Le documentaire de William Karel sur la crise de 1929 a fait son entrée sur la chaine YT Notre Histoire et revient sur la dépression la plus terrible de l’histoire des Etats-Unis et du monde. La période débute le programme d’histoire de terminale générale et ce n’est pas peu dire que l’histoire économique ne passionne en général pas les élèves, même quand ils sont en spécialité SES. C’est un tort bien entendu, tant cette décennie inscrit quantité de débats et de mutations qui pèsent sur l’ensemble du siècle suivant mais c’est ainsi. Aussi pouvait-on espérer qu’un documentaire permettrait peut-être de réconcilier tout le monde mais après visionnage, il n’est pas certain que l’objectif soit rempli, malgré les évidentes qualités du travail de William Karel.
Les points forts du documentaire
John Stiglitz en guest-star
Beaucoup de qualités dans ce documentaire. D’abord, il rassemble beaucoup d’intervenants de renom, à commencer par John Stiglitz, prix nobel d’économie en 2001 et spécialiste du marché du crédit. Quelques personnalités françaises intéressantes (Daniel Cohen, Bernard Gazier) et des historiens ou économistes américains remarquables comme Steve Fraser, historien du capitalisme américain et des ouvriers, Howard Zinn ou Elaine Abelson, spécialiste des sans-abris, etc. Mention également de l’historien britannique Harold James, spécialiste de l’Allemagne et de l’économie européenne. Pas de fausse note dans le panel et c’est un gage de qualité à notre époque, même si le corollaire est que beaucoup d’interventions sont redondantes les unes avec les autres et que cela n’aide pas un documentaire déjà assez long (1h40).
Un documentaire à l’ancienne, enfin
Ensuite j’apprécie la sobriété générale de la narration. Une trame chronologique, pas de colorisation des archives, un ton juste sans sensationnalisme, une bande sonore appropriée. Toutes les archives sont très bien choisies et oscillent entre les références très connues (clichés de D. Lange) et les pépites redécouvertes pour l’occasion. Cela aussi, cela devient rare hélas. William Karel est assurément un bon documentariste et son travail ici donne envie de (re-)découvrir son oeuvre.
Très bonne restitution des années 1920 et de la crise de Wall Street
Enfin, sur le fond, plusieurs points sont très bien restitués, notamment le début sur la prospérité trompeuse des Roaring Twenties, l’invasion du crédit partout, l’apparition de la société de consommation et puis la rupture, les mécanismes psychologiques du boursicotage et de la propagation de la crise à partir du Jeudi noir. Il en va de même pour le passage à la crise économique, la crise rurale et sociale, la crise politique. Le documentaire accorde également une large place au New Deal, à ses expérimentations, à son bilan. De façon générale, la restitution de la société, de ses angoisses, de ses espérances, de ses tâtonnements, est très réussie.
Les points faibles
Des explications insuffisantes au-delà du portrait de l’Amérique en crise
Sur les aspects purement économiques, plusieurs éléments sont manquants : si le documentaire envisage bien la diffusion mondiale de la crise, on ne comprend pas très bien les mécanismes à l’oeuvre pour qu’une crise du capitalisme américain devienne mondial. Certes, il est fait mention du retrait des capitaux américains en Europe et notamment en Allemagne mais ce n’est pas le seul phénomène connu. Sont passés sous silence les erreurs de la Réserve fédérale sur l’effondrement de la masse monétaire (thèse de Milton Friedmann & Anna J. Schwartz) et le dogme de l’étalon-or (thèse de Barry Eichengreen). Le documentaire ne dit également pas grand chose du protectionnisme américain et des effets dévastateurs de la loi Hawley-Smoot. La focalisation sur l’Allemagne conduit à ignorer le reste de l’Europe et à évacuer d’autres aires géographiques comme l’Amérique latine.
Peu de recul sur les politiques de sortie de crise
Sur les politiques de sortie de crise, on aurait aimé que les choix soient abordés avec davantage de clarté et de fond théorique. La déflation libérale n’est pas explicitement mentionnée si ce n’est en évoquant les erreurs de Hoover qui, pour le public non averti, peuvent simplement traduire une incompétence personnelle plus que la faillite d’une doctrine économique. La relance est explicitement mentionnée plusieurs fois mais sans réelle définition, ni référence à Keynes. Pour le monde, seul le cas du réarmement allemand est évoqué, et encore fort rapidement : c’est dommage.
La comparaison avec 2008
Le documentaire se termine sur une comparaison avec la crise de 2008 et on comprend mieux ainsi pourquoi le documentaire avait cru bon insister en amont sur la crise de l’immobilier vécue aux Etats-Unis. Toutefois, comme ce n’était pas indiqué d’emblée que l’on comparait 1929 à 2008, cette conclusion paraît télescopée et surtout, il n’y a pas de présentation suffisante de la crise de 2008 pour permettre de réellement apprécier les commentaires des spécialistes qui du reste, tombent souvent dans le jugement de valeurs.
En cédant à la facilité du portrait social de l’Amérique en crise au lieu de l’analyse économique, le documentaire manque son but d’expliquer réellement pourquoi cette crise est devenue une dépression et pourquoi elle est devenue si grave si longtemps. Reste toutefois pour le public français d’excellents choix d’archives et une écriture très soignée. C
Comment utiliser ce documentaire en classe ?
Le documentaire est long : toute réutilisation intégrale paraît exclue. La vidéo YT est utilement chapitrée. Toutes les parties sur l’Allemagne sont dispensables. Les meilleures concernent le portrait des années 1920 mais il n’est pas certain qu’elles soient réellement utiles à l’enseignant au-delà de l’introduction à son cours. Tout l’exposé de la crise elle-même est bien entendu exploitable quoique l’ensemble reste assez long.
On peut aussi envisager à partir d’1h09 la présentation du New Deal, faisant partie des « points de passage » au programme.
En l’état, le visionnage est plutôt à conseiller aux lycéens suivant par exemple une spécialité AMC (Anglais monde contemporain).

