The loudest voice représente l’archétype de la série qui a pu passer complètement inaperçue pour nombre de citoyens lors de sa diffusion, sur Canal Plus en 2019 puis 2020, et qui mérite d’être remise en avant au regard de l’actualité.

Synopsis

De son implacable réussite à sa honteuse disgrâce pour harcèlement sexuel, voici l’histoire de Roger Ailes, le faiseur d’opinion le plus puissant des États-Unis. L’homme qui a permis l’avènement de Donald Trump. Tout commence en 2006. Roger Ailes a une obsession : faire de Fox News, la chaîne 100% républicaine qu’il a créée dix ans plus tôt, la première chaîne d’infos du pays. Il y contrôle tout, de ce que disent les journalistes à la longueur des jupes des animatrices de ses talk-shows…

 

 

La vie de Roger Ailes, adaptée de la biographie du même nom écrite et publiée en 2014 par Gabriel Sherman, nous tend un miroir hallucinant sur notre société, son monde médiatique. « Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas » affirmait Jacques Chirac en 2002 à propos du réchauffement climatique. Il n’est pas question de cette question ici, quoique d’une certaine façon si car Ailes et sa chaine Fox News sont à ranger du côté des climatosceptiques, mais plutôt de traiter du réchauffement médiatique, soufflant sur les braises ardentes d’une société qui ne demande qu’à porter au pouvoir les personnalités les plus improbables.

Improbable comme a pu l’être en 2016 l’arrivée au pouvoir d’une ancienne star de la télé réalité, milliardaire sulfureux, adepte des blagues graveleuses et des regards appuyés sur les courbes féminines, totalement en phase avec le personnage joué par Russel Crowe. Ce dernier est incroyable et sa performance justifie à elle seule que l’on regarde la série.

 

 

Un regard sur 20 ans d’histoire des États-Unis

 

En sept épisodes Tom McCarthy et Alex Metcalf nous proposent une plongée dans l’univers médiatique et politique des États-Unis, au cours de deux décennies qui ont profondément changé le monde. À la fin de la Guerre froide et d’une forme de mondialisation heureuse, héritière des « bisounours » comme l’a si justement présenté Alain Bauer, le monde semblait destiné à devenir un havre de paix sous l’aile protectrice de l’hyperpuissance américaine.

 

 

La série débute ainsi en 1995, pour s’achever en 2016. En vingt ans le monde a été bouleversé, et les États-Unis ont changé. Internet, la globalisation, le 11 septembre 2001, l’Afghanistan, l’Irak, une crise financière majeure, la Syrie, la montée des populismes, l’Ukraine, Obama et, enfin …. Trump.

 

Et oui, Trump va se lancer

 

 

1995 ; 2001 ; 2008 ; 2009 ; 2012 ; 2015 ; 2016 : le découpage est excellent et permet à lui seul une exploitation avec des élèves. Chaque épisode dure 50 minutes environs et permet une exploitation sans avoir besoin de tout voir. Le second est ainsi un petit bijou permettant de comprendre comment les attaques du 11 septembre 2001 ont profondément impacté les mentalités aux États-Unis et comment les médias s’en sont emparés. Comment Fox News a accompagné le président Bush et ses faucons dans une guerre contre le terrorisme, niant la grille de lecture politique de Clausewitz, lançant les EUA vers les défaites politiques futures en Afghanistan, Irak ou Syrie.

 

Pouvoir et médias, pour la guerre : accompagner un narratif pour justifier une décision

 

Construire une opinion publique pour transformer l’Amérique

 

Roger Ailes avait un objectif : transformer son pays de l’intérieur. Comment ? En exploitant la force des médias et plus particulièrement de la télévision. C’est ainsi que nait Fox News. La question centrale posée par la série renvoie à une phrase géniale prononcée par un Russel Crowe littéralement habité par le personnage : « Les gens ne veulent pas se tenir informé. Il veulent se sentir informé ».

 

Tout est là. Lumineux. Raconter le monde de telle façon à ce que la population soit d’accord. Présenter les faits de façon totalement partiale, partielle, pour attiser des émotions négatives. Les réponses apportées par le pouvoir politique iront alors dans le sens voulu. Roger Ailes devient faiseur de roi en préparant le terrain, ce qu’il ne savait pas en 1995, à Donald Trump. On ne peut comprendre l’élection de 2016, après celle d’Obama, sans avoir mis en perspective le long travail de sape entamé par le magnat de médias.

Jouer des peurs, être vulgaire pour parler au peuple, installer le populisme, le culte de l’émotion pour mieux contrôle une population à qui on aura éteint petit à petit la raison, sont autant de chemins empruntés par Ailes.

 

Un système au service d’un pervers sexuel

 

Outre les mécanismes médiatiques et politiques, l’histoire de Roger Ailes est aussi bien entendu celle d’un obsédé sexuel qui profita de ses collaboratrices, pratiqua allègrement le harcèlement sexuel, traumatisa des femmes pour qui, parfois, il semblait falloir satisfaire les demandes d’un patron pour espérer progresser dans l’entreprise.

 

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Les faits sont établis, implacables. La série n’occulte rien et les images mettent mal à l’aise plus d’une fois. C’est ainsi non seulement la reconnaissance pour ces victimes, mais aussi l’exposition sur la place publique de ces pratiques, pour dénoncer un système, qui participent à la force de cette série.

 

Une série, au cœur de l’été 2024

 

J’avais prévu de mettre en avant cette série. Elle est très utile en HGGSP, pour le programme de Première, comme je l’ai proposé sur cette liste, pour le « Thème 2 : S’informer : un regard critique sur les sources et modes de communication ».

Mais en cet été 2024 qui début, le calendrier politique imposé par la dissolution, a accéléré les choses.

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Un milliardaire qui exploite les médias pour faire infuser des idées, ses opinions, en espérant décrocher la timbale politique par la suite. Le mouvement est entamé depuis longtemps en réalité, à travers notamment l’exploitation de la chaine CNews. Voilà deux ans déjà la chaine Youtube Blast proposait déjà un parallèle entre la série et la montée de la chaine qui voyait Éric Zemmour s’installer de plus en plus souvent sur les écrans.

 

 

The Loudest voice, la voix la plus forte, est une série à (re)découvrir en cette quinzaine qui nous mènera jusqu’au 7 juillet, pour comprendre comment les médias traditionnels, en l’occurrence la télévision, mais aussi la radio, peuvent accompagner la montée d’une opinion publique désireuse de renverser la table politique. Accompagner, ou générer ? Chacun se fera son opinion. La série en tout cas complète parfaitement le travail proposé par La fièvre présenté dans un premier article.

 

Après le 7 juillet, compte tenu de ce qui pourrait de profiler dans les urnes, il sera temps l’année prochaine en HGGSP d’exploiter un épisode de cette série. Le second est tout indiqué pour le 11 septembre, ou le dernier, pour entrevoir l’arrivée de Trump au pouvoir. Cette année sera aussi celle du possible retour du golfeur milliardaire au pouvoir, donc la série restera une porte d’entrée intéressante. Pour la suite, en fonction des (r)évolutions à venir, il semble que les enseignements de spécialité soient potentiellement condamnés. La HGGSP disparue, resterait alors des pistes en EMC, pour peu que les réflexions sur les médias soient encore possibles en fonction des programmes.

Restera au pire du pire la possibilité de réfléchir en tant que citoyens car oui, les séries TV peuvent y concourir.