La Zone d’intérêt s’est emparée des salles obscures françaises le 31 janvier. Dans cette adaptation du roman éponyme de Martin Amis, Jonathan Glazer nous plonge dans une expérience visuelle mais surtout sonore autour de l’univers concentrationnaire.
Synopsis
Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.
Lauréat du Grand prix au dernier festival de Cannes, le film de Jonathan Glazer met en scène de façon novatrice et totalement inédite le camp d’Auschwitz et ses camps d’extermination. La zone d’intérêt nous propose une réflexion profonde sur la représentation cinématographique de la Shoah.
La zone d’intérêt, bien plus qu’un film sur la Shoah, un film sur le comportement des Hommes
Dans le langage nazi, la « zone d’intérêt » désignait la zone de 40 km² entourant le camp d’Auschwitz. Cette zone d’intérêt s’offre comme décor principal au film de Glazer. Le camp d’Auschwitz est lui aussi présent en arrière-plan de la maison du commandant Höss, où l’action se déroule. Il n’est donc pas caché ou sous-entendu que le film prend place au coeur de l’histoire du camp. Néanmoins, les spectateurs n’entreront jamais au sein du camp lui-même.
Au-delà de l’univers concentrationnaire, il est question de réfléchir sur le comportement humain avec des choix scénaristiques nous plongeant dans la psychologie des protagonistes. Sandra Hüller, récemment mise en avant pour son rôle dans Anatomie d’une chute, incarne la femme du commandant et nous offre une nouvelle performance à couper le souffle. Celle-ci demeure sans émotion particulière à l’égard des activités qui se déroulent dans le camp, elle vit avec sa famille dans une bulle sans pour autant ignorer les atrocités commises. La protagoniste témoigne d’un attachement matérialiste, elle s’obstine à construire un cadre de vie idyllique pour élever ses enfants, en total contraste avec la vie que l’on connaît dans les camps de concentration qui se trouve juste derrière le mur de leur villa. Le mur se ferait alors la possible représentation d’une frontière physique mais aussi psychologique entre d’un côté le cadre de vie et la mentalité de la famille Höss et de l’autre le camp d’Auschwitz.
Les personnages savent et entendent ce qui se passe de l’autre côté du mur de leur maison mais refusent de voir la réalité en face ou l’acceptent dans la logique d’un processus de déshumanisation des victimes. Dans ce sens, les fenêtres sont perpétuellement voilées par des rideaux derrière lesquels personne n’ose regarder.
Entendre l’immontrable : une prouesse audiovisuelle
Le film propose une approche novatrice de la Shoah. En effet, le film débute sur un écran noir de plusieurs minutes accompagné par une bande-son. Cette scène suffit à résumer le mouvement original du film : le spectateur ne verra rien mais entendra tout.
Dans La Zone d’intérêt, les différents sens du spectateur sont stimulés. Certains éléments visuels ne sont pas subjectifs et permettent au spectateur de s’immerger dans le décor où prend place l’action. De ce fait, le camp est présent par ses bâtiments en arrière-plan mais aussi et surtout par la présence des fours crématoires, des cheminées et d’une fumée permanente dans le ciel.
La réalisation du film est elle aussi spéciale. La Zone d’intérêt n’a pas été tournée de façon traditionnelle pour le cinéma mais avec des techniques proches de celles de la télé-réalité. Glazer se confie à ce sujet à l’IndieWire : « Je voulais filmer ça comme une télé-réalité »https://www.indiewire.com/features/craft/zone-of-interest-jonathan-glazer-unsafe-1234939951/. Pour mettre cela en pratique, il a fallu pas moins d’une dizaine de caméras visibles et cachées, et aussi de 60 microshttps://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=1000064394.html implantés dans toutes les pièces de la maison. C’est cette authenticité qui participe également au succès du film.
Le décor visuel et l’image sont en réalité au service du son, le maître du film. C’est par le son que les victimes de la Shoah sont présentes dans le film. Une multitude de sons sont omniprésents comme les cris des prisonniers, les hurlements et les aboiements des chiens. La bande-son, composée par Mica Levi, juxtaposée avec des moments de silence absolus crée une atmosphère anxiogène et oppressante tout au long du film. Ceux-ci entrent en contraste total avec le tableau de vie idyllique de la famille Höss, une tranquillité de vie en parfait décalage avec ce que l’on peut entendre en fond. Cette ambiance qui dérange est le fruit du génie du sound designer Johnnie Burn, qui vaut au film d’être nommé pour l’Oscar du Meilleur son.
Cette approche cinématographique originale a valu au film de recevoir le Grand Prix du Festival de Cannes mais aussi cinq nominations aux Oscars.
Une oeuvre exploitable pour les enseignants et les élèves
Il est nécessaire de prendre en considération que le film est et demeure une fiction, il n’a en aucun cas la prétention d’être un documentaire historique. Des éléments appartenant au réel ont été repris par le réalisateur, comme la villa et la famille des protagonistes ayant existé. Notons que le film s’inscrit dans une collaboration avec le Musée d’Auschwitz. Néanmoins, comme dans toute fiction, les différents éléments ont été scénarisés et modifiés. Nous retrouvons principalement une fiction psychologique autour des différents personnages. Il ne faut pas oublier que cette oeuvre cinématographique, comme n’importe quel film, est avant tout la mise en scène du point de vue que souhaite adopter le réalisateur mais aussi les scénaristes. Dans ce sens, La Zone d’intérêt est un film différent, proposant une approche plus indirecte de la réalité historique que d’autres films sur la Shoah qui s’attachent davantage à un récit auprès des victimes et des bourreaux, comme par exemple La Liste de Schindler de Steven Spielberg.
Pour autant c’est justement cette approche, au plus proche de la recherche historique actuellePour l’historien Johann Chapoutot : « Ce film est à la pointe de ce qui se fait en sciences humaines sur la Shoah » https://www.troiscouleurs.fr/article/interview-johann-chapoutot–la-zone-d-interet?fbclid=IwAR2UdSZhfQHHVid1uR49TE0TdAIGbiWwaVS8ZORAnmFcpJrnyr8YbbSCPvs., qui marque les esprits. D’ailleurs Jonathan Glazer a beaucoup travaillé en amont sur le véritable Rudolf Höss et sa famille, avant se se consacrer à l’étude du roman de Martin AmisVoir cette interview : https://www.ouest-france.fr/cinema/entretien-jonathan-glazer-mon-film-la-zone-dinteret-peut-se-voir-comme-un-avertissement-be6574ce-ba02-11ee-9ea4-b02fbeb9c343.
La Zone d’intérêt peut être une oeuvre pertinente pour le thème Histoire et Mémoires en spécialité HGGSP. Le film est une approche cinématographique du génocide juif. La Zone d’intérêt peut faire l’objet d’une étude croisée avec d’autres films traitant de la Shoah ayant une tout autre approche, comme Le Fils de Saul de László Nemes. En cela, La Zone d’intérêt peut être utilisée à l’écrit comme accroche ou ouverture mais peut aussi faire l’objet d’un sujet au Grand oral pouvant porter sur la représentation cinématographique de la Shoah.
La Zone d’intérêt, à découvrir sur grand écran
Un film actuellement disponible sur grand écran. Une occasion de découvrir l’approche particulière et exceptionnelle de ce film. Par ailleurs, La Zone d’intérêt signe le meilleur démarrage de 2024 dans les salles de cinéma françaises.
Pour aller plus loin :
• Interview de Tal Bruttmann par France Info : https://www.francetvinfhttps://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/sorties-de-films/grand-entretien-le-film-est-interessant-parce-qu-il-nous-plonge-dans-la-psyche-d-un-bourreau-de-cette-envergure-tal-bruttmann-historien-de-la-shoah-decrypte-la-zone-d-interet-de-jonathan-glazer_6332704.htmlo.fr/culture/cinema/
• Dossier thématique sur le Fils de Saul : https://cinehig.clionautes.org/le-fils-de-saul.html