel-pour-celebrer-hypatie-mathematicienne-et-paienne_1287683_3476.html.
Comme ses récents prédécesseurs, Ridley Scott (Gladiator) ou Wolfgang Petersen (Troie), il a voulu renouveler le genre. Agora est un péplum intellectuel. Cette aspiration donne au film un rythme étrange, qui tente de concilier le débat et les combats, le dialogue et le spectacle. Le résultat est gauche souvent, mais presque toujours intéressant. On croirait avoir découvert un livre dans une brocante, sans arriver à deviner s’il s’agit d’un manifeste philosophique, d’une version à rebours de Quo Vadis ou d’un canular.
Il sera donc intéressant de comprendre les ressorts de ces critiques et de les mettre en perspective avec le contexte de création du film. Cette approche correspond à l’enseignement de HGGSP et plus particulièrement au niveau de Terminale. En effet, cet enseignement permet de questionner pleinement les créations cinématographiques dans le cadre d’une analyse de la dimension informationnelle en géopolitique. Les films sont des œuvres qui permettent, remis dans leur contexte créatif, de prendre la mesure des tensions et questionnements d’une époque. Typiquement ici il sera par exemple opportun de se demander pourquoi des cinéastes espagnols ont décidé, en 2009, de s’emparer de la figure de Hypatie ? Pourquoi certains choix de représentations, singulièrement des Chrétiens, ont été vigoureusement critiqué ?
Plusieurs thèmes du programme de Terminale HGGSP permettent de film de trouver une place transversale au fil de l’année, comme fil conducteur ou synthèse finale au moment de préparer les écrits des épreuves anticipées de spécialité.
Hypatie, Alexandrie au IVè siècle ; mise en perspective historique
Hypatie, femme de savoir, femme de pouvoir
Ce que nous connaissons de la vie d’Hypatie repose donc sur des sources parcellaires. Née vers 360 apr. J.-C ; Hypatie était la fille de Théon d’Alexandrie. Ce mathématicien, joué dans le film par Michael Lonsdale, forma pour partie sa fille, qui compléta son enseignement à Athènes. Revenue à Alexandrie, elle tint des conférences et proposa un enseignement privé à un cercle de disciples. Appartenant aux couches aisées et cultivées de la société, ils sont représentés dans la première partie du film et notamment deux d’entre eux, Oreste (Oscar Isaac) qui deviendra préfet de la ville et Synésios de Cyrène (Rupert Evans), qui deviendra évêque de Ptolémaïs après sa conversion au christianisme. Comme indiqué en amorce, Synésios est l’une des principales sources à notre disposition sur Hypatie. La philosophe meurt en 415, après avoir été, si l’on en croit Socrate le Scholastique, agressée par des moines fanatisés, les parabalanis, trainée une église, mise à nu, écorchée vive avant d’être démembrée et brûlée sur une colline proche. La fin tragique de la philosophe est l’occasion de mettre en perspective sources et choix du réalisateur, nous y reviendrons.
Nous ne disposons pas d’écrits d’Hypatie et il existe des débats concernant l’existence de ces derniers. S’il est probable que Hypatie ait pu écrire des textes, il convient aussi de rappeler que le savoir se transmettait aussi et parfois surtout oralement dans l’antiquité. Il en était ainsi par exemple des Pythagoriciens et de la tradition platonicienne à laquelle appartenait la philosophe.
*Activité transversale : avec un collègue de philosophie, faire travailler les élèves sur la définition des courants philosophiques des pythagoriciens et des platoniciens.
Il apparaît dans les sources qu’au-delà de la philosophie, Hypatie a effectué des travaux d’astronomie (ce qui est largement exploité par le film), qu’elle avait des compétences en tant que critique littéraire et qu’elle disposait d’une forme d’autorité au sein de l’élite politique d’Alexandrie (ce qui est largement exploité avec le personnage d’Oreste).
Alexandrie, cité majeure d’un empire en profonde mutation politique et religieuse
À la mort d’Alexandre le Grand (juin 323 av) l’Égypte passe sous la domination des rois grecs (dynastie des Ptolémées, aussi nommés Lagides). En 30 av, avec la défaite de Marc Antoine et de Cléopâtre face à Octave, l’Égypte devint romaine pour près de 7 siècles, jusqu’à la conquête arabe (643 ap.). Il faut cependant se garder des simplifications ; la domination romaine ne transforma pas totalement l’Égypte et la romanisation fut largement moins importante qu’ailleurs dans l’empire. L’Égypte romaine est donc une commodité pour définir une administration romaine plus qu’une transformation profonde de la société.
Après les troubles du IIIè siècle (par exemple la révolte de 215 des ouvriers alexandrins qui fut durement réprimée par Caracalla ou la conquête, éphémère, d’Alexandrie par les troupes palmyriennes de Zénobie et Vaballath entre 271 et 272) le grand tournant fut la division de l’Empire en 395, à la mort de Théodose. L’Orient revint à Arcadius. Avec la disparition de l’Empire romain d’occident en 476, l’empereur romain d’orient demeura le seul lien avec la romanité, jusqu’à la conquête arabe de 641-643.
L’administration romaine imposée par Octave qui fit de l’Égypte une province impériale, explique la présence d’une autorité politique incarnée par le préfet. Le praefectus Aegypti était de rang équestre, disposant des pouvoirs d’un proconsul, ce qui est unique dans l’Empire. On retrouve la figure d’un administrateur romain avec Oreste, qui devient dans le film préfet d’Alexandrie.
Alexandrie est la principale ville de l’Égypte et de l’Empire. Forte de près de 500 000 habitants, elle est cosmopolite et s’étale sur une bande de terre entre la mer, au nord et le lac Maréotis, au sud. Ville monumentale, on peut y retrouver le Phare, le grand temple consacré à Sérapis, le Sérapéion qui se dressait sur une colline artificielle (l’Acropole), le Palais royal, le Grand Port. Tous ces monuments sont aujourd’hui disparus et le film propose donc de faire revivre un patrimoine disparu, à commencer par la bibliothèque et le musée.
Le caractère cosmopolite de la ville, bien marqué dans le film, repose sur des couches de populations aux statuts et fonctions différents. Alexandrins (environs 300 000 grecs selon Diodore de Sicile au Ier siècle), Juifs (entre 100 000 et 200 000 selon les études), Égyptiens, Gréco-Égyptiens, mais aussi Orientaux (Perses, Arabes etc) sont autant de facettes d’une société riche et complexe.
Outre ses richesses agricoles, ce qui caractérise le mieux la province d’Égypte est d’être un creuset culturel majeur de l’Empire. La capitale y joue un rôle central, ce qui a été très bien exploité par Mateo Gil et Alejandro Amenabar. Même si la répression de 116-117 brisa son dynamisme, la communauté juive a été l’un des piliers de cette vitalité culturelle. Qu’il s’agisse de la traduction en grec de la Bible au IIIè siècle av. ou de la figure centrale de Philon d’Alexandrie, auteur au Ier siècle d’une œuvre monumentale, le poids de la culture juive a été très important. Berceau du néoplatonisme, synthèse d’approches platoniciennes, aristotéliciennes et stoïciennes, Alexandrie vit se développer en son sein un courant dominant de l’antiquité tardive. Hypatie en fut l’une des figures importantes. La bibliothèque d’Alexandrie, brûlée pour partie une première fois au moment de la guerre civile romaine (47 av.), garda un attrait jusqu’aux événements relatés pas le film. De nombreux érudits, poètes, philosophes, géographes ou historiens vinrent y travailler, à l’image de Ptolémée (vers 100 – 168) qui élabora ses calculs sur le mouvement des astres dans sa Syntaxis mathematica au IIè siècle.
Véritable creuset religieux, Alexandrie et de façon plus globale l’Égypte se sont construits en puisant dans des influences multiples. C’est Ptolémée Ier qui instaura en Égypte le culte du dieu Sérapis dont il est question dans le film. Il régna entre 305 et 283 av. notre ère et était l’un des généraux d’Alexandre le Grand. Sérapis synthétise les influences multiples : de forme grecque, empruntant à Zeus et encore plus à Hadès (il porte par exemple un himation, manteau grec, porte sur sa tête un boisseau servant à mesurer le blé, le calathos, est accompagné de Cerbère), son nom n’en reste pas moins égyptien. Dans cette perspective il se rapproche du culte d’Apis, mais aussi d’Osiris-Apis. Sérapis, lié à la résurection, à la pureté, à la prospérité cillait aux attentes et vision d’une large partie de la population entre les IIè et Vè siècles.
Le christianisme se développa en deux temps en Égypte. Du Ier au IIIè siècle la nouvelle religion s’installa lentement mais durablement. Clément d’Alexandrie dirigea le Didascalée, école catéchétique fondée entre 180-190 par le philosophe Pantène, converti au christianisme. Entre 190 et 220, Clément favorisa l’étude des textes, de la vérité, de la morale, ce qui séduit de nombreux intellectuels. Origène, né en 185 à Alexandrie, l’un des plus brillants intellectuels de l’antiquité, poursuivit cette démarche, faisant de l’acquisition des savoirs la clé de tout. Ordonné prêtre en 230, exégète majeur, son influence fut majeure sur les Père de l’Église et les évêques d’Alexandrie. C’est aussi en Égypte, au IIIè siècle, que se développa une forme particulière de la vie chrétienne, le monachisme.
Après les huit années de persécution décidées par l’empereur Dioclétien en 303, l’édit de tolérance de l’empereur Galère (311), confirmé par Constantin et Licinius à Milan en 313, marqua le triomphe du christianisme en Égypte et plus particulièrement à Alexandrie. Outre ses tensions internes qui ne sont pas abordées par le film (manichéisme ou arianisme par exemple), la seconde moitié du IVè siècle marqua la liquidation du paganisme. En 389 des moines d’Alexandrie détruisirent le temple de Sérapis à Canope. Deux ans plus tard, le Sérapeum d’Alexandrie, symbole absolu de la religion traditionnelle en Égypte, fut attaqué et fortement endommagé. Ces événements sont abordés par le film, avec la destruction partielle de la bibliothèque. L’année suivante, en 392, l’évêque Théophile appliqua l’édit de fermeture des temples. Il faudra attendre 551 et l’empereur Justinien pour que le temple de Philae soit définitivement fermé ; on peut donc présumer que les croyances et cultes païens perdurèrent sous certaines formes, clandestines, pour éviter que les fidèles ne finissent en martyr. En 413, sous l’évêque Cyrille, un pogrome contre les juifs est organisé, lui aussi abordé par le film. L’épiscopat de Cyrille (412-444) fut majeur pour achever la christianisation à marche forcée d’Alexandrie. De facto il chassa de la ville et de la vie publique païens et juifs.
Agora – Activités
Je fais le choix de me concentrer sur des activités de Terminale HGGSP. Si Agora peut être pour partie exploité en Seconde (Thème 1 : Le monde méditerranéen : empreintes de l’Antiquité et du Moyen Âge), il n’en reste pas moins que ce film trouve son plein potentiel avec des élèves plus matures. L’idée principale est d’exploiter le film une fois que plusieurs thèmes ont été vu, si possible, selon la programmation, ceux sur le Patrimoine, la Connaissance et les Mémoires. En fonction des choix les thèmes sur la Connaissance et les Mémoires peuvent être traités en début ou en fin d’année. Compte tenu de la suppression des épreuves anticipés de Mars, décalées à juin, les options pour exploiter le film sont donc beaucoup plus larges.
L’objectif des activités à suivre sera d’exploiter Agora pour produire des réflexions écrites, inciter aux recherches, afin de travailler spécifiquement le travail démonstratif nécessaire aux épreuves écrites. Le film est donc l’occasion de réviser des notions, de vérifier que les concepts ont été bien assimilés, mais aussi de travailler l’esprit critique et pourquoi pas de donner des idées pour le Grand Oral. Un film peut en effet aussi tout à fait servir de base à cette épreuve de fin d’année, pour peu que la réflexion soit approfondie.
Cadre pédagogique initial
Le film est vu en classe entière si possible. La spécialité HGGSP dispose d’une bonne base de temps disponible avec 6H hebdomadaires. Généralement il doit être possible de compter sur au moins un créneau de 2H dans la semaine, ce qui permet de voir le film sereinement.
Plusieurs ressources annexes sont exploitées ; articles de presse, critique de cinéma. Il peut donc envisager de devoir accéder à une salle avec connexion à internet ou préparer les documents en amont, pour une lecture devant toute la classe de certaines vidéos par exemple.
Scénario des activités
1 – Réaliser une critique du film d’un point de vue personnel, en identifiant dans un second temps ce qui peut être lié au programme.
2 – Aborder la question patrimoniale.
3 – Réfléchir à la construction d‘une mémoire de Hypatie, de ses travaux, de son image, entre féminismes et fantasmes sur l’antiquité.
4 – La transmission de la connaissance dans le temps.
5 – Exploitation des différentes critiques parues au moment de la sortie du film.
6 – Questionner le cadre géopolitique du filmVoir cet article : https://www.nytimes.com/2010/05/23/movies/23agora.html.
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Activité 1 – Rédaction d’une critique de film
La rédaction d’une critique après le visionnage d’un film nécessite de respecter quelques règles initiales. Ces dernières peuvent être adaptées à l’exploitation d’un documentaire ou des séries télévisées. Il est possible de prendre des notes immédiatement après le visionnage mais il est toujours important de savoir se donner du temps pour dépasser l’émotion immédiate. Pour faciliter la rédaction de la critique, il est possible de précéder de la manière suivante :
1 – Dans un premier temps profiter du moment. Il est souhaitable d’apprendre à ne pas se focaliser sur des à priori négatifs. Exemple classique : c’est un vieux film donc c’est moins intéressant car trop éloigné de nos représentations.
2 – Après la séance prendre quelques notes ; émotion, ce qui a été aimé ou non, l’ambiance, les acteurs, la musique etc etc.
3 – La rédaction de la critique à proprement parler pourra intervenir quelques temps après afin de laisser place à la réflexion nécessaire à l’exercice.
=> Que faut-il préparer pour préparer la critique ?
- Les références cinématographiques de l’œuvre : Réalisateur, scénariste, direction artistique, acteur, durée du film, studio de production, date de sortie.
- Structure de l’histoire en deux ou trois phrases.
- Séquences les plus marquantes.
- Les personnages principaux et le jeu des acteurs.
- Qualités de la musique, de la mise en scène, des dialogues, beauté des images.
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Rédaction de la critique
Introduction : dégager le thème principal de l’œuvre
Le résumé : (5 à 10 lignes)
Il ne s’agit pas de résumer toute l’histoire mais de présenter l’œuvre en exposant brièvement l’intrigue, l’époque, les lieux et personnages. Attention à ne pas dévoiler la fin de l’histoire pour laisser le spectateur la découvrir.
- présenter le film et son contexte. King Kong de 1933 de Cooper et Schoedsack n’a pas le même contexte de création que celui de Peter Jackson (2005) !
- relever le nom du ou des protagonistes, des personnages importants, des autres personnages … en faire une courte description (statut social, caractère, physique…) et dire quelles sont leurs relations les uns avec les autres.
- quels sont les différents thèmes abordés ? Faire des phrases courtes et toujours au présent.
Éviter les « on », « il y a » et toute autre formule vague …
Avis personnel : (7 à 10 lignes)
Réactions personnelles après le visionnage : donner un avis critique (avez-vous apprécié ce film et pourquoi ? A qui le conseilleriez-vous ?)
Il s’agit ici de justifier votre point de vue de façon précise en commentant :
- l’intrigue : suspense, mystère, intrigue simple ou compliquée, bien ficelée, captivante …
- les personnages : profonds, creux, attachants, héroïques, drôles, simples …
- les lieux, décors et technique : réalistes, fantastiques, sobres, vagues, qualité des effets spéciaux …
- l’ambiance visuelle et sonore : lugubre, gaie, violente, douce, extraordinaire, quotidienne, apaisante, angoissante
- le style de l’œuvre : familier ou soutenu, vocabulaire plutôt pauvre ou riche, rythme lent ou rapide, écriture plutôt soignée ou bâclée …
Finalisez en donnant une note à base d’étoiles / 5 ou une note chiffrée sur /10 ou / 20
*Les spécificités de la critique de film dans le cadre de la HGGSP
Deux cas de figure se présentent : seul le film était proposé dans un thème et dans ce cas la vous disposez d’un angle d’attaque, de problématiques il s’agira d’appliquer au visionnage. Exemple : vous êtes en train d’étudier le thème de la puissance, il faudra donc questionner le film qui vous était proposé dans cette perspective.
Deuxième cas de figure : vous regardez le film sans qu’il soit inclus un thème particulier, par exemple vous le regardez chez vous, dans un cadre privé. Il faut toujours être attentif se demandé ce qui peut être exploité par ailleurs. Dans ce cas là vous pouvez vous constituer petit à petit des fiches de différents films qui vous ont paru, un moment, intéressants à exploiter.
=> Le but de cet exercice est donc de travailler l’exploitation d’œuvres cinématographiques en autonomie, par exemple au moment des études supérieures, mais aussi de préparer plus spécifiquement les questionnements qui seront liés aux thèmes relevés en introduction.
Une reprise peut être faite en classe afin de relever les thèmes qui peuvent être exploités :
*Histoire et mémoires
*Identifier, protéger et valoriser le patrimoine : enjeux géopolitiques
*L’enjeu de la connaissance
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Activité 2 – Aborder la question patrimoniale
La rédaction de la critique a dû permettre de souligner les efforts de reconstitution des équipes de Alejandro Amenabar. Il sera possible de s’appuyer en complément sur cet interview
1 – Comment Alejandro Amenabar justifie-t-il son approche patrimoniale pour la reconstitution de Alexandrie ?
=> Poids de la série Rome et du renouveau des péplum. Volonté d’exploiter les outils virtuels, mais aussi de respecter la tradition des décors, des figurants. Travail à partir des sources archéologiques à disposition.
2 – En quoi ce film peut-il, ou non, participer à la préservation d’un patrimoine disparu ?
=> Ces reconstitutions s’inscrivent dans la droite ligne des visites virtuelles qui sont aujourd’hui proposées dans certains musées.
Exemple : visite virtuelle du tombeau de Néfertari proposée à Paris dans le cadre de l’exposition Ramsès et l’or des pharaons.
3 – Comment ce film illustre-t-il le fait que le patrimoine puisse devenir une cible dans les conflits ? Quels exemples actuels peuvent être cités ? Quelles mesures sont mises en place pour y faire face ?
=> De façon claire le film montre la destruction du Sérapieion en 392, sous la gouvernance de l’évêque Théophile. Il est tout à fait probable que Hypatie ait pu assister à la destruction partielle du sanctuaire de Sérapis. Comme le film l’illustre, les philosophes païens s’opposèrent avec force à cette destruction qui portaient également atteinte au savoir grec : le sanctuaire abritait une bibliothèque ainsi que les statues de sages et poètes illustres de la Grèce (parmi lesquels Pindare, Protagoras, Platon, sans doute Homère, Thalès, Héraclite, Démétrios de Phalère). Dans les sources cependant Hypatie n’est jamais évoquée dans l’histoire de ce conflit.
Il est possible de faire un parallèle avec les destructions en Syrie ou Irak. Dans les deux cas, ce qui est lié à la question 2, le virtuel peut être une façon de protéger ce patrimoine menacé, comme l’illustre cet exemple.
C’est l’UNESCO qui est chargée de la protection de ce patrimoine, au nom de la communauté internationale, ce qui doit avoir été vu en amont dans le cours (introduction : identifier, protéger et valoriser le patrimoine : enjeux géopolitiques).
4 – La destruction du Sérapeion est-elle un crime contre l’humanité ?
=> C’est une question qui permet de valider les acquis. Entre 1954 et 1999 divers protocoles sont été imposés par l’Unesco allant dans ce sens. Ils ont permis d’établir déclarent l’existence d’un « patrimoine culturel mondial » que les États ont l’obligation de respecter, particulièrement en cas de conflits et de guerres. La destruction des statues bouddhiques de Bâmiyân en mars 2001 par les islamistes a été dans ce sens un événement majeur. C’est elle qui a motivé l’adoption d’une nouvelle résolution de l’Unesco le 27 octobre 2001 qui établit un nouveau type de crime dit « contre le patrimoine commun de l’humanité ». En 2002 est créée la Cour pénale internationale de la Haye, chargée de juger les génocides, les crimes de guerre et contre l’humanité. Les crimes contre le patrimoine deviennent donc de son ressort.
Le lien pourra être fait avec le « jalon 4 – La destruction, la protection et la restauration du patrimoine, enjeu géopolitique. La question patrimoniale au Mali ».
Dans le cas précis du film, la notion de crime contre l’humanité ne s’applique pas à l’époque des faits, car le crime n’avait pas encore été qualifié d’un point de vue juridique. On rajoutera que les destructions patrimoniales étaient à l’époque courantes (exemple de la destruction de Carthage après la victoire romaine en 149 av.)
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Activité 3 – La construction de la mémoire de Hypathie
1 – Faire une recherche pour définir les sources principales nous permettant de connaître Hypathie.
=> Il est possible de s’appuyer sur le texte introductif illustrant la faiblesse de sources disponibles. Objectif : démontrer que le scénariste et réalisateur ont pris des libertés avec la réalité et que leur travail s’inscrit dans une construction mémorielle et non une reconstitution fidèle de la réalité historique.
2 – Exploitation de trois documents, un vidéo et deux textes. À l’aide de ces trois ressources, définissez en quoi Hypatie a été instrumentalisée, récupérée, pour servir de symbole politique ou culturel.
=> le troisième document est en anglais et sert à exploiter des sources étrangères, démarche nécessaire pour les études supérieures. Le texte peut permettre un travail en commun avec les collègues de langue.
Doc 1 – Vidéo Hypathie d’Alexandrie, une étoile brillante de l’Antiquité | Futura
Doc 2 – Texte de Voltaire
Je me contente de remarquer que saint Cyrille était homme, et homme de parti ; qu’il a pu se laisser trop emporter à son zèle ; que quand on met les belles dames toutes nues, ce n’est pas pour les massacrer ; que saint Cyrille a sans doute demandé pardon à Dieu de cette action abominable, et que je prie le père des miséricordes d’avoir pitié de son âme. Celui qui a écrit les deux tomes contre l’Éclectisme me fait aussi beaucoup de pitié.
Voltaire, Dictionnaire philosophique. Œuvres complètes de Voltaire, II, Paris, Lefèvre, 1827 : 1676
Doc 3 – Hypatie, icône du féminisme ?
Hypatia : A Journal of Feminist Philosophy is a forum for cutting-edge work in feminist philosophy. Since its inception in the mid-1980s, Hypatia has been a catalyst for broadening and refining feminist philosophy as well as an invaluable resource for those who teach in this area. Feminist philosophy arises out of diverse traditions and methods within philosophy and is also richly interdisciplinary in orientation. Hypatia’s commitment to the development of feminist philosophy entails that, in all its policies and practices, Hypatia actively reflects and engages the diversity within feminism itself, the diverse experiences and situations of women, and the diverse forms that gender takes across the globe. Promoting diversity within feminist philosophy and within philosophy in general is thus one of Hypatia’s core objectives. We are committed to publishing articles that are broadly accessible. Hypatia serves as a resource for the wider women’s studies community, for philosophers generally, and for all those interested in philosophical issues raised by feminismhttps://www.cambridge.org/core/journals/hypatia#.
Dr Bonnie J. Mann University of Oregon, USA, Dr Erin McKenna University of Oregon, USA, Dr Camisha Russell University of Oregon, USA, and Dr Rocío Zambrana Emory University, USA
=> Si l’on devait résumer l’intérêt pour le programme d’exploiter Agora pour ce thème, il suffit de se pencher sur la construction de sa mémoire à travers les siècles et de voir comment le film s’inscrit dans cette suite. Quintessence de la femme savante à Byzance chez Nicéphore Calliste dans son Histoire Ecclésiastique, elle incarnait chez Voltaire la lutte entre la science et la théologie.
Aujourd’hui, elle représente une figure centrale du féminisme en plus d’être une muse reconnue de la science.
L’artiste Judy Chicago fit figurer Hypatie dans son Dinner Party de 1979, table triangulaire autour de laquelle 39 convives sont représentées. Cette œuvre est aujourd’hui visible au musée de Brooklyn.
Mais cette approche tend également à idéaliser Hypatie. En faire une féministe avant l’heure c’est prendre le risque du contresens, de l’anachronisme. Le regard porté au XXIè siècle sur l’antiquité tardive est par définition un regard déformé par nos propres questionnements. Ce film alimente donc une mémoire positive, militante, mais n’est pas à mettre sur le même niveau de réflexion qu’un travail historique rigoureux. Il en dit plus sur nous, finalement, que sur Hypatie. Un élément intéressant : Hypatie, à aucun moment dans le film, ne remet en cause l’esclavage. C’est là une démarche salvatrice du film pour essayer de rester cohérent avec l’époque traitée.
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Activité 4 – La transmission de la connaissance à travers le temps
Exploitation de plusieurs extraits :
13’ le cours dispensé (environs 2 minutes)
50’ La destruction de la bibliothèque (environs 3 minutes)
1h22’ Femme et philosophie face à la religion (10 minutes environs)
1 – Par quels moyens la connaissance se transmet-elle ?
=> Oralité chère aux néoplatoniciens, écrits sous forme de rouleaux de papyrus, de parchemins. Les personnages principaux, à plusieurs reprises, discutent, même en dehors du cadre des leçons, pour le plaisir du savoir et de l’échange. Ce sont des érudits qui semblent coupés des tourments du monde le temps de ces échanges.
2 – Quels sont les freins à la diffusion de cette connaissance ?
=> Il y a des freins matériels : fragilité des supports et oralité s’évaporent dans le temps et expliquent que nous connaissons finalement assez mal nombre de réflexions de cette époque. Il y a aussi bien entendu le blocage religieux, à la foi quant à la place des femmes et encore plus quand à la volonté ici de la religion chrétienne de faire table rase du passé pour imposer une nouvelle grille de lecture du monde.
=> Il peut être possible de proposer de faire un parallèle avec l’approche de FAHRENHEIT 451 et notamment de la version de Michael B. Jordan (2018) qui inclus internet et le numérique dans les cibles de sources de connaissance à détruire et contrôler. FAHRENHEIT 451 est assez souvent exploité par les collègues de lettres, donc c’est une piste tout à fait envisageable.
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Activité 5 – Exploitation des critiques à la sortie du film
Organiser un débat en partant de 3 critiques. Il s’agit ici de sonder la capacité des élèves à argumenter, à nuancer, à porter leur propre regard critique. Le film ayant été vu, le débat pourra être étayé par le ressenti des élèves.
Doc 1 – Une critique charge :
« Agora » : un peplum intellectuel pour célébrer Hypatie, mathématicienne et païenne
Alejandro Amenabar tente de renouveler les lois du genre. Par Thomas Sotinel
Doc 2 – Une critique plus nuancée parue sur le même journal :
Agora : le christianisme comme frein à la science ? par Eric Nuevo
Doc 3 – Une critique à charge tirée d’un site spécialisé dans le cinéma (Allociné)
Ce film, présenté comme une fresque historique sensée être inspirée de faits réels, est de ce fait fortement contestable car il n’est rien d’autre qu’un violent pamphlet antichrétien réalisé par un militant convaincu qui n’hésite pas à travestir la réalité historique pour aller dans le même sens manichéen propagandiste. D’un côté, la sympathique société païenne (qu’Amenabar assimile à l’athéisme contemporain), synonyme de lumière rationaliste et représentée par la si belle Hypatie, pour l’occasion rajeunie sous les traits de Rachel Weisz, qui avait découvert douze siècles avant Keppler, presque en claquant des doigts, que la Terre tournait autour du soleil sous une forme elliptique. De l’autre côté, l’obscurantisme fanatique de la secte d’assassins des Chrétiens, brutes épaisses assoiffées de sang habillés tout de noir et aux yeux injectés de sang, prompts à la lapidation et dirigés par le foncièrement mauvais évêque Cyrille, uniquement préoccupé par son propre pouvoir. Le message d’Amenabar pour les plus faibles est clair : le christianisme aurait, en quelque sorte, inventé le fanatisme religieux. Rien ne nous est épargné pour forcer le trait : les Juifs sont évidemment persécutés avant d’en arriver au massacre généralisé, leurs cadavres transportés en charrette, les bourreaux très satisfaits de leur œuvre, puis brûlés selon une méthode digne des Einsatzgruppen SS et la « Liste de Schindler » ; les manuscrits de la bibliothèque d’Alexandrie détruits par les Chrétiens alors que les historiens ne sont absolument pas d’accord sur l’origine de ces destructions : guerres romaines, troubles postérieurs ou conquête arabe, chacun y ayant certainement contribué. Bon, de fait les chrétiens ont été, de la prédication du Christ jusqu’à l’édit de Constantin (313), très régulièrement persécutés par les païens, puis ils le furent par d’autres Chrétiens se revendiquant être les vrais dépositaires du culte, en tout cas cela s’inscrivait dans une lutte politico-religieuse d’influence au sein d’un Empire en décomposition. En outre, dans la société romaine païenne, le statut de la femme était de jure nettement inférieur à celui de l’homme, lui refusant, à de très rares exceptions près, tout rôle public. A une époque misogyne et brutale, ce statut a (lentement) évolué en partie grâce à la prédication chrétienne, ce dont des femmes comme Hypatie ont, ironiquement pour Amenabar, profité. Elle fut donc la victime d’un petit groupe de fanatiques, comme il y en avait dans toutes les communautés, et non pas du christianisme. L’accueil très mitigé du film aux Etats-Unis contraignit Amenabar à rétropédaler en prétendant que les chrétiens de son film ne symbolisaient que le fanatisme en général, mais il ne peut cacher sa volonté de régler ses comptes en jugeant quelques faits passés il y a 16 siècles selon notre vision moderne, ce qui a fait refuser à Nicole Kidman le rôle d’Hypatie, dévolu à une Rachel Weisz molle et peu charismatique. Sur la forme, le film est impressionnant par ses moyens techniques, bénéficiant d’un très bon budget, mais avec un peu plus de recul, moins de parti pris, peut-être que le message de dénonciation de l’intolérance par Amenabar aurait été acceptable. On ne dénonce pas la haine par de la haine.
=> Si les deux premiers textes ont été proposés par des journalistes, le troisième vient d’un spectateur. Le web 2.0 est l’occasion pour tout un chacun de proposer son avis, et il m’apparaissait opportun de proposer ici une vision non « professionnelle ».
Il n’y a pas d’attente particulière autre que celle de voir les élèves échanger et surtout argumenter. Dans ce cadre, selon les avis, il est possible de constituer deux groupes, pour ou contre le film, tandis que les avis plus neutres devront être convaincu par l’un ou l’autre des groupes. Ce genre de débat fonctionne en général bien et plait aux élèves.
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Activité 6 – Questionner le cadre géopolitique du film
Documents de base : deux interviews, l’une du réalisateur, l’autre permettant également de prendre ne compte l’avis de la principale actrice, Rachel Weiz.
Doc 1 – Interview pour le site Cinespagne.comVoir http://www.cinespagne.com/interviews/2024-amenabar-agora
Alejandro Amenábar (Tesis, Ouvre les Yeux, Les Autres, Mar Adentro) reçoit les journalistes dans l’ambiance feutrée de l’hôtel particulier Montmartre. Assis sur un fauteuil en velours, le visage collé à l’unique lampe qui éclaire faiblement le salon, il présente son dernier film, Agora. Ce drame historique, construit autour de la figure d’Hypatie, célèbre astronome et philosophe du IVe siècle, retrace le combat entre la raison et l’intolérance religieuse à Alexandrie.
Vous avez réalisé un film sur la violence religieuse. J’aimerais savoir de quelle manière les attentats de Madrid vous ont touché et dans quelle mesure ils sont un point de départ du film.
Évidemment, en Espagne nous vivons de très près cette violence terroriste. Quand sont apparues des polémiques sur la question du public du film, j’ai dit qu’un terroriste de l’ETA devrait se sentir plus concerné qu’un chrétien normal, qui ne va pas tuer pour ses idées. Quand on regarde le journal télévisé, on voit des actes terroristes commis par des personnes prêtes à tuer pour leurs idées. Etant donné le contexte dans lequel je vis, c’est une chose que j’ai du mal à accepter. Cependant, je ne crois pas que cela ait été à l’origine du film.
Dans vos films, j’ai l’impression que les personnages principaux ont toujours un double visage: vivants et morts dans Les Autres, beau et défiguré dans Ouvre les yeux… Ici, il s’agit du combat entre le côté tolérant et intolérant qu’il y a en chacun de nous. Pourriez-vous nous parler de cette double identité de vos personnages?
Plus que sur le noir et blanc, j’aime jouer sur les nuances de gris et montrer que les personnages peuvent réagir de différentes manières selon le moment. Concrètement, dans Agora, il s’agit de revendiquer ces personnages qui à un moment de l’Histoire ne sont ni avec les uns ni avec les autres. Parfois, il y a des circonstances politiques qui obligent à affirmer : « Soit tu es avec moi, soit contre moi« . La politique des États-Unis s’est radicalisée ces dernières années. En Espagne également, elle s’est radicalisée. Cela m’effraie assez parce que je n’aime pas l’idée d’appartenir à un camp. J’aime pouvoir changer d’opinion. Hypatie est une de ces voix du milieu qui finit par mourir écrasée par le radicalisme.
Agora est un film écrit en collaboration avec Mateo Gil (co-scénariste de tous les films d’Amenábar excepté Les Autres). Quelle est votre méthode de travail?
Mateo et moi commençons par nous enthousiasmer, nous passionner ensemble pour un sujet. Dans ce cas, il s’agissait de l’astronomie. Ensuite, nous nous réunissons et faisons un brainstorming pendant plusieurs heures. Quand nous trouvons un angle d’approche vraiment très spécifique, nous commençons à écrire. Nous écrivons tous les deux l’ensemble des séquences, puis nous comparons nos versions et au final c’est moi, en tant que réalisateur, qui tranche.
Quelle était la plus grande difficulté pendant la préparation et le tournage de ce film?
Il était fondamental d’optimiser les ressources. Le budget prévisionnel était de 80 millions d’euros et moi je ne voulais pas renoncer à montrer Alexandrie de la manière la plus réaliste possible. Je devais le faire pour 50 millions d’euros. Nous ne savions pas où économiser ces 30 millions. C’est cela « optimiser », quand tu sais que chaque mauvaise décision que tu prends, c’est de l’argent jeté à la poubelle. Pour moi, à ce niveau de décision, le plus important était d’arriver à ce que les erreurs inévitables que je fais tous les jours soient les plus réduites possible. C’est également ce qu’ont fait tous les chefs d’équipe.
J’ai l’impression qu’il y a toujours un sentiment religieux dans vos films bien qu’ils ne traitent pas frontalement de religion. Pourriez-vous nous parler de votre rapport à la religion?
La religion a à voir avec le transcendantal. Le transcendantal m’intéresse, de même qu’il m’intéresse toujours de proposer une réflexion sur notre condition. Que faisons-nous ici? Où allons-nous? Les réponses proposées par la religion sur laquelle je suis tombé, la Catholique, ne m’ont pas convaincu. Je crois donc que mon chemin consiste à continuer l’exploration. Je suis en train de chercher. Jusqu’ici, ce que j’ai rencontré de plus transcendantal et de plus spirituel a eu lieu lors de ces dernières années de lecture sur l’astronomie.
Pouvez-vous nous parler de l’influence de films comme les grands péplums ou La Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese ?
La Dernière tentation du Christ m’a semblé très intéressant, justement pour ce traitement réaliste, hyperréaliste dans certains cas. Nous sommes remontés jusqu’à Ben-Hur, La chute de l’empire romain, Spartacus et également Pharaon, un film polonais qui est fantastique car il atteint un grand niveau de réalisme. Il s’agissait de voir tous ces films puis de les oublier afin d’essayer de vivre réellement un voyage dans le temps. C’est de cette manière que je voyais les choses, comme si on nous avait laissé des caméras et que nous devions décrire une ville d’aujourd’hui, par exemple Paris. J’essayais de m’assurer que j’allais retrouver le maximum de détails pour que les spectateurs se fassent une idée d’Alexandrie à l’époque.
Étant donné que vous abordez la question de la violence religieuse, dans quelle mesure y a-t-il eu censure ou, plus précisément, autocensure?
Plus que de la censure, je ne voulais pas faire un film qui offense les croyants, la question étant déjà très présente dans l’actualité. Comment faire pour ne pas offenser celui qui ne pense pas comme toi ? Cependant, je voulais être très fidèle aux faits. Je me souviens avoir eu quelques discussions avec certains acteurs parce le film questionnait la figure de Cyrille par rapport à Hypatie. Mon principal argument était que beaucoup de chroniques sont des chroniques chrétiennes. C’est ainsi que nous savons avec quasi-certitude jusqu’à quel point Cyrille était impliqué dans la mort d’Hypatie. Le film ne le dénonce pas directement mais le signale comme l’instigateur de la mort d’Hypatie. Nous savons qu’elle est morte dans des circonstances dramatiques. C’est un épisode du christianisme très obscur et je crois que cela peut être comparé à la mort de Federico Garcia Lorca comme présage de la guerre civile espagnole. C’est un présage des événements à venir: la persécution massive et l’imposition de la foi.
Justement, avez-vous pensé à la Guerre civile espagnole en écrivant le scénario de ce film?
Oui, c’est une question que Mateo et moi nous sommes posée : « Si nous avions vécu un événement pas si éloigné de nous, tel que la Guerre civile, qu’aurions-nous fait selon le camp dans lequel nous nous serions trouvés ? » Nous aurions été obligés de prendre une mitraillette, de tuer des gens. Je t’aurais tué toi. C’est ce dont je parlais précédemment, ces voix qui sont au milieu, qui cherchent l’entente et sont finalement écrasées par l’hystérie collective. Je voulais en rendre compte dans le film. Quand la voix qui résonne ne se laisse plus entendre parce que les cris l’en empêchent.
Quels points communs voyez-vous dans la génération actuelle de cinéastes espagnols?
Il y a clairement une tendance au fantastique, mais c’est très difficile de trouver un point commun parce que ce qui a caractérisé le cinéma espagnol des dernières années a justement été la diversité. Personnellement, je fais un film d’un genre différent à chaque fois. Il y a le cinéma d’Almodovar, le cinéma social… Par exemple, Fernando Leon de Aranoa fait du cinéma social. Les films fantastiques viennent surtout de Catalogne, de réalisateurs comme Juan Antonio Bayona. Je viens d’ailleurs de produire un film fantastique. Plusieurs autres sont en tournage, alors on peut effectivement dire qu’il y a un véritable courant.
Pour terminer, quelles sont vos influences parmi les réalisateurs espagnols classiques?
Les réalisateurs qui m’ont le plus inspiré sont Spielberg, Hitchcock et Kubrick. Quand j’étais adolescent puis lorsque je suis entré à l’université, ce sont eux qui ont le plus attiré mon attention. Les réalisateurs espagnols qui me plaisent beaucoup sont Luis Buñuel ou encore Luis Garcia Berlanga, qui est beaucoup moins connu à l’étranger. J’aime aussi Almodovar. Mais je ne crois pas que ce soient des réalisateurs qui aient marqué ma manière de m’exprimer cinématographiquement. Par contre, Spielberg est un réalisateur dont j’ai énormément appris, de même que Hitchcock.
Doc 2 – Cannes 2009 : L’Agora d’Alejandro Amenabar (France 24)
1 – En vous appuyant sur ces deux documents, établissez quelles problématiques géopolitiques directes et indirectes ont influencé le film.
=> L’histoire de l’Espagne (Guerre civile), les attentats (ETA et ceux, islamistes de Madrid en 2004) sont des éléments clés pour comprendre la genèse du film. Le fait de montrer la violence chrétienne, pourtant fait historique avéré, a choqué (ce qui se retrouve d‘ailleurs dans certaines critiques qui ont pu être citées plus tôt).
2 – Quels choix ont pu alimenter la polémique, et pourquoi ?
=> Le fait de représenter les parabalanis d’un point de vue vestimentaire comme des islamistes de DAESH a choqué et représente un choix délibéré du cinéaste, ne reposant pas sur une réalité historique. La radicalisation religieuse concerne aussi l’Espagne et les USA (faire le lien avec les approches des faucons Républicains par exemple) et l’intégrisme, teinté d’obscurantisme, est au cœur de la matrice du film.
Le parallèle pourra être fait avec les exactions de DAESH à Mossoul par exemple.
3 – De quelle façon ce film illustre-t-il aussi la puissance du soft power étasunien ?
=> Le concept de soft power doit être totalement maitrisé en Terminale. Défini par Joseph Nye, il permet d’explorer la puissance culturelle d’un pays et sa capacité à influencer les autres nations, « l’habileté à séduire et à attirer ». Ici le fait que le Agora soit critiqué pour ne pas correspondre aux canons hollywoodiens du péplum, ou que Alejandro Amenabar cite de façon claire ses influences essentiellement issues des productions californiennes (La Dernière tentation du Christ, Ben-Hur, La chute de l’empire romain, Spartacus) sont autant de marques de la puissance d’attraction de Hollywood.
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Sources de travail
Maria Dzielska (Auteur), Monique Trédé (Préface), Marion Koeltz (Traduction), Hypatie d’Alexandrie, DES FEMMES, 2020
Anne-Françoise Jaccottet, Hypatie d’Alexandrie entre réalité historique et récupérations idéologiques : réflexions sur la place de l’Antiquité dans l’imaginaire moderne
https://journals.openedition.org/edl/390
Henriette Harich-Schwarzbauer, Hypatie d’Alexandrie
https://journals.openedition.org/clio/10575#bodyftn9