« L’État, c’est devenu une misère, une vieille godasse qui prend l’eau de partout. Y a plus d’argent, y a plus de puissance. Y a du pouvoir, oui, oui, mais c’est quoi du pouvoir sans la puissance d’agir ? Qu’est-ce que ça crée comme légitimité ? ». Dans son nouveau film, Un peuple et son Roi, Pierre Schoeller poursuit sa réflexion sur les relations entre gouvernants et gouvernés, en cherchant dans le passé des réponses à ce questionnement extrait de sa précédente œuvre, l’Exercice de l’État (2011), montrant la mécanique froide du fonctionnement d’un gouvernement actuel grâce à l’exemple d’un ministre engagé dans l’action, mais bridé par un pouvoir politique se bornant à une lutte, cynique et carnivore, de positions entre élites, dont le peuple n’est qu’une victime, dominée, résignée ou en colère vaine. Bref, il est apparu nécessaire au réalisateur un retour aux sources, la Révolution française, pour comprendre comment un peuple capable de décapiter son Père a pu aboutir aujourd’hui aux intrigues du PR sans le peuple.
Ce film choral choisit de tresser sans hiérarchie les destins croisés de personnages révolutionnaires connus, essentiellement montrés à la toute jeune Assemblée nationale ou dans les clubs, de la famille royale à Versailles puis Paris et, surtout, d’un peuple de lavandières et d’artisans du faubourg Saint-Antoine, sur lequel la focale est resserrée. En effet, en s’appuyant sur des recherches minutieuses appuyées par des historiens (Arlette Farge, Guillaume Mazeau), l’ambition du réalisateur est tout à la fois de proposer une diversité de points de vue, qui évoluent avec le temps, en multipliant les acteurs pour saisir l’objet dans sa complexité et sa précision, sa fragilité et sa contingence (rôle de la loi, élaborée en continu à l’Assemblée par les députés ; profonde ferveur religieuse du roi ; peuple qui n’est pas une foule indistincte qui pense à l’unisson) et de mettre en scène une période où rien n’est écrit à l’avance, surtout pas l’avènement de la République, découpée en quatre grands chapitres : la prise de la Bastille, l’arrestation du roi à Varennes, la prise des Tuileries puis le procès du roi jusqu’à son exécution. Car Pierre Schoeller a trouvé dans archives et livres sur la période 1789-1793 un peuple se considérant comme « puissance politique » : une « énergie d’une humanité glorieuse » pour la conquête de droits égaux ; la participation du peuple à l’élaboration de décisions politiques par son implication dans les débats, les clubs, les luttes ; enchevêtrement de l’Histoire avec sa grande H (Queneau) et les histoires individuelles, émotionnelles et sensibles, de tous…
Comme le souligne le dossier pédagogique, le défi du réalisateur est de « faire revivre la Révolution française comme si elle se produisait devant nos yeux ». Qu’en penser ?
Il nous semble difficile de répondre par l’affirmative, cette œuvre ayant les défauts de ses qualités.
Tout d’abord, l’ambition du projet, la richesse de la documentation et leurs conséquences sur le film ne sauraient adresser l’œuvre qu’à des familiers de la Révolution française, très difficilement à des élèves qui la découvrent, surtout au collège.
Premièrement, la volonté d’embrasser, même de manière explicitement non-exhaustive, une période riche en événements clefs abordés nécessairement rapidement et parfois sans contexte rend la temporalité peu lisible et les événements peu compréhensibles, même si les années 1792 et 1793 sont plutôt bien traitées.
Deuxièmement, le parti pris de peindre une fresque historique en soignant la reconstitution par un recours à de vrais discours d’époque tenus à l’Assemblée nationale, par des effets spéciaux discrets mais bienvenus, par des décors, des costumes et des éclairages remarquables ou par un son très travaillé, sollicite l’attention de tous les sens, ajoutant parfois aux difficultés d’appréhension. Troisièmement, le choix du réalisateur de vouloir prioritairement filmer le peuple, qu’il entend comme un ensemble de personnes dans leur diversité de condition, d’âge, de fortune, le conduit à multiplier les visages anonymes à l’écran qui, additionnées aux séquences parlementaires, peut rendre l’ensemble confus. Paradoxalement, dans le même temps, le traitement de figures décisives comme Danton, Desmoulins, Bailly ou même Robespierre est trop limité, même si ce dernier est un peu plus approfondi ; Lafayette est seulement présenté comme un traître, sans faire mention de son passé américain et son rôle dans la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ; en revanche, une part belle est faite à Marat et ses discours à l’Assemblée.
Ensuite, le titre reflète bien l’ambiguïté du film, problématique posée par toute « fiction historique » certes mais qu’on aurait apprécié mieux traitée dans une œuvre recherchant une forme de vérité du passé : il s’agit bien de la relation d’« un peuple » à son roi qui est présentée et non du peuple dans son intégralité ; malgré son ambition, le traitement reste donc partiel. On ne saurait donc pouvoir rendre compte d’une vue complète des principales étapes et forces en présence lors de cette phase de la Révolution française à l’aide de ce film : le clergé et l’aristocratie n’apparaissent qu’aux travers de réflexions brèves et attendues de leurs représentants à l’Assemblée nationale, les paysans sont pratiquement absents et les campagnes sans vie, les notables et la bourgeoisie délaissées, la province inaudible.
Cependant, le rôle de ce petit peuple parisien d’ouvriers et d’artisans dans le processus à l’œuvre est précisément et fidèlement restitué, au plus proche des avancées historiographiques les plus récentes, en soulignant par exemple la dimension transnationale de la diffusion des idées des Lumières et du mouvement révolutionnaire grâce au personnage polonais réfugié à Paris et adversaire de la monarchie dans son pays.
De même, on se rend compte de la diversité des avis au sein de ce peuple ou dans ses relations avec les députés et qu’on ne naît pas révolutionnaire, on le devient, au même titre que l’apprentissage de la citoyenneté, de la liberté, de la majorité dirait Kant : les personnages vont se construire politiquement pour finalement s’émanciper de la monarchie, mais le film souligne bien l’absence de finalisme.
De plus, le rôle primordial des femmes est mis en avant, en suivant de manière privilégiée un groupe de lavandières au sein desquelles l’héroïne s’affirme : elles assistent à la prise de la Bastille, participent à la marche des femmes, interviennent à l’Assemblée et débattent… même si des évocations de l’épisode du balcon ou d’Olympe de Gouges auraient pu compléter l’ensemble.
Enfin, la représentation du personnage de Louis XVI est plutôt à ranger dans les réussites qui donnent un équilibre au film : loin des interprétations traditionnelles de roi falot préoccupé de serrurerie, il apparaît au contraire comme un souverain très profondément pénétré de ferveur religieuse, du sentiment de devoir paternel envers son « bon peuple », de majesté royale nimbée de mystère, dont le sang sacré, le jour de son exécution, sert d’onction populaire.
Pour conclure, si ce film présente d’indéniables qualités artistiques et historiques en nettoyant l’imaginaire collectif de nombreuses images d’Épinal, il présente un point de vue trop partiel et trop anglé (le petit peuple de Paris est célébré sans réel esprit critique ; la Révolution est présentée de manière manichéenne, à l’exemple de l’image naïve du rayon de soleil perçant à travers la tour de la Bastille qu’on détruit) à la manière de Michelet ou Hugo pour être utilisé seul avec vos élèves. De plus, comme il ne peut être exploité en classe dans son ensemble, il faudra choisir des séquences à intégrer au sein de votre chapitre mais aussi votre angle d’approche. Voici quelques pistes à explorer grâce notamment au dossier pédagogique : les femmes dans la Révolution, la figure du roi, les députés, l’insurrection du 10 août 1792, la condamnation et l’exécution du roi, la vie quotidienne au XVIIIème siècle.
Pour aller plus loin :
Émissions
RICHEUX Marie, émission « Par les temps qui courent » avec le réalisateur Pierre SCHOELLER, France culture, 25/09/2018
Ouvrages :
BIARD Michel, Philippe BOURDIN et Silvia MARZAGALLI, 1789-1815. Révolution, Consulat, Empire, 2009.
MARTIN Jean-Clément, Nouvelle histoire de la Révolution française, 2012.