War zone ou comment se faire surprendre, une nouvelle fois. Il y a quelque chose que je commence à comprendre avec le cinéma russe des 40 dernières années : on ne sait jamais vraiment où l’on va lorsque le film se lance.

Je me suis intéressé, il y a quelques années, à cet opus direct DVD pour des raisons très basiques ; une affiche avec un robot, des tanks, bref, dans la recherche d’une exploration de la pop culture russe avec un film d’action truffé de robots dans des duels improbables, dans la droite ligne des aventures de Grandizer. ce film semblait donc tout désigné pour épancher ma soif de geek.

 

Peut-être allais-je plutôt découvrir une sorte de « Pacific Rim » avant l’heure, mais dans le Caucase, et sans Kaijū.

 

Plus certainement une version russe des « Transformers » ! Après tout, pourquoi les robots de l’espace atterriraient-ils toujours aux USA ou chez leurs alliés ?

 

Et bien non, comme souvent, j’avais tort.

 

Du nanar au film usant de la pop culture pour faire de la propagande

Je l’avais alors gardé de côté pour une de ses soirées où, rentré du boulot, on est lessivé. Le cerveau en est réduit à sa capacité de réflexion la plus basique, il est donc simplement temps de se vautrer lamentablement dans le canapé pour déguster un film qui sera directement envoyé dans mon top nanar 2014. Et bien non. Une fois de plus, comme par exemple avec « White Tiger », j’ai été totalement pris à contrepied. Assurément la lecture du russe m’aurait aidé : le titre occidentalisé, très accrocheur, « War zone », n’a rien à voir avec le titre originel : « 8 août », le début de la guerre en Géorgie. En sachant ceci, les choses paraissent déjà plus claires.

La guerre en Ukraine et plus particulièrement l’invasion entamée en février dernier m’a convaincu de retrouver ce film et de le revoir. Avec le recul, je reste sur la même impression qu’il y a 8 ans. Ce film mérite qu’on lui accorde du temps.

Les 5 premières minutes font peur : là, la place de numéro 1 dans les nanars 2014 semblait quasi assurée. Et puis premier choc ; je ne dévoile pas de secret car tout est tout est dit, dès la sixième minute. Les robots ne sont pas là. Ils appartiennent à l’imaginaire d’un petit garçon. Adieu la série Z régressive pleine de furie, bonjour le conflit géorgien de 2008. Un moment d’histoire immédiate. La guerre vue du côté de Poutine. Il ne faut donc pas être trop fatigué et garder le cerveau alerte, afin de poser le nécessaire regard critique face à un objet qui fleure bon la propagande.

 

Et oui, l’armée russe n’a pas beaucoup changé depuis 2008 finalement … les Z en plus

War zone ou la géopolitique du Caucase en plein JO de Pékin

Ce film mérite franchement qu’on y consacre 2 heures de sa vie. Au rayon des faiblesses, la propagande assez grossière de Moscou. La Géorgie attaque la pauvre petite enclave ossète et le Grand Frère russe va tout faire pour éviter un massacre. Ces pervers d’américains livrent M16 et uniformes à des Géorgiens totalement déshumanisés derrière leurs cagoules, meurtriers de civils et traitres au possible. Pour qui suivra un peu la géopolitique caucasienne il sera bon de rappeler que Poutine a lui-même avoué en 2012 avoir tendu un piège aux Géorgiens, que le président Saakachvili est tombé dedans de manière assez grossière et s’est fait fesser de manière magistrale en 5 jours. L’Ossétie est passée sous contrôle russe et la Géorgie, malgré la volonté de Washington de la faire entrer dans l’OTAN à l’époque, s’est écrasée. Le président Sarkozy s’est mis en avant comme grand sauveur et architecte d’une paix retrouvée dans ses tréfonds du Caucase, il peut aujourd’hui mesurer, à l’aulne des troupes russes toujours présentes sur place, de la guerre de haute intensité en Ukraine, de l’extrême difficulté occidentale à faire barrage face à Poutine (Medvedev à l’époque, donc Poutine CQFD).

 

 

Guerre de narration d’une guerre

Mais revenons-en à « War zone ». Regrettable, bien que logique, cette approche très simplifiée des prises de décisions russes a au moins le mérite de nous rappeler, à nous Occidentaux vertueux, que tout le monde ne pense pas comme nous. Les gentils sont ceux qui gagnent la guerre, donc après tout le film fait exactement ce que Hollywood a souvent fait car pour le coup les Russes ont écrasé la pathétique intervention géorgienne. À ce titre « 5 days of war » traite du même sujet mais du côté géorgien et occidental, et fera l’objet lui aussi d’une mise en perspective nécessaire. Sorti un an avant le film de Dzhanik Fayziev, il fait preuve, lui aussi, d’une approche binaire totalement assumée, faisant des Russes des méchants absolus face à de Géorgiens nécessairement gentils.

 

Les Russes sauvent les civils … fiction, science-fiction ??? Ou simplement guerre des narratifs ?

 

Ce gros bémol présenté, reste un film intéressant. Les moyens ont été mis et l’action est de qualité. Les combats sont percutants, réalistes. Les civils sont des victimes aisées, classiques et les Géorgiens ont bien commis, comme les Russes par ailleurs, des crimes ponctuels d’innocents. Désolé BHL, ça reste tout de même la guerre et cette dernière n’est jamais simple.

 

Amour et propagande

Mais, ce qui m’a le plus frappé et touché, c’est le petit garçon. Dans « White Tiger », Karen Shakhnazarov avait créé un dieu de la guerre incarné en char allemand indestructible. Délirante, cette approche mystique avait quelque chose de fascinant quoiqu’au final inaboutie. Et bien ici Dzhanik Fayziev prend un peu le même chemin. Pour survivre au divorce des parents, pour échapper à ce monde réel qu’il a du mal à comprendre, le petit Artyom parle avec des personnages imaginaires incarnés par des robots. Nous voilà donc plongé dans le regard d’une guerre à travers les yeux d’un enfant. Sa mère, Kseniya, 23 ans, veut refaire sa vie mais voue un amour absolu à son fils. Cet amour est tel qu’elle accepte de l’envoyer en vacances chez son ex-mari, militaire sympa, toujours amoureux de son ex et heureux de revoir son fiston. Sauf que voilà, les Géorgiens s’en mêlent et envahissent la villégiature de vacances des grands-parents. Le drame social devient film d’action, course d’une mère à la recherche de son fils, fils coupé de la réalité et tentant de fuir de terribles robots dirigés par le Maître des Ténèbres, entrecoupé de scènes de justification de l’intervention russe en Ossétie du sud. Et puis, ce n’est pas un film américain … donc même les gentils peuvent mourir.

Un film étrange, intéressant, où la propagande n’est jamais loin, mais où la poésie a aussi sa place, le tout servi par des effets spéciaux tout à fait honnêtes Un hymne à la Russie, mais aussi à l’amour maternel. Et puis le réalisateur parvient même à humaniser un Géorgien ! Le jeu d’acteur est sans doute limité pour nos canons occidentaux, les événements du Donbass, de Marioupol, donnent à ce traitement une toute autre mise en perspective mais ce moment de pop-culture étrange est un très bon objet d’étude. Le lien avec « l’opération spéciale » visant à dénazifier l’Ukraine, peu sembler ténu car il est ici question du Caucase, de l’Ossétie. Et bien je ne crois pas, justement qu’il faille dissocier ces crises et leur traitement cinématographique. Dzhanik Fayziev utilise exactement les mêmes ressorts qui seront repris pour le film « Crimée » d’Aleksey Pimanov. La Russie apporte la paix, la protection, à des civils victimes d’agresseurs inhumains, ici les Georgiens, là les Ukrainiens. La population russe est conditionnée à grands coups de productions cinématographiques, même improbables, pour accompagner un mouvement de fond, une envie du Kremlin de s’assurer ses marches contre contre présence occidentale.  Directement avec « Crimée », ici plus subtilement avec des ressorts de pop-culture, avec ces robots très proches des mechas nippons,  le propos reste le même. « War zone » ou le cinéma au service de la puissance russe, pour une population qui doit soutenir le pouvoir en place, l’unité de la nation. Retrouver de la fierté est un objectif clair et, pourquoi pas, rayonner à l’étranger. Force est de constater que ceci peut fonctionner un peu, ces films finissent par sortir un peu partout dans le monde et toucher un plus large public que la simple population russe. La preuve, le voici ici, sous nos yeux.

 

 

Bien entendu, dans la suite de ce dossier, « 5 days of War » aura droit lui aussi à son billet.

 

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Fiche technique

2012 / 2h / Drame, guerre

Titre original Август. Восьмого (littéralement « »)

Réalisateur : Dzhanik Fayziev

Scénaristes :  Michael A. Lerner et Dzhanik Fayziev

Production : Djanik Faïziev Fiodor Bondartchouk

Avec Svetlana Ivanova, Maksim Matveyev, Egor Beroev, Artyom Fadeev