Cet article est une courte synthèse d’une réflexion élaborée en vue de la réalisation d’une série de conférences portant sur l’Histoire du XXème siècle grâce à l’utilisation des films de fiction de l’époque étudiée. Ces conférences sont programmées depuis 2001 à l’Institut Lumière de Lyon à destination des enseignants et de leurs classes pour des élèves de 15 à 20 ans. Il s’appuie également sur mon expérience de formation d’enseignants français ou suisses, ainsi que sur de nombreuses conférences autour du film de fiction comme source d’Histoire, d’analyse économique ou du Droit. La nécessité de définir en quoi la fiction cinématographique participait au corpus des documents d’Histoire m’apparut lorsqu’un enseignant me demanda si pour moi, Rambo était une source historique. Il apparaissait alors évident que deux cinémas se faisaient face, celui qui rassemblait les films estampillés comme chefs-d’œuvre, donc dignes d’être acceptés en tant que source historique à part entière, et un autre cinéma, dont le nombre de productions est infiniment plus important mais subissant pendant longtemps l’indifférence des historiens, leur médiocrité artistique ne les qualifiant pas pour une analyse historique. L’autre nécessité de produire cet article était celle de répondre à une question posée par tant de monde, enseignants, élèves, journalistes et autres spectateurs. Le cinéma dit-il la vérité ? A ces questions, cet article apportera, je l’espère, quelques éléments de réponse, montrant en quoi le cinéma est une source de l’Histoire comme toutes les autres productions humaines, avec les mêmes contraintes d’analyse, mais aussi avec la même possibilité de découvrir sinon un fait, du moins un comportement, une évolution de la société.
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Première des disciplines, l’Histoire se transmet grâce aux témoignages que les Hommes de toutes les périodes nous ont laissés. Ainsi, les historiens utilisent-ils, et c’est même ce qui distingue l’Histoire de la Préhistoire, les documents écrits pour établir des chronologies événementielles, des organisations sociétales passées ou des comportements propres à nos ancêtres. Pour cela, les sources officielles et les documents s’appuyant sur le réel, toujours marqués par la subjectivité mais s’inscrivant dans une volonté d’analyse que l’historien doit recouper avec d’autres sources, ont été le plus souvent privilégiés.
Restent les œuvres de fiction. Celles ci ont été finalement utilisées assez tard par les historiens. Or ceux-ci n’hésitent plus à utiliser Aristophane et ses comédies pour nuancer ce que les sources plus « sérieuses » comme Platon ou Aristote nous ont transmis sur la démocratie athénienne. De même, le Roman de Renart ou d’autres fabliaux permettent une compréhension plus nuancée de la société médiévale que lorsque ces oeuvres étaient délaissées pour ne pas dire méprisée par ceux investis de la mission de raconter l’Histoire de l’Europe. Plus récemment encore, l’œuvre de Zola trouve un écho particulier auprès des chercheurs travaillant sur la condition ouvrière de la deuxième moitié du XIXème siècle. L’école des Annales est en effet passée par là ! Plus aucun historien digne de ce nom peut désormais négliger ces sources littéraires comme étant des sources historiques à part entière car l’Histoire a ouvert son champ d’investigation aux hommes, à tous les hommes et pas seulement les illustres, ceux qui justement faisaient, comme on le dit encore, l’Histoire. Et comme n’importe quel document de l’Histoire, ces poèmes, ces pièces de théâtre, ces romans doivent passer par le tamis de la critique, par la confrontation avec d’autres sources, jusqu’à, le cas échéant, établir des sériages d’informations convergentes.
C’est ainsi que peuvent se dégager les éléments objectifs de ceux plus subjectifs voire erronés de ces documents, ces derniers n’étant pas les plus inintéressants quand justement ils se répètent d’une manière a priori injustifiée. En effet, certaines erreurs relatées dans les œuvres littéraires de fiction peuvent en dire long sur l’état de l’opinion publique face à une réalité objective, sur l’importance d’un mensonge (officiel ou lié à la rumeur) qui trouve son écho chez des auteurs qui l’amplifient, par adhésion innocente au mensonge ou par travail de propagande (politique, religieuse, scientifique…).
Or la toute fin du XIXème siècle allait offrir une nouvelle manière de transmettre des histoires de fiction. En 1895, les Lyonnais Auguste et Louis Lumière inventèrent un nouveau procédé permettant de capter des images du réel (ce qui n’était plus révolutionnaire) puis de les projeter sur un écran en mouvement. Le cinéma était né, la première séance de cinéma ayant lieu le 28 décembre 1895 à Paris.
Dés lors, avec l’apparition de cette nouvelle technologie naissait de facto une nouvelle source de l’histoire, puisque cela permettait de créer un témoignage visuel des sociétés humaines. Pourtant, et assez curieusement, cette source a longtemps été négligée par les historiens avec ce paradoxe évident que jamais une source n’avait été aussi proche d’un réel si convoité par ceux-ci. Jamais une source n’a autant été appréhendée comme déformatrice du réel à mesure que les films sortaient du simple champ du documentaire comme l’avaient été les premiers métrages des frères Lumière.
Ceux qui faisaient l’Histoire, les différents dirigeants du monde, s’approprièrent rapidement cette nouvelle manière de communiquer avec leurs sujets ou administrés. Les images officielles (sacres, visites diplomatiques, inauguration de monuments, revues des troupes…) étaient autant d’éléments de propagande officielle qui ont été compris comme tels par les historiens mais qui accordèrent à ces images un statut de source historique car elles étaient le produit d’une volonté officielle comme pouvaient l’être un portrait du roi soleil ou un traité de paix entre deux puissances. Puis le cinéma sortit pour un temps du champ de l’Histoire quand la propagande ne se fit plus par des images du réel (reprenons encore l’exemple du sacre du Tsar) mais quand elle passa par la fiction. Et ce type de cinéma se trouva particulièrement développé par les régimes totalitaires qui, sous couvert de divertissement imposaient leur idéologie au peuple. L’enjeu du film de fiction comme œuvre pouvant toucher la masse avait été compris rapidement par ces régimes ; mais l’inverse se retrouva également. Nombreux furent les cinéastes qui contestèrent un régime, une idéologie par le biais de films de fiction au scénario apparemment hors de leur temps présent et pourtant bien assimilé comme la critique souhaitée initialement. Dans les deux cas, la fiction ne montrait pas le réel. Celui-ci n’était pas ce qui se trouvait directement sur l’écran. Mais le sens du film était UN réel. Les historiens pouvaient le voir ; ils l’ont parfois compris mais l’utilisation de ces sources et leur analyse mirent du temps à s’imposer, et ce malgré les progrès permis par l’Ecole des Annales.
L’explication vient peut-être de la nature même de la source et de l’analyse à en faire. En effet, même pour les historiens ayant osé s’aventurer dans l’analyse des films comme source historique, beaucoup ont du mal à se défaire de la tentation de l’analyse esthétique ou technique, reléguant l’analyse historique sur un plan secondaire. C’est que le cinéma n’est pas un art comme un autre. Il commence d’abord par une écriture d’un scénario, le plus souvent narratif (même si certains cinéastes ont rompu avec ce schéma, voire ont fait l’impasse sur tout scénarioVoir L’homme à la caméra de Dziga VERTOV, 1929). Il s’accompagne ensuite d’une mise en scène où la place de la ou des caméras, le choix du cadrage, le jeu des comédiens, la qualité des décors, sont autant de sens s’ajoutant au sens premier du scénario. Le montage peut encore modifier, nuancer le sens initial du film. La complexité de la réalisation d’un film dans sa partie artistique doit également être mise en relation avec la difficulté matérielle de sa production et de sa diffusion. Cette nébuleuse gravitant autour de l’œuvre cinématographique peut intégrer jusqu’à plusieurs centaines de personnes pour un seul film ! Or seule une personne endosse la paternité du produit fini : le réalisateur. A cela s’ajoute un autre élément non négligeable qui distingue certainement le cinéma des autres disciplines artistiques, le temps. En effet, entre le moment de la conception du projet, de la recherche des fonds de production, le casting, le temps de réalisation, de montage puis le temps de la diffusion, plusieurs mois (ou années !) peuvent s’écouler. Et le sens initial du film peut en être altéré jusqu’à en être parfois bien différent de ce que souhaitait le réalisateur mais aussi des spectateurs.
Cette réalité peut expliquer alors l’attitude des historiens vis-à-vis de certains films. Il est frappant de voir le crédit accordé aux films des frères Lumière, sous le prétexte qu’ils montreraient un réel non fictif. Pourtant, le choix des thèmes filmés, les cadrages, l’attitude des acteurs improvisés ne sont-ils pas autant d’éléments de subjectivité ? De même, l’œuvre de Chaplin jouit dans son ensemble d’une reconnaissance méritée mais étonnante au regard des œuvres des autres cinéastes. La personnalité de Chaplin et son implication dans tous les aspects de la production de ses films font de lui un réalisateur qui se rapproche finalement assez des écrivains qui contrôlaient eux aussi leur production littéraire. Mais ses œuvres ne sont pas moins subjectives que l’ensemble des films produits, bien au contraire !
A contrario, les films de divertissements ou les films de propagande furent souvent méprisés, ou pris uniquement pour ce qu’ils étaient : des œuvres d’une culture de masse nouvelle. Mais l’analyse en tant que source d’histoire fut le plus souvent très limitée, soit que la fiction était trop apparente et donc coupée de la réalité historique, soit parce que le commanditaire du film imposait ses idées au réalisateur, relégué alors au rang d’employé dévoué. Nombre de ces films ne furent donc compris que par l’angle du commanditaire, mais qu’en était-il du spectateur ? Que voyait-il, lui dans ces films ? Pourquoi ces films pouvaient-ils être efficaces si ce n’est que des éléments ne faisant pas partie de la propagande sonnaient juste ?
Or, s’il y a bien une spécificité du cinéma, c’est celle de toucher en un lieu, une masse de spectateurs. Art de masse par excellence, combien de représentations théâtrales sont nécessaires pour pouvoir rassembler autant de spectateurs qu’un film en une journée quand ils sont projetés dans de nombreuses salles le même jour et parfois dans le monde entier, et ce grâce à la reproductibilité du film en copies ? Ainsi King Kong, Autant en emporte le vent ou Quai des brumes ont-ils touché plus rapidement des générations de spectateurs que les héros des comédies ou tragédies de théâtre. Certains héros cinématographiques sont même devenus de véritables mythes modernes, générant parfois une idolâtrie d’autant plus spectaculaire qu’elle pouvait être soudaine et généralisée. Combien de femmes ont tremblé pour le viril Rhett Butler incarné par Clark Gable ? Que dire des congrès de fans de la trilogie Star Wars ? Que penser du succès jamais démenti de la belle Sissi jouée par Romy Schneider ? Cet impact du cinéma sur les spectateurs a été lui aussi trop souvent négligé par l’Histoire. Or le succès d’un film est bien souvent révélateur de l’état d’esprit d’une opinion publique au moment de sa réalisation ou de sa projection, que cette opinion soit formatée par une propagande ou non. Parfois, il peut y avoir distorsion entre le temps de réalisation et celui de la projection, du fait du temps de production mais aussi de l’évolution, parfois rapide et conditionnée par des événements par nature imprévisibles qui peuvent modifier cette opinion publique. Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain reçut un accueil formidable par le public français ou européen qui lui trouvait des qualités de fraîcheur dont il avait besoin. La gravité du contexte international comme national ont pu expliquer ce succès autant que par la qualité intrinsèque du film. Le moment de projection du film a donc une incidence sur la qualité de l’accueil de l’œuvre. En 1937, La Grande Illusion de Jean Renoir pouvait apparaître comme un film montrant l’existence de classes sociales transcendant les nations, voire un certain pacifisme, mais il montrait surtout un patriotisme aigu des prisonniers français face aux Allemands, de l’officier aristocrate au juif débrouillard et généreux vis-à-vis de ses camarades d’infortune. Mais après la seconde guerre mondiale, la collaboration de Vichy et le génocide, le personnage de ce Français juif apparaissait alors comme une caricature du juif bénéficiant d’un réseau, pouvant se confondre avec l’image du juif de le propagande antisémite. L’Histoire avait alors rendu les spectateurs très sensibles à la représentation des Juifs après 1945. La non-projection de ce film durant quelques années témoigne alors du traumatisme de l’opinion publique après la découverte de la réalité de la Solution Finale, mais aussi des efforts des autorités publiques à ne pas commettre de maladresse à l’égard d’une communauté si tragiquement décimée par la barbarie nazie.
Pour en revenir à la question de fréquentation des salles de cinéma, la force du spectacle cinématographique a été de s’adapter aux spectateurs, en leur proposant régulièrement des procédés de plus en plus sophistiqués pour représenter le réel. Les travellings, les effets spéciaux, les décors de studio, le parlant, la couleur et bien d’autres innovations ont permis au cinéma de s’améliorer, surprenant davantage les spectateurs. Le phénomène de masse a également été accompagné du développement de cinémas de genre, devant toucher telle catégorie de spectateurs plutôt qu’une autre. Les westerns, les films policiers, les peplums, les films de cape et d’épée, les comédies musicales, les films de guerre, les pures comédies, les films de combat…sont autant de genres qui ont connu leur heure de gloire. Pour ce qui est du western, leur sur-représentation dans le cinéma américain des années 1950 a un sens sociologique (donc intéressant l’Histoire) tout aussi important que leur quasi-disparition depuis les années 1970 !
Une dernière catégorie de spectateurs peut enfin être définie car elle représente une nouveauté à l’échelle de l’Histoire. Les enfants sont des spectateurs particulièrement exigeants et versatiles s’ils sont déçus. Les cinéastes et les producteurs sont donc particulièrement préoccupés de leur proposer des films dans lesquels les enfants retrouveront un univers dans lequel ils peuvent se reconnaître. Pourtant, les messages de ces films restent des messages conçus par des adultes et correspondants le plus souvent à une représentation morale du monde transmise aux enfants. L’organisation même du monde est transmise par ces films, comme peut l’attester entre autre exemple la production Disney Bernard et Bianca où est reproduite une forme d’organisation des nations unies… des souris ! L’analyse de l’évolution de ces représentations est une fois encore d’un intérêt majeur pour les historiens des mentalités.
Un autre problème se pose lorsque les thèmes d’Histoire et de Cinéma sont associés. Souvent, tel film est présenté comme un film historique. Il s’agit d’un abus de langage qui provient de la confusion de termes. Si par principe toute production humaine est une source historique, alors tout film est historique. Or l’expression « film historique » renvoie à un genre de cinéma : le cinéma qui filme le passé. D’autres expressions sont désormais utilisées comme par exemple films en costumes. Plus intéressant car il évite la confusion sus mentionnée, mais en introduit une autre. Les autres films seraient-ils faits sans costumes ? L’objet n’est de toute façon pas de savoir comment désigner le film qui traite de l’histoire mais il montre encore une fois un des aspects de la résistance des historiens face à l’œuvre filmique. Un film traitant du XVIIIème siècle n’obéit pas aux exigences d’un historien. Il raconte une histoire dont l’action se passe au XVIIIème siècle. Le réalisateur, le ou les scénaristes peuvent avoir une rigueur extrême afin d’être le plus en phase avec la véracité historique mais ils n’hésitent pas à faire des entorses avec l’Histoire si leurs contraintes de production l’ordonnent ! L’historien peut alors analyser ce film une fois terminé de deux manières. La première est celle de l’expert traquant les erreurs de localisation, les contre-sens historiques, les anachronismes, les amalgames. Il ne s’agit donc pas d’analyser le film dans le sens donné à l’œuvre mais dans son contenu relevant parfois de l’anecdotique quant aux erreurs pouvant être perçues par le spectateur. L’autre manière serait d’analyser le film sur les idées développées, peut-être d’ailleurs à partir de la première étape d’expertise. Pourquoi tel anachronisme ? Pourquoi tel choix de personnage ? Quel sens donner à une erreur grossière, identifiable par n’importe quel spectateur ? Et finalement, pourquoi ce film traitant du XVIIIème siècle a été fait à ce moment là ? Pourquoi Jean Renoir fit-il La Marseillaise en 1938 ? Que peut-on trouver de 1938 dans un film sensé évoquer 1792 ? Se pose alors une distinction entre les « films sur » (films traitant d’une époque passée) et les « films de » (films de l’époque étudiée). Dans ces conditions, La Marseillaise est un « film sur la Révolution » et « du front populaire ». La croisée de ces deux considérations doit permettre la mise en évidence des valeurs issues de la Révolution française chez les défenseurs du Front populaire. Et que penser de Couvre Feu d’E. Zwick en 1998 qui évoque un attentat meurtrier au cœur de Manhattan ? Film visionnaire ou tout simplement film témoignant d’un danger imminent connu de tous les Américains ayant déjà connu un attentat du World Trade Center quelques années auparavant. L’analyse a posteriori doit donc toujours remettre le film dans son temps. L’efficacité de Couvre Feu ne repose pas sur le côté divinatoire du scénario et donc insaisissable par le spectateur, mais par l’angoisse existante des spectateurs américains lors de la projection.
Ainsi, et malgré tous les éléments qui montrent la pertinence de l’utilisation du cinéma comme source historique, celui-ci continue à être en marge de la réflexion historique du monde contemporain. Il suffit de voir les pages de manuels scolaires concernant le XXème siècle. Malgré les efforts notables de certains auteurs, le cinéma sert souvent d’illustration d’un discours qui lui s’est fondé sur l’analyse de documents jugés plus nobles ou plus classiques. Le document cinématographique est alors montré par le biais de l’affiche du film. Cela peut se concevoir étant donné la nature même de l’œuvre filmique. Parfois, quelques images extraites d’un film témoin sont analysées Avec par exemple l’analyse de Metropolis de Fritz Lang (1926) dans le manuel de 1ère en France, édition Magnard, 2003. ce qui est un réel progrès. Cependant, les films étudiés ont obtenu un statut particulier : Les Temps Modernes de Chaplin, Metropolis de Lang et autres chefs-d’œuvre qui ont une aura culturelle réelle mais qui par certains aspects, peuvent relever du film démonstratif, ayant un message à transmettre. L’analyse de films apparemment « sans message » n’est en revanche jamais mentionné. On peut néanmoins comprendre la logique de rédacteurs de manuels scolaires qui doivent faire des choix drastiques dans leur corpus documentaire. Mais on peut s’étonner d’une certaine frilosité de la recherche historique dans ce domaine. Or cette attitude est en train d’évoluer, grâce notamment aux travaux d’historiens comme Marc Ferro Cette évolution n’empêche cependant pas certains vieux réflexes même chez les historiens les plus éclairés ; ainsi l’analyse faite pour certains films a souvent encore du mal à sortir de celle de l’étude de la véracité historique quand cela ne vire pas à une étude technique ou artistique.. Les réticences pouvaient s’expliquer au début de l’histoire du cinéma tant l’effet que pouvait produire un film sur un spectateur pouvait être considérable et difficile à analyser dans un premier temps dans le domaine de l’histoire (la frayeur qu’inspirait L’arrivée du Train en Gare de la CiotatFilm de la première projection officielle du cinématographe, 1895. avait sûrement plus d’intérêt à être d’abord analyser en terme de « réflexologie » que dans le champ historique !). Mais nous sommes désormais trop au fait de l’image, de sa lecture, de sa production, pour ne plus avoir face à elle un esprit critique et le plus objectif qui soit. Le cinéma est une source historique à part entière. A manipuler avec précaution, certes, mais avec les mêmes méthodes qu’un œuvre littéraire ou picturale.
Les enseignants l’ont compris depuis longtemps mais curieusement, avec cette angoisse récurrente : ce qu’ils montrent est-il vrai ? Il est temps de rassurer ces enseignants. Non, bien sûr, le cinéma ne dit pas la vérité. Pas plus qu’Aristophane, pas plus que Zola. Mais s’il ne dit pas la vérité, il dit une vérité, une de son temps. Le choix de montrer cette vérité doit être fait en toute conscience, avec les mêmes précautions méthodologiques que pour n’importe quelle autre source, en œuvre entière comme en extrait (comme une œuvre littéraire), avec la seule contrainte de respecter le sens de l’œuvre (et donc de l’auteur) dans le choix de l’extrait Ce qui constitue de toute façon une question d’honnêteté intellectuelle plutôt que de méthode.
En 2001, Thierry Frémaux Directeur de l’Institut Lumière à Lyon, directeur artistique du festival de Cannes depuis 2000. me permit de créer des séances pédagogiques à l’Institut Lumière sur le thème « Histoire et cinéma ». Depuis trois ans, les enseignants du secondaire viennent assister avec leurs classes à des cours d’histoire à partir d’extraits de films de l’époque étudiée. L’objectif est alors de démontrer, au travers de thèmes variés, que le cinéma peut aider à avoir une lecture historique d’une période, d’un fait, d’un pays, d’un personnage, d’une idéologie. Grâce à une filmographie variée mais forcément non-exhaustive, des clés sont données tant aux historiens qu’aux étudiants, aux enseignants ou aux cinéphiles pour comprendre le monde et l’évolution des sociétés contemporaines par le biais du septième art, premier des arts populaires.
Lionel Lacour, agrégé d’histoire, conférencier à l’Institut Lumière de Lyon