Si les rédacteurs de Clio ciné connaissent bien les services de l’institut national de l’audiovisuel, notamment le très riche catalogue de documents d’archives, nous avions perdu le contact avec le service de presse de «l’Ina boutique », pour assurer cette veille éditoriale qui est la marque de fabrique des Clionautes.
Nous espérons toujours développer une collaboration fructueuse avec les services de l’institut national de l’audiovisuel, notamment dans le cadre des « jalons », et particulièrement à l’occasion des rendez-vous de l’histoire de Blois. De ce point de vue les Clionautes peuvent très largement fournir compétences et rigueur de gestion à l’occasion d’un événement majeur pour nos disciplines enseignées.
En attendant, nous sommes heureux de démarrer ce nouveau partenariat avec les services de la division « produits » de l’institut national de l’audiovisuel, en présentant cette fresque monumentale, qui se dévore au fil des visionnages, et qui permet une mise au point scientifique particulièrement accessible, grâce aux interventions de 36 historiens de 12 nationalités différentes.


Bande annonce La grande guerre des nations par Ina_Communication

« La grande guerre des nations », est un titre particulièrement heureux. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, et un siècle après le début de cette guerre, au moment où à l’Est de l’Europe, s’affirment encore des revendications nationales, ce passé interpelle notre présent.

Car, tout est dit ou presque, dès les premières images du premier DVD. Le monde en 1914 est aussi mondialisé que celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. Et c’est pour cela que l’on pense cette guerre impossible ; « les nations qui font du commerce entre elles ne se font pas la guerre », du moins c’est ce que l’on croit.
Le titre du premier épisode de la série: «la guerre impossible», résume bien les enjeux de cet été 14, au moment de ce basculement que l’on imaginait bref.

Car la course aux armements, les préparatifs des états-majors, ressemblent en partie, surtout pour les plus grandes puissances européennes, à une forme de dissuasion. La puissance des armes nouvelles, celles qui ont été expérimentées, sur les champs de bataille périphériques, comme la guerre des boers, ou les guerres balkaniques, entre 1912 et 1913, rend ces affrontements inimaginables.

Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle, la triple alliance, héritage de la politique bismarckienne d’isolement de la France, s’était maintenue, même après le départ du chancelier de fer en 1890. Les ambitions coloniales de l’Allemagne se sont heurtées à une alliance de circonstance, entre les adversaires d’hier, devenu cordialement amis en 1904, tandis que la Russie autocratique s’entend avec la république française, et que la Marseillaise retentit dans le port de Cronstadt.
Dans cette Europe ou les familles princières, se retrouvent cousines, entre les Windsor et les Romanov, et le Hohenzollern, tous descendants de la Reine Victoria, une guerre familiale serait difficilement envisageable.

Le second épisode de cette série, intitulé : « le suicide de l’Europe », montre que si les forces en faveur de la paix ont finalement échoué, et au passage on remarquera la faible place qui est consacrée à l’action des socialistes européens à la veille de la guerre, c’est parce que derrière ces stratégies des états, la mobilisation des esprits n’avait pas été prise en compte. Les différentes tensions, notamment coloniales, avec l’affaire marocaine, préparent peu à peu à cette idée que la guerre peut constituer un moyen de régulation, et de résolution, d’une situation conflictuelle.
Le jeu des alliances conçues comme une sorte de dispositif d’affirmation de puissance, en partant de l’idée qu’elles pourraient jouer un rôle dissuasif, se révèle au final particulièrement efficace. À l’exception de l’Italie, qui avait signé un accord secret avec la France de non–belligérance, les engagements sont tenus. On notera que l’Angleterre prendra comme justification de son intervention l’invasion de la Belgique. Au final, les rapports de force géopolitique hérités des siècles précédents, se retrouvent encore une fois dans le conflit.
Les états-majors ont intégré les armes nouvelles en poussant jusqu’à leurs limites les leçons des guerres napoléoniennes. L’offensive en pénétration profonde,– le plan 17 ou le plan Schlieffen obéissent à la même logique – , les mouvements rapides de troupes nombreuses, et ce sont les enseignements des guerres précédentes avec l’utilisation du chemin de fer, qui s’appliquent, tout cela est mis au service de l’espoir d’une guerre courte permettant dans un second temps d’ouvrir des discussions pour régler le problème.
Rien ne se déroule comme prévu, la bataille permanente s’inscrit dans la durée, et dans toutes les dimensions. La terre, l’air, la mer deviennent des champs de bataille, tandis que les empires coloniaux sont à la fois engagés dans la guerre mais également théâtres d’opérations, comme au Cameroun ou dans les îles du Pacifique où naviguent corsaires allemands et croiseurs japonais.

Le troisième épisode, « une victoire sans vainqueurs », met l’accent particulièrement sur l’année 1917, longtemps appelée l’année terrible. La lassitude devant les combats qui s’éternisent, le début d’une sorte d’épuisement de l’Allemagne qui perd probablement 700 000 personnes du fait des privations et des difficultés entraînées par le blocus, l’impact de la révolution russe, l’entrée en guerre des États-Unis, conduisent à une accélération des offensives, sur l’ensemble des fronts. Celle de mars 18, lorsque l’armée allemande jette toutes ses forces dans la bataille et parvient encore menacer Paris, l’offensive de l’armée italienne sur la Piave, qui lave l’humiliation de Caporetto, l’avancée rapide des troupes britanniques, alliés aux tribus arabes, contre les forces de l’empire ottoman dans la province d’Irak et en Syrie, et d’autres encore pourraient être citées.

Cet affrontement général, cette reprise des offensives, finit par porter les coups décisifs aux puissances centrales, tandis que les États-Unis, banquiers de l’entente apparaissent comme les grands vainqueurs et surtout les bénéficiaires directs de ce suicide de l’Europe qui aura duré près de cinq ans.

« Le prix du sang » revient sur les conditions de cette paix dont les négociations de janvier 1919 permettent d’aboutir à cette série de traités, ceux des châteaux de la Région parisienne, de Sant Germain à Trianon. Dans le film, on insiste particulièrement sur le poids du Président Wilson qui arbitre en dernier ressort sur les exigences françaises et britanniques. Les historiens allemands montrent clairement que cette conférence de la paix se déroule sans eux, ce qui accrédite l’idée du « diktat ». « Responsable de la guerre », l’Allemagne doit payer des réparations, – une idée de Wilson – pendant 40 ans.
Les historiens qui s’expriment dans cet épisode expliquent clairement les différents enjeux, notamment l’obsession française pour sa sécurité, tandis que les projets de Wilsn se situent ailleurs. La liberté du commerce et la société des nations. Le pacte de la SDN constitue les 26 premiers articles de cette paix de Versailles. Le projet est généreux mais se heurte à la réalité du terrain. L’Italie se rend compte très vite que les promesses de 1915 ne valent pas engagement. De la même façon, les Japonais comprennent également que la paix, même en Asie concerne les européens, et pas eux seulement. Comme on peut le constater la paix des vainqueurs s’applique dans toute sa crudité.
Le « droit des peuples à disposer d’eux mêmes » est également un des principes majeurs évoqués, et des centaines de délégations se pressent à Versailles, avec des experts, géographes et historiens, linguistes également, pour définir ces notions de « peuple » ou de « nations », constamment évoquées. Les japonais sont cruellement déçus par ce règlement qui les prive des territoires convoités en Chine et en Micronésie. Isolés dans ces négociations les États-Unis doivent composer avec les autres « grands ». Les autrichiens paient aussi le poids de leur défaite et les critères linguistiques ne s’appliquent pas. De ce fait des minorités germanophones se retrouvent dans des États issus de ce redécoupage. En mars 1921 le plébiscite sur la haute Silésie frustre simultanément la partie polonaise et la partie allemande. Les minorités constituent 31 % de la population de la Pologne qui s’est étendue aussi à la faveur de la Paix de Riga et du recul des soviétiques.
Les ottomans sont aussi les vaincus en se voyant imposer un traité colonial qui ampute leur territoire. On envisage d’ailleurs une « grande Arménie » et un « Kurdistan », des promesses non tenues encore. Mustapha Kemal réalise une union nationale et parvient à créer une nouvelle Turquie en 1923.
Enfin, la Russie soviétique parvient, au terme d’une guerre civile à maintenir ses positions en Ukraine, même si elle doit consentir aux pertes de Brest-Litovsk. Elle fait peu de cas des principes défendus par Lénine et la Transcaucasie, Géorgie, Arménie et Azerbaïdjan deviennent des républiques soviétiques, Et l’Ukraine réincorporée à l’Union soviétique par la force. On ne peux s’empêcher de faire quelques rapprochements. Les traités de paix tracent 20000 km de frontières et dans une certaine mesure fragmentent l’Europe, une Europe centrale notamment qui avait comme pivot, y compris économique, l’Empire d’Autriche-Hongrie.

Le règlement de la Paix au Moyen- orient est également traité dans cet épisode. (42e’). On trouve en germe dans cette présentation les éléments du conflit israélo-arabe. Le cynisme avec lequel les promesses de Royaume arabe ne sont pas tenues explique aussi les tensions naissantes avec les juifs qui continuent d’arriver en Palestine, à la faveur de la déclaration Balfour.

Ce quatrième épisode se termine sur l’affirmation des deux grandes puissances dont la confrontation va marquer l’histoire du XXe siècle jusqu’en 1991. L’Union soviétique, affaiblie, par une guerre perdue, une guerre civile, finit par s’imposer malgré la constitution d’un cordon sanitaire représenté par des pays hostiles, notamment sur sa frontière occidentale. Les États-Unis restent les grands vainqueurs et les bénéficiaires de ce suicide de l’Europe. L’isolationnisme ne signifie pas, comme cela est précisé, un repli sur soi, mais simplement la volonté de ne pas voir les questions européennes influer sur les décisions des États-Unis. Cet isolationnisme, que Wilson lui-même exprime lors de la conférence de la paix, est en fait la base de l’unilatéralisme, et on a pu évoquer, près d’un siècle plus tard, la politique de George Bush comme celle d’un « Wilsonisme botté », avec les interventions militaires en Irak comme en Afghanistan.

Dans le cinquième épisode, « le nerf de la guerre », on revient sur l’organisation économique bouleversée par le conflit qui conduit à mettre en place de nouveaux outils de production développée pendant la seconde révolution industrielle, à diffuser de nouveaux procédés, et à faire appel à l’armée industrielle de réserve, en faisant entrer massivement les femmes au travail. Ce n’est pas la guerre de 14 / 18 qui a été à l’origine du travail des femmes, déjà directement et depuis longtemps présente dans les usines. Mais la guerre les a faites entrer directement au cœur du processus de production.
C’est dans ce quatrième épisode que l’on trouve directement la référence aux colonies qui se retrouvent engagées, dans les troupes coloniales mais aussi dans les usines et sur l’arrière du front. La Grande guerre a été directement à l’origine de l’invention « des politiques migratoires ».
On imagine sans peine la réaction des Normands du pays de Caux, se pressant sur le port du Havre, pouvoir débarquer des dizaines de milliers de travailleurs chinois utilisés comme terrassiers dans les tranchées. La guerre participe de la mondialisation des hommes, celle des marchandises et des capitaux étant, cela a été dit plus haut, largement antérieure.
Le bilan de la guerre est évidemment traité, et notamment sous l’angle des pertes humaines, surtout militaires, avec des pays terriblement touchés comme la Serbie qui perd 38 % de ses soldats, la France 16 %. L’impact de la guerre sur la vitalité démographique sera durable et conditionnera largement la politique, y compris extérieure de la France dans les années trente.

Le sixième épisode « de chair et d’acier » montre comment la première guerre
mondiale a été un tournant majeur, réalisé à une échelle encore inenvisageable, dans le domaine de l’organisation des conflits. Si les fondamentaux de la stratégie restent les mêmes, ce sont surtout les schémas tactiques qui connaissent de profonds bouleversements. Et on retrouve parfois, au-delà de cette guerre industrielle construite avec la chair des hommes, qu’a été la guerre de tranchées, certains retours en arrière sur des méthodes de combat inspirées du passé, parfois lointain, et que l’on retrouve encore aujourd’hui. Les unités de forces spéciales, spécialisées dans les coups de main, ont été développées pour mener des attaques ponctuelles, sur des objectifs précis, loin des grandes offensives sanglantes des champs de bataille de la Somme ou de Verdun.
L’armée russe, lors de ses succès initiaux, au début de la guerre, notamment contre l’Autriche, fait la démonstration de l’intérêt d’offensives rapides, en s’appuyant sur sa cavalerie, tandis que la riposte allemande, avec la victoire de Tannenberg, montre l’importance du réseau ferroviaire.
C’est la guerre de 14 qui inaugurent aussi l’attaque contre les objectifs économiques de l’ennemi, avec évidemment la nécessité de briser les voies de communication, et la guerre sous-marine en est un exemple, mais aussi les premiers bombardements aériens, sur des nœuds ferroviaires, des axes de communication, des dépôts de munitions.
La guerre totale, faut-il le répéter, c’est l’absence de différence entre le combattant et le non combattant. La nécessité d’infliger un choc traumatique sur les populations peut dispenser d’une victoire sur le champ de bataille.

Il est très difficile dans le cadre d’une action pédagogique de procéder à un visionnage en continu. (La durée totale de cette série est de sept heures.). La division en chapitres très précis, permet de se dispenser d’un découpage préalable. On pourra trouver dans les sous chapitres qui composent chaque épisode, les différents thèmes que l’on souhaite présenter.

Au moment de conclure cette présentation, il faut garder présent à l’esprit la finalité de nos enseignements. Au-delà de la transmission, il convient de s’interroger sur les formes de la réflexion, et celle-ci s’appuie, comme un tout indissociable, sur la connaissance. L’intérêt de cette série de référence, c’est qu’elle relativise dans une certaine mesure certaines démarches directives que l’on peut retrouver dans les programmes.
Au nom de quoi, la brutalisation, Verdun, le génocide arménien, doivent ils être nécessairement les angles d’accroche exclusifs d’un cours d’histoire sur la première guerre mondiale.
On retrouve ici des débats actuels sur la réforme du collège, à propos de ce qui doit être optionnel, ou ce qui ne l’est pas.
Peut-être faudra-t-il se poser la question de savoir quelles sont les bases indispensables, et à ce moment-là le socle événementiel demeure, mais aussi peut-être la finalité de cette transmission.
Et il est possible de montrer les nouvelles conditions de la guerre à partir de bien d’autres exemples, qui ne soit pas seulement ceux des tranchées. Le guerrier bédouin, mobilisé par les troupes britanniques, pour mener un raid contre la forteresse de l’armée ottomane à la limite de Damas, ne mérite pas plus l’oubli que le paysan breton enterré dans une tranchée de Champagne. Comprendre une période de l’histoire, pour la faire comprendre, par la transmission de la connaissance, c’est ce que cette série apporte. Elle permet de faire un point, finalement proche de l’exhaustivité, mais encore faut-il que la formation des maîtres permette de s’approprier cette somme de connaissances, pour pouvoir la transmettre.

Compléments

En supplément, des outils pédagogiques sur mesure :
– Préface et notes d’Éric Deroo présentant une œuvre qui nous donne les clefs du monde contemporain
– Frise chronologique en poster permettant d’avoir une vision d’ensemble sur le conflit (élaborée par le lieutenant-colonel Rémy Porte, conseiller historique de la série).
Générique
réalisateur : Deroo, Eric

Fiche technique

  • Durée Totale : 07h00min00s
  • Couleur : Couleur
  • Standard : PAL
  • Format image : 1.66
  • Zones : Zone 0 (toutes zones)
  • Son : Stéréo
  • Langues : Français, Anglais, Italien, Espagnol, Allemand
  • Sous-titres : Anglais
  • Date Parution : Septembre 2014
  • Editeur : INA / ECPAD
  • Distributeur : Arcades