War Machine Réalisation : David Michôd Avec Brad Pitt.  D’après le livre The Operators: The Wild and Terrifying Inside Story of America’s War in Afghanistan de Michael Hastings.

Suite du dossier consacré aux guerres en Afghanistan, dont le précédent article est ici.

Commencée en représailles des attentats du 11 septembre 2001, la guerre en Afghanistan avec l’intervention des forces occidentales sous commandement des États-Unis s’est terminée par la prise de pouvoir à Kaboul des talibans le 15 août 2021. Ils en avaient été chassés par l’intervention américaine qui avait pu dans les tous premiers mois de l’offensive, – ce qui correspondait au projet initial – éradiquer les camps d’entraînement de l’Al Qaïda.

Les revers de l’armée américaine dans la Guerre d’Afghanistan : le cas de la Kounar

Le film est librement inspiré par la trajectoire du général Mc Crystal, commandant-en-chef de l’ISAF, et dont la posture dans la réalité comme dans la fiction s’inspire clairement de la doctrine mise en œuvre par l’armée française pendant la guerre d’Algérie, celle de la contre insurrection. A posteriori les travaux du capitaine David Galula sur la contre insurrection avaient été largement oubliés après la guerre d’Algérie, y compris et surtout en France, et c’est aux États-Unis que le principe de « gagner les cœurs et les esprits » a été redécouvert.

 

La contre-insurrection à l’épreuve du conflit afghan
Pierre Chareyron
Dans Politique étrangère 2010/1 (Printemps), pages 83 à 96

À partir du moment où les États-Unis, et la coalition alliée, se sont engagés dans une démarche visant à sécuriser l’ensemble du pays, il fallait obligatoirement que l’intervention armée permette la construction d’un État. Cela a pu être fait avec l’élection du président Hamid Karzaï, mais si sur le papier, il existe bien un projet de construction d’un État, sur le terrain, la guérilla taliban à partir de ses bases arrières situées dans les zones tribales du Pakistan a pu s’imposer aux yeux du reste de la société.

Le film montre avec une ironie mordante, que la critique de Télérama ( Voir ci-dessous) ne semble pas avoir comprise, comment la démarche du général Mc Chrystal qui souhaitait intervenir simultanément sur le terrain militaire et politique ne pouvait pas fonctionner.

On appréciera les scènes étranges de ces rencontres entre le général et le président afghan, ce dernier apparaissant littéralement comme un roi fainéant, largement préoccupé par la défense des intérêts de ses proches.

L’organisation de l’offensive dans le Helmand, au sud-ouest du pays, apparaît ainsi comme totalement calamiteuse, et le film force largement le trait. Le projet de construction d’une armée nationale afghane montre des hommes qui recherchent davantage l’ombre pour se protéger du soleil que le contact avec une guérilla talibane. Celle-ci s’est renforcée à partir de 2008, ce qui a eu pour conséquence l’envoi de 30 000 hommes de l’armée américaine en renfort, avec 5000 hommes pour la coalition. La participation à des opérations de grande ampleur visant à éradiquer la guérilla avec une méthode qui n’est pas sans rappeler l’opération jumelles menée par le général Challe à partir de 1960 pendant la guerre d’Algérie a été développée. Pourtant, les talibans n’ont cessé de renforcer leur emprise sur le pays, et notamment dans le monde rural.

Les objectifs du général McMahon sont de gagner le soutien de la population, d’améliorer la gouvernance du pays, de soutenir les dirigeants locaux, notamment dans le monde rural. La vision que les États-Unis pouvaient avoir de l’Afghanistan était que le pays était constitué d’une mosaïque de tribus, et que l’État afghan devait être construit de toutes pièces. La traduction anglaise est d’ailleurs assez trompeuse puisqu’il s’agit de « nation building », ce qui crée une ambiguïté de fait entre l’État et la nation.

On aurait pu peut-être s’inspirer de cette approche européenne du milieu du XIXe siècle, au moment où s’affirment les nationalités, qui entendent construire leur état. À la différence notable de la France, qui sur plusieurs siècles, où l’État a construit la nation. Cela revenait dans la pratique à conduire les forces occidentales à intervenir dans des litiges souvent anciens, largement antérieurs à la présence occidentale, et même soviétique, entre 1979 et 1989. Le choix d’un clan, d’une tribu, d’un chef local, conduisant inévitablement à ce que ses adversaires se rangent du côté de l’insurrection.

La volonté de soutenir l’économie du pays s’est traduite par le versement de sommes considérables à des gouverneurs locaux censés lutter contre la culture du pavot en aidant les populations rurales. Dans la pratique l’essentiel de cette manne financière a été largement détourné.

Le personnage incarné par Brad Pitt se retrouve prisonnier de cet ensemble de circonstances, ce qui le conduit à émettre des critiques de plus en plus fortes contre l’administration Obama, ce qui a eu pour conséquence, dans le film, comme dans la réalité, son remplacement.


Le Monde

Le président Obama a limogé le général McChrystal

Le général David Petraeus sera le nouveau commandant des forces américaines et de l’OTAN en Afghanistan. Par Corine Lesnes Publié le 24 juin 2010

On ne pourra plus l’accuser d’être mou et indécis. En trente-six heures, Barack Obama a fait le ménage dans le commandement en chef des forces de l’OTAN en Afghanistan et rappelé les militaires à l’ordre constitutionnel qui donne la prééminence aux civils. Le général Stanley McChrystal a été limogé pour l’exemple. « Son comportement porte atteinte au principe de contrôle civil de l’armée », a justifié le président.

En limogeant le général McChrystal pour des propos injurieux à l’égard de certains membres de l’administration, et en le remplaçant dans la foulée par le général David Petraeus, l’artisan du surge (« renfort ») en Irak, le président a réglé la crise d’autorité qui risquait de nuire à une mission en Afghanistan déjà ébranlée par l’aveu que l’offensive sur Marja se déroule moins bien qu’annoncé – un « ulcère à vif », selon les termes mêmes de Stanley McChrystal.

M. Obama a indiqué que la mission « Défaire et démanteler Al-Qaida » se poursuivait, inchangée. « Il s’agit d’un changement d’homme, pas de politique », a-t-il assuré.


Le général Mc Crysthal, McMahon dans le film, se retrouve ainsi à réclamer 40 000 hommes supplémentaires pour reprendre la province du Helmand en interpellant publiquement les conseillers de la présidence et plus directement Barack Obama et son vice-président, Joe Biden. Au passage on comprend pourquoi ce dernier qui a été très largement réservé pendant toute la durée de l’intervention, a accéléré le processus de retrait reprenant la continuité des accords de Doha pourtant mis en œuvre par l’administration précédente.

L’accord historique entre Américains et talibans ouvre un nouveau chapitre à l’issue incertaine

L’éviction de ce général à la tenue de combat toujours impeccable, qui semble même toujours fraîchement repassée, est relatée dans le film avec une ironie mordante. On retrouve à la fin du film la même séquence qu’au début. La nouvelle équipe qui remplace la précédente, avec les mêmes postures, le même décor, avec cette idée que cette guerre n’aurait jamais de fin. Mais le film est sorti en 2017, et même si peu de temps après l’administration américaine s’est mise à la recherche de talibans « modérés » avec qui signer un accord, il était difficile d’imaginer un scénario dans le monde réel aussi calamiteux que celui auquel on a pu assister à partir du 15 août 2021.

La guerre la plus longue de l’histoire des États-Unis s’achève comme le film, comme une caricature. On aurait pu imaginer un film de guerre marqué par des bons sentiments et des héros positifs, on se retrouve après le visionnage de ce film, lorsque l’on a assisté en direct à une défaite, avec un goût amer. Cela s’explique en partie par l’histoire de ce film qui a été privé de l’un de ses financeurs qui s’est retiré du projet. Cela explique pourquoi, dans la version finale, l’ironie est restée aussi mordante que dans l’ouvrage qui l’a inspiré.

Au final, le film ne mérite assurément pas d’être éreinté, au nom d’une approche non interventionniste. Il montre de façon caricaturale, et en ce sens la démarche est salutaire, comment l’application théorisée d’une doctrine, celle de la contre insurrection, qui était une adaptation aux circonstances, peut conduire à l’échec. Aucune guerre ne ressemble jamais à une autre, et rien ne se déroule jamais comme cela a été prévu. C’est une vérité essentielle que les stratèges du Pentagone ne semblent pas avoir assimilée.

Si l’on décompose les différentes scènes, celles où le général McMahon cherche à justifier sa stratégie, on se rend très vite compte que le postulat de départ sur laquelle l’application de la doctrine de la contre insurrection est fondé, est faux. Non l’Afghanistan ne correspond pas à l’ouest sauvage que les tuniques bleues lors de la conquête ont dû soumettre. La vision purement tribale de la population du pays, avec l’intervention dans des conflits antérieurs, ne permettait pas de comprendre que l’Afghanistan a été un royaume, que s’il ne correspondait pas à un État-nation au sens moderne du terme, il existait bel et bien. L’incapacité à résoudre la corruption, la capacité d’adaptation de la guérilla talibane a fait le reste. Celle-ci a pu se doter des moyens de financement, et notamment la culture du pavot, pour se renforcer militairement, mais surtout politiquement à partir des zones rurales. Et au passage cela ressemble énormément à d’autres exemples de guérillas qui ont pris appui sur les campagnes pour enfermer les forces loyalistes dans les villes, avant de les soumettre.

« War machine » : Brad Pitt reprend du service sous pavillon Netflix

Dans ce film à gros budget diffusé sur la plate-forme américaine, la star cède à son penchant pour la caricature et l’uniforme dans un rôle de général catastrophique.

War machine – De guerre lasse