Les Rascals
The Jokers/The Bookmakers
Un film engagé et sans pathos
Autour d’une histoire basée sur des faits réels, Les Rascals est un film dramatique abordant des questionnements sociaux et politiques. En voici le synopsis :
Les Rascals, une bande de jeunes de banlieue, profite de la vie insouciante des années 80. Chez un disquaire, l’un d’eux reconnait un skin qui l’avait agressé et décide de se faire justice lui-même. Témoin de la scène, la jeune sœur du skin se rapproche d’un étudiant extrémiste qui lui promet de se venger des Rascals. Alors que l’extrême droite gagne du terrain dans tout le pays, la bande d’amis est prise dans un engrenage. C’est la fin de l’innocence…(Source : synopsis du Film d’Allociné )
La bande annonce du film:
Ce film de Jimmy Laporal-Trésor a suscité de très vives critiques, aussi positives que négatives. Cependant, en tant qu’enseignante, il a pour mérite d’ouvrir certaines questions et de mettre en avant une réalité, qui n’est pas ou peu abordées dans les manuels scolaires, ou bien même dans les recherches universitaires.
Les Rascals, un film d’histoire et d’éducation morale civique ?
En partant du film, sorti en salle le 11 janvier, voici quelques sujets d’étude abordés au sein de celui-ci :
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L’immigration en France dans les années 1970-80
La politique française d’immigration dans les années 1970, s’illustre par une fermeture et une limitation des entrées. Ceci est lié aux différents chocs pétroliers, qui conduit à une crise économique.
Les jeunes de la bande des Rascals, représentent les différentes populations ayant immigrées en France dans les années 1970 :
- Les Algériens et les Africains du Nord
A la suite des accords d’Evian en 1962, la population algérienne accède à l’indépendance. Cependant, les Algériens ont la possibilité de migrer en France, car l’Etat leur permet une arrivée sur le territoire, sans passer par l’ONI (office national de l’immigration, créé en 1945).
2. Les Antillais
Pour rappel, le BUMIDOM ( Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer) est créé en 1963 par le gouvernement français.
« Il s’agit d’une société d’État, au budget autonome, placée directement sous la tutelle des différents secrétariats d’État à l’Outre-mer. Son objectif assumé est d’encadrer et d’organiser les migrations venues des DOM, afin de désamorcer la crise sociale latente dans les DOM (émeutes de 1959 à Fort-de-France) et de s’assurer du maintien des DOM, derniers vestiges de l’empire, dans la République française. » Source : PATTIEU Sylvain, « Un traitement spécifique des migrations d’outre-mer : le BUMIDOM (1963-1982) et ses ambiguïtés », Politix, 2016/4 (n° 116), p. 81-113. DOI : 10.3917/pox.116.0081. URL :
Le Bureau est dissout en 1981.
3. Les Cambodgiens et les populations asiatiques
Suite au génocide perpétré par les Khmers Rouges entre 1975 et 1979, les Cambodgiens migrent en masse. Comme les Vietnamiens et les autres populations asiatiques en proie aux guerres et instabilités politiques, les Cambodgiens fuient, via les boat-people. La France s’avère être pour eux, une terre d’accueil et de refuge, du fait de la colonisation française des siècles précédents. ( Source : Nann, Stéphanie. « Les familles cambodgiennes en France : histoires de vie et reconstruction », Dialogue, vol. 185, no. 3, 2009, pp. 55-66. )
Parmi la bande, deux comparses sont d’origine française. Cette joyeuse bande, qui écoute du rock n’ roll, utilise sa propre langue argotique, porte une veste en jean affublée du nom du groupe; zone, va boire des bières au bar et traficote pour survivre…
Par sa composition même, elle présente quelques vagues d’immigration que connaît la France dans les années 1960-1980.
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La vie politique française des années 1980
A la suite du choc pétrolier de 1973 et de la crise économique qui s’abat sur le monde et sur la France, l’Etat doit prendre des mesures drastiques. Parallèlement, la construction européenne bat son plein avec les élections européennes de 1984.
Dans ce contexte turbulent et dynamique, le film pointe en filigrane :
– L’obligation du service militaire pour les jeunes, à partir de 1980. Cette décision suscite de nombreux rejets de la part des adolescents, dans toutes les catégories sociales françaises.
– Les élections européennes de 1984, avec la percée du Front National, porté par Jean-Marie Le Pen. Avec 10% des suffrages, on note le retour de l’extrême-droite en France. Ce qui n’est pas sans inquiéter les populations liées à l’immigration.
– L’opposition féroce entre les partis d’extrême-droite et le parti communiste français, sous l’égide de Georges Marchais, lors des élections européennes. Mais aussi le pluralisme politique, dans un contexte de guerre Froide : PCF, FN, RPR,UDF, CNIP,… (voir graphique des élections européennes ci-dessous)
– Les modifications de la politique migratoire sous le mandat de François Mitterrand, avec la mise en place du visa de travail de 10 ans, l’abrogation de la loi Bonnet sur l’expulsion et le refoulement des étrangers.
Même si cela n’est qu’en filigrane, il semble important de noter les bouleversements politiques de la France, visite dans certaines séquences du film.
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Les phénomènes de bandes à travers « les Rascals »
Le coeur du film est basé sur le concept de bandes rivales. Durant les années 1980, la France est bercée, surtout les grandes villes et leurs banlieues, par l’augmentation et l’explosion des bandes de quartier :
– Les skins, mouvement apolitique des années 1960 né en Grande-Bretagne. En France ce mouvement penche vers l’extrême droite et le néo-nazisme. De 1984 à 1986, le mouvement skin sème la terreur dans Paris, en toutes impunité.
– Le gang des Antillais et le gang des « Panthers » , composé principalement d’afro-antillais, le premier gang opèrent des braquages dans les banques et les bureaux de Poste. Quant aux Panthers, il s’agit davantage d’une bande de rockers qui ne faisait pas de business, mais qui s’attaquait aux bandes rivales et aux racistes. Un peu à l’image des Rascals dans le film.
– Les Black Dragon : Les rescapés du film font référence à ce gang qui va se former dès 1986 pour s’opposer et entamés une chasse au skins qui s’avère aussi violente et sanglante que les actes perpétrés par certains groupes de skinhead.
Ces bandes rivales, sont une réalité de l’histoire sociale de la France, mais sont peu connues ni abordés. Il n’en reste pas moins, qu’elles donnent des clés de lecture du malaise social que connait la France dans les années 1980-1990.
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Des débats sociaux sensibles
– Le sentiment de rejet de l’Etat perçu par les jeunes issus de l’immigration : quelques séquences dans le film montrent la volonté pour les jeunes de la bande, de se sentir intégré et accepté. Sans divulgacher, leurs attitudes et leur mode de vie en sont la preuve vivante… Le sentiment de rejet se creuse avec les péripéties rencontrées par les jeunes de la bande, mais aussi les préoccupations d’un des protagoniste, vis-à-vis de la police et de la possible répression. Etre d’origine arabe, ou être noir en France, fils ou fille d’immigrés sont des sujets très sensibles, qui ouvrent tout un questionnement sur le racisme.
– L’injustice policière : Le passage à tabac et la mort d’un jeune d’origine arabe lors des arrestations, n’est pas sans rappeler l’atmosphère nauséabonde et raciste qui gangrène la police durant cette période. Car la police nationale a pour mission de protéger les citoyens… Ici elle est pointée du doigt pour les délit de faciès effectués par certains de ces agents… Ces passages avivent les tensions et la méfiance envers une institution garante de la République et de ses valeurs : la fraternité, l’égalité et la liberté.
Le parti-pris du réalisateur est une réalité que connait bon nombre de citoyens durant les années 1970-1980 quelques soient l’origine de leur migration. Cependant, comme tout sujet sensible, un regard objectif doit être porté.
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La vie culturelle de la jeunesse française
– Le bar et son atmosphère : jouer au flipper, boire une bière ou un Perrier, s’essayer aux premiers jeux vidéos dont Pacman, refaire le monde avec les piliers de comptoirs et le gérant du troquet. Certaines scènes permettent d’illustrer tout cela
– La musique : Du rock engagé, au punk en passant par le début du hip-hop et du smurf en France, sans oublier le zouk, la bande originale du film est éclectique. Elle illustre totalement, les différents courants musicaux qui traversent la France et permettent une mixité sociale forte et foisonnante.
– Les aires de jeu dans les quartiers : Les jeunes jouent dehors, sans téléphone portable, avec des craies, des cordes à sauter, ou rien. Une réalité qui donne une certaine aération au film, avec un sentiment de liberté.
– Les tenues : Il y en a pour tous les styles et toutes les appétences : les premiers joggings, les bombers et les rangers noires des skinheads, les blousons de rocks colorés des rockers, les coupes à la rockabilly, le maquillage outrancier des années 1980… Tout y passe, on s’y croirait !
Par la mise en scène, l’auteur s’attache à faire ressentir l’atmosphère, quelque peu insouciante, des années 1980. C’est une réussite, nous sommes au plus proche de ces rascals …
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Un film qui peut servir le débat en EMC
Voici des pistes pour l’EMC au lycée… Oui car le film est interdit au moins de 12 ans, mais je le déconseille aux moins de 16 ans et aux âmes sensibles…
1. En Seconde :
Axe 2 : Garantir les libertés, étendre les libertés : les libertés en débat
Questionnement : Comment évoluent la conception et l’exercice des libertés ?
La reconnaissance des différences, la lutte contre les discriminations et la promotion du respect d’autrui : lutte contre le racisme
Évolution du droit à la protection à l’intérieur d’un État, dans les domaines médicaux, sanitaires, éducatifs, etc., dans un contexte migratoire (droit d’asile, droit desréfugiés, politiques de l’immigration).
Axe 1 : Fondements et fragilités du lien social
Questionnement : Comment les fondements du lien social se trouvent fragilisés ?
Domaines d’études :
Les fragilités liées aux transformations sociales : cadre de vie, cellule familiale, institutions de socialisation
L’expression de la défiance vis-à-vis de la représentation politique et sociale, et vis-à-vis des institutions
Les nouvelles formes d’expression de la violence et de la délinquance (incivilité, agressions physiques, phénomènes de bande)
Petite conclusion
Les Rascals est donc, intéressant pour tout les aspects précédemment cités, et peut faire écho à des situations similaires aujourd’hui. La crise économique, sociale, politique, la montée des extrêmes, la lutte contre le racisme, sont encore des sujets criants d’actualité dans notre État de droit.
Ce n’est qu’un film, mais décrypté sous le regard d’une simple professeure d’histoire, il peut devenir une source à exploiter en cours d’histoire ou d’éducation morale et civique. En prenant le soin de toujours poser un regard critique et faire preuve d’objectivité.
Ces rascals, qui sont des lascars, ne l’oublions pas, nous poussent à avoir une vérité de la France, en face.
Pour aller plus loin :
- Sur l’immigration en France
http://www.lumni.fr/video/petite-histoire-de-l-immigration-en-france
https://www.histoire-immigration.fr
https://www.lhistoire.fr/la-france-un-vieux-pays-dimmigration
Noiriel, Gérard. « Une histoire du modèle français d’immigration », Regards croisés sur l’économie, vol. 8, no. 2, 2010, pp. 32-38.
- La vie politique et sociale française
Manigand, Christine. « Les Français face aux trois premières élections européennes (1979-1989) », Parlement[s], Revue d’histoire politique, vol. hs3, no. 3, 2007, pp. 103-113.
Sur la montée de l’extrême droite en France en 1984 (archive de l’INA)
Sur la vie en banlieue (archive de l’INA)
Sur le service militaire dans les années 1980 ( archive de l’INA)
- Sur les gangs
https://www.arte.tv/fr/videos/109592-000-A/gangs-story-tribus-de-france/
https://www.lamanufacturedelivres.com/livres/fiche/229/morvan-yan-gangs-story
Orfali, Birgitta. « Des skinheads dans la ville », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 115, no. 2, 2003, pp. 269-291.
Petrova Youra. Les skinheads : solidarité de classe ou combat national. In: Agora débats/jeunesses, 9, 1997. Que croient-ils, aujourd’hui ? pp. 76-93.
Micro documentaires : Sur la bande des Black Dragon et les skinhead
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France / 2023/ 1h 45min / Drame
Réalisateur : Jimmy Laporal-Trésor
Scénaristes : Sébastien Birchler, Jimmy Laporal-Trésor et Virak Thun
Musique : Delgres
Avec
Jonathan Feltre, Angelina Woreth, Missoum Slimani,Victor Meutelet, Jonathan Eap, Emerick Mamilonne, Taddeo Kufus, Marvin Dubart
2 références obligatoires à mon sens sur ce film, qui ont inspiré son scénario
« Antifas, chasseurs de skins »
https://www.youtube.com/watch?v=Fjw9ct1xjzg
« Nos fiançailles » (documentaire de Pinell et Mahieu)
https://www.dailymotion.com/video/xqvqrk