The Purge (American Nightmare) : « Dès que retentira la sirène, tout crime y compris celui d’homicide sera légal durant les 12 heures qui suivront. La police, les pompiers et les services d’urgence médicales seront indisponible jusqu’à 7h demain matin, heure où la Purge se terminera. Bénis soient nos Nouveaux Pères fondateurs et l’Amérique, une nation ressuscitéee. Que Dieu soit avec vous. »
Synopsis : Chaque année, pendant une nuit entière, tous des crimes, y compris le meurtre, sont légalisés par le pouvoir politique américain. Dans la saga American Nightmare, la Purge devient un rituel national destiné à canaliser les frustrations et l’agressivité des citoyens. Deux camps s’opposent alors : ceux qui participent à la Purge, convaincus de servir l’ordre, et ceux qui tentent désespérément de s’en protéger. Derrière les portes blindées et les quartiers ensanglantés, chacun lutte pour sa survie dans des États-Unis livrés à eux-mêmes. De la maison assiégée du premier film aux révoltes urbaines du cinquième, la saga met en scène un cauchemar collectif : celui d’une démocratie malade qui sacralise la violence au nom de la paix sociale.
La saga American Nightmare est composée de cinq films et d’une série télévisée. C’est en 2013 que la franchise voit le jour dans des États-Unis fragilisés par la crise économique de 2008, la montée des inégalités et la peur du déclin. Dans ce climat d’instabilité sociale et identitaire, la dystopie imagine une société où le gouvernement légalise le crime une fois par an afin de « purger » les frustrations populaires et de restaurer la paix sociale. Le titre même de la saga souligne sa portée symbolique. Dans sa version originale, The Purge évoque l’acte de purification morale et politique prôné par les Nouveaux Pères Fondateurs. Sa traduction française et européenne, American Nightmare, conserve la langue anglaise mais insiste sur la dimension cauchemardesque de cette dystopie, renversant le mythe de l’American Dream pour révéler le cauchemar collectif d’une violence qui se veut salvatrice. La franchise explore ainsi les tensions constitutives du modèle américain : l’individualisme, le capitalisme, l’hyperlibéralisme et la fascination pour la violence. Cet article montre comment la saga American Nightmare transforme la violence et la peur en instruments politiques, révélant les contradictions internes du modèle politique, économique et moral des États-Unis.
La peur comme fondement du pouvoir : quand l’État génère la violence pour mieux la contrôler
Qui détient la violence ? Une réponse philosophique à cette question
Dans son Léviathan, Thomas Hobbes rappelle que, par essence, « l’homme est un loup pour l’homme », soulignant que les Hommes sont naturellement mauvais et hostiles entre eux. Ils sont par nature des animaux soumis à leurs pulsions, fondées sur leurs frustrations et leur haine. Selon Hobbes, il revient donc à l’État d’assurer l’ordre et la sécurité collective afin de permettre aux Hommes de vivre ensemble sans demeurer dans une insécurité permanente. La garantie de l’ordre est donc le point fondamental du contrat social hobbesien arrachant les Hommes à leur état de nature pour les conduire à la vie en société. Dans American Nightmare, paradoxalement, l’État américain instaure un retour temporaire à l’état de nature afin de permettre l’extériorisation de la violence contenue par les individus dans l’objectif de garantir la sécurité le reste du temps. De ce fait, la Purge marquerait le renouvellement annuel du contrat social avec des individus retournant provisoirement à leur état de nature pour mieux refaire société une fois leurs corps vidés de cette haine naturelle qu’ils ont en eux. Ce processus ouvre chaque année à une nouvelle période de paix sociale entre les citoyens.
Rappelons que, pour Max Weber, dans le Savant et le Politique, l’État est le seul à détenir le monopole de la violence légitime. Autrement dit, l’État, institution souveraine qui impose son pouvoir sur une population et un territoire donné, est la seule instance à pouvoir utiliser la force physique de façon légitime car il est le garant de l’ordre et de la sécurité. Cette légitimité étatique découle du fait que les citoyens lui reconnaissent, à travers le contrat social, le droit d’user de la violence afin de garantir l’ordre. Avec la dystopie imaginée par American Nightmare, ce principe de monopole de la violence légitime est modernisé. Ici, l’État américain délègue temporairement l’usage de la violence aux citoyens directement. Néanmoins, l’État conserve son monopole car il est le seul à pouvoir déléguer l’utilisation de la force, et cela se fait selon le cadre qu’il impose. Durant les douze heures de la Purge, l’État se retire pour mieux renforcer son pouvoir et son contrôle. De ce fait, lors de la Purge, les institutions étatiques incarnant le monopole de la violence légitime, comme la police, sont mises hors service afin de permettre librement aux individus d’user de la violence qui dort en eux.
Aussi, d’après les théories de Michel Foucault, dans la saga American Nightmare, l’État américain dispose du droit de vie et du droit de mort des citoyens. Ses droits se définissent comme la capacité du pouvoir politique à prendre la vie de ses citoyens afin de servir ses intérêts. Néanmoins, dans American Nightmare, la théorie du droit de vie et de mort est dépassée et illustre davantage la théorie du biopouvoir développée par Foucault. Le biopouvoir désigne un pouvoir capable d’administrer la vie, de réguler les corps et d’organiser les comportements des individus pour répondre à une logique de contrôle social qui se veut absolu. Avec American Nightmare, ce qui est pertinent, c’est que ce biopouvoir est perverti autour d’un pouvoir politique qui organise la mort pour préserver l’équilibre social. L’État dystopique ne se contente pas de surveiller les citoyens, il instrumentalise leurs pulsions pour les contrôler. En autorisant la Purge, l’État contrôle non seulement les corps, mais aussi les désirs meurtriers des individus, transformant la catharsis collective en instrument de domination. Pour rejoindre la thèse foucaldienne, l’État contrôle les individus et leurs passions afin de maintenir en vie un ordre social défini grâce à une pulsion de mort institutionnalisée.
La Purge comme réponse politique aux préoccupations citoyennes
La Purge, instaurée dans American Nightmare, est présentée comme mesure politique radicale destinée à restaurer la paix sociale dans un pays affaibli par la crise. La Purge est l’élément central des promesses démagogiques des Nouveaux Pères fondateurs arrivés au pouvoir avec la volonté de restaurer la puissance américaine. En cela, la Purge repose sur un discours officiel visant à réduire le chômage, éliminer le crime et assurer la pérennité économique dans des États-Unis bouleversés par la crise économique. Cependant, cela cache un objectif officieux : celui de maintenir l’ordre et le contrôle social par la peur et la nécessaire canalisation des passions individuelles. Le système politique exploite donc les peurs citoyennes comme celles du déclassement ou encore de l’insécurité pour légitimer une politique autoritaire fondée sur la violence institutionnalisée. La dystopie repose ainsi sur l’étrange paradoxe d’inciter à la violence pour réduire la violence. American Nightmare 4 : Les Origines illustre cette logique en revenant sur les prémices de la Purge. Dans ce volet, l’État expérimente la Purge pour la première fois à l’échelle locale dans un quartier isolé de New York, Staten Island, où se trouve une grande mixité sociale soumise à une extrême pauvreté. Ce test grandeur nature illustre l’aspect cynique du projet politique : faire de la Purge un outil visant à canaliser la violence des masses tout en éliminant les individus les plus vulnérables ne contribuant pas nécessairement à la puissance économique des États-Unis. L’expérience est considérée comme une réussite conduisant à la généralisation nationale de la Purge. Pour légitimer cette décision et asseoir son autorité, l’État vante continuellement les mérites de la Purge dans les médias. Dès les premières minutes du premier volet d’American Nightmare, l’État se félicite du succès de la Purge à partir de données chiffrées : 1% de chômage, criminalité au plus bas, violence inexistante.
Dominique Moïsi, géopolitologue français, démontre que les émotions collectives structurent les sociétés en étant souvent guidées par la peur. Ces émotions collectives se transforment en préoccupations sociales. Il revient donc à l’État d’apaiser les inquiétudes sociétales par l’élaboration de politiques publiques justes et se voulant protectrices. Il s’agit ici de répondre aux peurs qui gouvernent les individus pour restaurer un climat propice à la vie démocratique. Or, dans American Nightmare, l’État détourne cette fonction : il ne calme pas les émotions et peurs populaires mais les instrumentalise. Lors de la première Purge, les citoyens de Staten Island sont motivés par le pouvoir politique à participer à la Purge via des récompenses financières et la violence est exacerbée par l’État qui décide d’envoyer des individus enragés dans des quartiers tranquilles pour pousser les citoyens à répondre par la violence. En faisant perdurer un climat de peur et en offrant un exutoire ritualisé, le pouvoir politique s’assure la loyauté de ses citoyens en les convaincant que la violence institutionnalisée est nécessaire à la stabilité. Cette logique atteint son apogée dans American Nightmare 3 : Élections, où une candidate à l’élection présidentielle, rescapée de la Purge durant son enfance, fonde son programme politique sur l’abolition de ce rituel. Symbolisant une possible rédemption démocratique, la protagoniste devient la cible de prédilection des partisans du régime lors de la Purge annuelle. Le film insiste sur la dépendance des individus à la Purge, où la peur et la violence sont érigées au rang de garanties sécuritaires et identitaires. La menace d’un retour à une paix sociale sans violence effraie davantage que la violence elle-même. Ici, American Nightmare illustre le triomphe des passions avec un peuple façonné par la peur, convaincu que la pérennité de la société passe par la perpétuation du cauchemar annuel de la Purge.
Sacralisation de la Purge par des autorités supérieures et influentes
Pour asseoir leur légitimité politique et justifier la mise en place de la Purge, les Nouveaux Pères fondateurs prennent appui principalement sur l’autorité religieuse. Celle-ci est par ailleurs à l’origine de leur accession au pouvoir en étant le levier central de leur discours politique. En effet, le pouvoir des Nouveaux Pères fondateurs ancre leur rhétorique dans une dimension sacrée et divine en utilisant un vocabulaire issu de la religion chrétienne. Au début du premier film American Nightmare, s’inscrit sur l’écran la maxime « Bénis soient les nouveaux Pères fondateurs qui nous laissent purger et purifier nos âmes. Bénie soit l’Amérique, une nation ressuscitée ». Le terme de « purge » et l’action de « purifier » proviennent du discours religieux où il est question de libérer les âmes et permettre l’harmonie populaire tout en guidant les individus vers un paradis promis. L’expression « nation ressuscitée » peut faire référence au mouvement « Born again », présent dans les milieux évangéliques américains contemporains. Être « né de nouveau » signifie renaître moralement et spirituellement en suivant la volonté divine. Les Nouveaux Pères fondateurs se présentent ainsi comme initiateurs d’une ère nouvelle symbole de régénération nationale. Ils prétendent redonner aux États-Unis leur grandeur et leur pureté, en s’appuyant sur la foi pour légitimer leur pouvoir. Ce rapport entre purification morale et salut collectif n’est pas sans rappeler les fondements du puritanisme, courant religieux ayant profondément marqué l’histoire et la culture américaine. Pour les puritains, la communauté devrait être purifiée pour rester digne de la grâce divine. Cette idée d’une société élue, dont la pureté garantirait la prospérité, est alors déformée dans American Nightmare. Dans la saga, les plus faibles et les plus pauvres deviennent les impurs à éliminer pour assurer la survie de la nation. La Purge apparaît alors comme une réinterprétation du mythe puritain, transformant la quête spirituelle en purification violente. Enfin, le nom du pouvoir politique « Nouveaux Pères fondateurs » renvoie directement au récit historique des États-Unis.
Les premiers Pères fondateurs sont les hommes ayant construit l’indépendance du pays, à l’image de George Washington, Benjamin Franklin ou encore John Adams. Le nom « Nouveaux Pères fondateurs » suggère donc qu’ils reconstruisent l’Amérique dont ils ont hérité en conservant l’idée de libération du peuple et aussi la dimension patriarcale qui se cache derrière le mot « pères », excluant ainsi les femmes du pouvoir. Pour étendre leur influence, les Nouveaux Pères fondateurs utilisent le concept de la Destinée Manifeste, selon laquelle les États-Unis auraient reçu la mission divine d’étendre leurs valeurs et leur modèle de civilisation. Dans American Nightmare, cette mission divine prend la forme d’une croisade intérieure où il est nécessaire de purifier la société afin de défendre les valeurs américaines et garantir la prospérité nationale. Ainsi, le pouvoir des Nouveaux Pères fondateurs repose sur une domination traditionnelle et charismatique en prenant appui sur la religion comme outil de légitimation. Ils deviennent les nouveaux prophètes de la nation où la foi se confond avec l’ordre politique et où la violence devient une forme de rédemption. La Purge, sacralisée comme rituel de purification collective, devient alors l’expression ultime d’un fanatisme religieux et patriotique transformant la quête spirituelle en instrument de domination.
Aussi, le pouvoir politique d’American Nightmare utilise la science pour justifier la mise en place de la Purge. Effectivement, les scientifiques entretiennent la glorification de la Purge et permettent de légitimer cet événement à travers un discours sur la biologie humaine. À plusieurs reprises dans les films, des psychologues et psychiatres démontrent les bienfaits de la Purge qui est présentée comme un acte de libération de l’agressivité propre au fonctionnement neurologique humain. Les scientifiques usent donc de leur légitimité experte et intellectuelle pour asseoir le discours politique des Nouveaux Pères fondateurs. Pour renforcer leur autorité, les scientifiques s’adressent directement aux citoyens via les médias en avançant des preuves empiriques et statistiques renforçant la crédibilité de leurs propos. De ce fait, les citoyens pensent que participer à la Purge revient à soigner leurs traumatismes psychologiques et à traiter la violence qui sommeille en eux. Il est important de souligner que les lobbies pharmaceutiques ont fait pression sur les Nouveaux Pères fondateurs afin d’instaurer la Purge pour nourrir leurs propres intérêts économiques. La Purge cause des blessures et des traumatismes durables devant être soignés une fois la Purge terminée, ce qui stimule la vente de médicaments et soins médicaux enrichissant l’industrie pharmaceutique et les assurances médicales.
Enfin, ce sont les médias qui jouent un rôle central dans la légitimation de la Purge. Souvent qualifiés de quatrième pouvoir, les médias ont pour fonction d’informer et influencer l’opinion publique. Dans American Nightmare, les médias sont pleinement contrôlés et soumis au pouvoir des Nouveaux Pères fondateurs remettant en cause l’aspect démocratique du régime. Lors de la Purge, les médias nationaux retransmettent en direct les massacres commis sur les télévisions américaines. Les images sont directement extraites des systèmes de vidéosurveillance des villes afin de montrer en temps réel ce qu’il se passe dans le pays. Le reste de l’année, les médias insistent sur les répercussions positives de la Purge et présentent les morts de ce rituel comme des sauveurs pour la société participant à sa purification et sa pérennité. La retransmission de ces images et de ces chiffres contribue volontairement à la désensibilisation des citoyens face à la violence qui est alors normalisée et intériorisée. Aux médias s’ajoutent l’éducation des enfants. En contrôlant les écoles, les Nouveaux Pères fondateurs introduisent la Purge et la violence dans les salles de classe afin de transmettre aux enfants l’idée que la Purge est essentielle à la société et qu’elle leur permet d’extérioriser toutes les émotions négatives qu’ils ont en eux.
Quand la dystopie rencontre la réalité
Il serait faux de penser que les dystopies comme American Nightmare ne s’appliquent pas au monde réel dans lequel nous vivons. Tout d’abord, le genre dystopique prend naturellement appui sur des situations réelles qu’il cherche à extrapoler afin de lancer un message d’alerte sur un futur potentiel pour nos sociétés. De plus, les dystopies peuvent parfois être détournées de leur objectif d’alerte en devenant des instruments pour le pouvoir politique en place. Le message d’American Nightmare, qui alerte sur la situation actuelle du système politique américain et le danger de la banalisation de la violence, est détourné par certains hommes politiques. En cela, le Président Donald Trump a affirmé à plusieurs reprises lors de la dernière campagne présidentielle qu’il serait bénéfique pour la société de mettre en pratique un système similaire à la Purge. Pour Donald Trump, réduire la criminalité aux États-Unis passerait par l’instauration d’une journée de violence, faisant écho au modèle d’American Nightmare[1]. Après plusieurs interpellations publiques à ce sujet, Trump est revenu sur ses propos en affirmant qu’en réalité une seule heure de violence serait suffisante pour réduire drastiquement le taux de criminalité le reste du temps. Ces propos rappellent que la dystopie ne se trouve jamais loin de la réalité, et que la frontière entre la fiction et la réalité demeure toujours fragile.
L’individualisation de la justice et la privatisation de la sécurité au service de l’idéologie américaine
La justice comme instrument de l’individualisme
Dans American Nightmare, la justice devient l’affaire des individus eux-mêmes. Ces derniers, influencés par les valeurs défendues par le système politique, sont alors considérés comme les juges de la nation durant la Purge. Temporairement, l’État se désengage du système judiciaire, laissant légalement les individus faire leur propre loi et agir au nom de leur propre justice. Ce mécanisme révèle le fait que la délégation de la violence renforce l’illusion de liberté et de responsabilité individuelle. Ce phénomène rejoint la théorie du « self-made men », instrumentalisée par les Nouveaux Pères fondateurs pour manipuler les citoyens. Selon cette théorie, les individus sont considérés comme les seuls maîtres de leur destin et responsables de leur survie. Dans ce sens, leurs actions et décisions sont guidées par la poursuite de leurs intérêts personnels, qui paradoxalement finiraient par nourrir l’intérêt général de la société, créant ainsi une forme de solidarité indirecte. En cela, les actes et actions des citoyens américains se fondent sur un individualisme extrême et enraciné.
Lors de la Purge, cet individualisme conduit les citoyens à mettre en pratique le concept de « se faire justice soi-même » qui est alors permis et légitimé par l’État qui légalise tous les crimes durant une période définie. La Purge conduit à instaurer un climat d’impunité où les individus sont pleinement libres d’agir au service de leur propre vision de la justice. Ce concept se retrouve dans American Nightmare 2 : Anarchie où le personnage principal, Leo Barnes, est un policier qui profite de la Purge à Los Angeles pour se venger des assassins de son fils, mettant ainsi sa vengeance personnelle sur le même plan que la justice publique. Cependant, la vision individuelle de la justice qu’ont les citoyens est en réalité construite par le pouvoir politique transmettant une certaine vision de ce qui est juste afin d’alimenter la violence et les massacres.
L’individualisme se manifeste également dans le concept de légitime défense, élément central de la société américaine. En effet, c’est ce que reflète le second amendement de la Constitution des États-Unis relatif au droit du port d’armes. Ce droit, considéré comme fondamental dans la société américaine, introduit l’idée que la violence peut être normalisée par la justice elle-même. Avec la Purge, la justice, soumise à l’autorité de l’État, accepte de fermer les yeux sur les crimes commis durant cette nuit et inscrit même dans ses textes la légalisation des crimes pendant la Purge. Cette institutionnalisation renforce la construction du droit de tuer comme droit identitaire et social. Dans American Nightmare, cette idée se traduit par la création du « droit de Purge », ou droit de tuerie, offert à tous les citoyens américains annuellement. Cette institutionnalisation de la violence grâce à l’outil juridique et législatif amène à considérer la violence comme un acte patriotique. Participer à la Purge, en plus d’être un droit, devient un devoir citoyen où tuer devient une obligation morale et civique servant la pérennité de la nation grâce à l’expression des passions individuelles.
La création d’une économie de la peur et de la violence
L’instauration de la Purge génère un climat de peur dans la société avec des individus qui ne souhaitent pas participer à celle-ci et qui sont donc contraints de se protéger afin d’éviter d’être pris pour cible. American Nightmare introduit le concept de privatisation de la sécurité. L’État se retire temporairement du maintien de l’ordre avec la fermeture de tous les commissariats de police. De ce fait, si l’État n’assure pas la sécurité des citoyens durant la Purge cela devient le nouveau terrain de jeu des acteurs privés. De nombreuses entreprises se multiplient et entrent en compétition afin de fournir aux individus les meilleurs systèmes de protection. C’est ainsi que la famille Sandin, au cœur de l’intrigue d’American Nightmare 1, fait fortune grâce à la vente massive de systèmes de sécurité ultra-technologiques. Ces différents systèmes, très onéreux, visent à protéger les foyers et le patrimoine des individus. Les maisons familiales deviennent alors des forteresses d’une nuit. La peur se transforme alors en un réel moteur économique pour le domaine de la sécurité, participant ainsi à la croissance économique des États-Unis et au développement des nouvelles technologies.
La protection des individus durant la Purge passe également par la mobilisation d’entreprises privées offrant des services de sécurité sur mesure. Ces dispositifs sont notamment utiles aux personnes publiques et médiatisées qui expriment leur désaccord avec la Purge. Ces individus sont généralement les cibles privilégiées des participants à la Purge car ils représentent la possibilité d’une fin à ce rituel criminel. Dans American Nightmare 3 : Élections, la Sénatrice Roan est victime d’une tentative d’assassinat par des partisans du pouvoir des Nouveaux Pères fondateurs car elle défend l’abolition de la Purge dans son programme pour la présidentielle. Elle décide donc de remettre sa sécurité et sa survie entre les mains d’une équipe de protection composée de gardes du corps privés. Ici, American Nightmare dénonce le fanatisme qui peut naître chez des individus n’ayant alors aucune tolérance envers ceux qui tenteraient de changer le système. Cette privatisation de la sécurité illustre l’idéologie néolibérale poussée à son extrême. La protection des citoyens n’est alors plus une mission publique, mais un bien marchand que chacun doit s’offrir.
Aussi, l’introduction de la Purge comme rituel national entraîne un essor considérable de l’industrie de l’armement. Dans la saga American Nightmare, cette économie de la violence devient un pilier du capitalisme américain avec la hausse de la consommation d’armes et l’enrichissement des entreprises privées de l’armement. Ce phénomène fictif traduit une réalité tangible avec des États-Unis qui sont la première puissance exportatrice d’armes dans le monde. Cela vient du fait que le port d’armes est légal dans la majorité du pays avec un enracinement profond de la culture du port d’armes dans l’identité américaine. Cela provient de l’héritage historique des États-Unis qui ont acquis leur indépendance par la lutte armée individuelle et le mythe du pionnier défendant la nation
- Dans American Nightmare, l’État autorise l’usage des armes de classe 4 et inférieures au cours de la Purge. De ce fait, les armes militaires lourdes, les armes de destruction chimique et nucléaire sont formellement interdites et sont réservées à l’usage unique de l’État. Ce choix, loin d’être anodin, révèle une stratégie de contrôle d’un État qui conserve le monopole de la destruction massive. L’aspect économique de la Purge est central car le pouvoir politique stimule artificiellement la demande en armes. Les grandes entreprises de l’armement deviennent de véritables bénéficiaires de ce rituel tout en justifiant l’augmentation de leurs prix par la hausse de la demande. Dans American Nightmare 4 : Les Origines, les lobbies de l’armement jouent un rôle décisif dans l’arrivée au pouvoir des Nouveaux Pères fondateurs et l’instauration de la Purge. La violence et la peur deviennent alors un marché économique, et la mort un produit. Le citoyen armé devient à la fois consommateur et instrument du pouvoir, intégrant la violence dans la logique même de la consommation personnelle.
Le mythe du justicier américain
Le mythe du justicier occupe une place centrale dans l’imaginaire et la culture américaine, renvoyant au processus d’individualisation de la justice et de la sécurité. Le justicier est un individu capable, par sa force et son courage, de soutenir l’État pour assurer la sécurité et la paix collective. Dans ce mythe, se retrouvent notamment les super-héros et les figures du vigilantisme où l’individualisme est exalté. La protection de la communauté passe par l’action d’un seul individu hors des cadres institutionnels classiques. Le mythe du justicier célèbre l’autonomie et le courage individuel. Dans ces récits, la justice individuelle est glorifiée du fait que le justicier agit pour défendre les faibles et restaurer l’ordre moral. Cela se fait en général hors du cadre légal, amenant à légitimer l’usage de la violence hors de ce cadre, avec un État acceptant la délégation de la force au citoyen justicier.
American Nightmare se sert de ce mythe tout en le déformant pour en souligner les vices. La logique de la Purge donne le rôle de justicier aux participants qui sont alors convaincus par l’État de servir la cause collective en purifiant la société. Néanmoins, loin de défendre les plus vulnérables, la Purge pousse les individus à les éliminer car ils sont jugés inutiles voire dangereux pour le modèle économique et social en place. La Purge justifie l’exclusion et la mise à mort des individus considérés comme indésirables pour protéger la puissance américaine. Le mythe du justicier est alors renversé, il prétend servir des causes humaines mais en réalité ne fait que renforcer le système et contribue à répondre à des intérêts financiers.
Parallèle avec la politique étrangère des États-Unis
Ce modèle de justice individualisée et sécurité privatisée se retrouve dans la politique étrangère des États-Unis. En effet, ces derniers prétendent être les « Gendarmes du monde » depuis la chute de la puissance soviétique en 1991. Les États-Unis se présentent comme l’unique puissance légitime à intervenir à l’échelle globale, du fait qu’ils soient désormais la seule superpuissance mondiale. En cela, il serait de leur devoir de promouvoir leur vision de la justice à travers le monde. Celle-ci repose sur les principes démocratiques, la garantie des droits de l’Homme et la diffusion de la liberté, des valeurs qui apparaissent comme universelles et indiscutables. Dans la réalité pourtant, cette vision du monde est bien souvent imposée par la force et de manière unilatérale. Comme dans American Nightmare, où l’État prétend restaurer la paix en instaurant la Purge, la puissance américaine justifie son recours à la force au nom de la défense d’un idéal supérieur de sécurité et de stabilité. Derrière cette rhétorique, ce sont avant tout des intérêts économiques et géopolitiques qui sont défendus. Les interventions américaines au Moyen-Orient ont illustré cette ambivalence : sous prétexte de protéger les populations vulnérables et de combattre un système violent et répressif, les États-Unis ont avant tout cherché à sécuriser leurs positions stratégiques et à affirmer leur suprématie. À l’image du pouvoir des Nouveaux Pères fondateurs, le pouvoir américain se présente comme le gardien de la sécurité du monde, tout en façonnant un ordre international conforme à ses intérêts. Pour imposer sa volonté et préserver cet ordre mondial, la puissance américaine n’hésite pas à user de moyens coercitifs : interventions militaires, violences sur les populations civiles, menaces économiques. Ainsi, les États-Unis revendiquent une légitimation morale fondée sur des principes qu’ils enfreignent souvent eux-mêmes. Comme dans la Purge, la violence est institutionnalisée et rationalisée en étant présentée comme un outil nécessaire au maintien d’un ordre mondial favorable aux États-Unis.
Cette logique se retrouve également sur le plan économique. Les États-Unis sont la première puissance exportatrice d’armes dans le monde, un marché qui dépasse les 318 milliards de dollars par an.[2] En cela, ils participent directement à la privatisation du domaine de la sécurité au profit des grandes entreprises américaines. L’industrie de l’armement américaine profite des tensions internationales et du sentiment d’insécurité généralisé. Ainsi, ils ont donc tout intérêt à contribuer à maintenir un climat de peur globale afin que les autres États continuent à s’armer pour assurer leur protection nationale. Cela renforce l’influence des États-Unis dont beaucoup d’États sont aujourd’hui dépendants pour se protéger d’une menace externe ou interne, à l’image des pays européens. Enfin, la puissance américaine renforce sa domination mondiale par le déploiement massif de bases militaires à l’étranger, justifié par le principe de défense des populations vulnérables et la sécurité collective. En réalité, cette stratégie traduit la volonté américaine d’asseoir durablement sa présence à l’étranger. Par l’invocation d’idéaux universels, les États-Unis ancrent un ordre mondial dont ils sont les maîtres.
L’envers de l’American Dream : la peur et la violence, entre réalité sociale et fascination
La Purge comme allégorie de la violence structurelle américaine
Johan Galtung, sociologue norvégien, théorise la violence structurelle comme une forme de discrimination institutionnalisée par le système politique reposant sur la marginalisation et la stigmatisation des individus. La violence structurelle se traduit par un préjudice infligé par un système socio-économique nuisant à la réalisation du plein potentiel des individus. Cette théorie explique d’une certaine manière la reproduction et l’accroissement des inégalités sociales et économiques qui sont en réalité générées par le système lui-même. En cela, American Nightmare se fait l’allégorie de la violence structurelle qui ronge les États-Unis. Effectivement, la Purge introduit un modèle social reposant sur le sacrifice toléré et institutionnalisé des populations les plus pauvres. Les classes défavorisées sont en réalité les plus touchées par la Purge, non pas car elles y participent activement mais car elles n’ont pas les moyens d’assurer leur protection. Il s’agit ici d’un travers du capitalisme qui ne défend pas l’équité entre les citoyens au profit de la réussite économique de certains individus. Dans American Nightmare 4 : Les Origines, nous apprenons que les Nouveaux Pères fondateurs refusent d’établir des mesures pour lutter contre la pauvreté à la suite de la crise économique. Pour endiguer la pauvreté et l’instabilité économique, l’État choisit d’instaurer la Purge en parallèle d’une propagande qui vise à défendre le capitalisme américain et stigmatiser les individus ne participant pas activement au profit économique. Les Nouveaux Pères fondateurs font des populations pauvres les bouc-émissaires de la crise économique et de l’instabilité sociale. Ainsi, la Purge a vocation à permettre aux plus riches de s’attaquer aux plus pauvres afin d’éliminer les individus indésirables pour le système. Massacrer les plus vulnérables revient à agir en citoyen responsable, participant à la purification de la société pour en assurer la prospérité. C’est ce qu’illustre le premier film d’American Nightmare. Un sans-abri afro-américain est pris en chasse par un groupe de jeunes participants à la Purge étant persuadés d’épurer la société en supprimant les individus n’entrant pas dans le moule de la réussite promise par le système politique.
La violence structurelle aux États-Unis se manifeste aussi grandement sur les personnes racisées. En effet, celles-ci, et en particulier les Américains issus de la communauté afro, sont stigmatisées et discriminées par le système. Dans American Nightmare, les individus afro-américains ou issus de l’immigration mexicaine sont des cibles privilégiées lors de la Purge. Cela vient du fait que les Nouveaux Pères fondateurs défendent l’idée selon laquelle l’ennemi du système provient de l’extérieur faisant des immigrés des ennemis de la nation contribuant à son déclin. Ce racisme fondé sur la haine de l’autre est instrumentalisé lors de la Purge où se met en place une réelle lutte raciale. Cela s’inscrit dans une montée du racisme dans la société américaine à cause, en partie, des discours politiques tenus par certains hommes politiques, à l’image de Donald Trump. Le dernier film de la saga, American Nightmare 5 : Sans Limite, porte sa morale sur le racisme. À la fin du film, de nombreux Américains cherchent à immigrer au Mexique et au Canada afin de fuir les dérives du régime fondé par les Nouveaux Pères fondateurs rappelant ici que la solidarité entre les peuples est un élément nécessaire dans un monde où les régimes politiques mettent à mal les libertés et droits de l’Homme.
American Nightmare ou la décadence du modèle américain
La dystopie de la franchise American Nightmare exagère les traits de la société américaine pour pointer du doigt la décadence du modèle américain à laquelle le monde assiste actuellement. Tout d’abord, le régime des Nouveaux Pères fondateurs témoigne de la perte progressive des valeurs fondamentales des États-Unis. La démocratie, la liberté, la méritocratie et les droits de l’Homme sont mis à mal par le système qui pourtant prône ces valeurs dans son discours universel. American Nightmare cherche à mettre en garde sur l’état de la démocratie aux États-Unis qui peut être considérée comme malade, à l’image d’autres États occidentaux. Dans un schéma classique, la démocratie est mise à mal lors de crises sociales et économiques où le pouvoir peut rapidement tomber aux mains d’acteurs démagogues. C’est ainsi que les Nouveaux Pères fondateurs s’emparent du pouvoir et construisent un régime autoritaire qui bafoue la démocratie américaine. Au nom de la sécurité, les individus sont soumis à l’influence du régime. La Purge, loin d’être un acte démocratique, est imposée aux individus qui pour la plupart ensuite ne peuvent plus s’en passer et prêtent alors pleinement allégeance au pouvoir. De plus, dans American Nightmare il est suggéré que les Nouveaux Pères fondateurs détiennent le contrôle de la justice, des médias et de l’éducation. Trois piliers censés contrebalancer le pouvoir politique qui sont alors instrumentalisés comme dans les dictatures. L’opposition politique existe dans American Nightmare mais demeure très limitée en étant prise pour cible par les partisans de la Purge qui préfèrent que le système autoritaire perdure par tous les moyens plutôt que de retrouver un semblant de société démocratique.
Au-delà de la démocratie, American Nightmare remet en question la relation qui unit les États-Unis aux droits de l’Homme. L’un des principes fondamentaux des droits de l’Homme qu’est le respect de la dignité humaine est complètement balayé par la Purge. En effet, durant le rituel annuel, les individus ne disposent plus de leur droit sacré de protection du fait de leur humanité. À la place, ils sont transformés en animaux par le régime des Nouveaux Pères fondateurs qui incitent directement les individus à tuer leurs semblables au nom de la paix sociale. Les principes d’égalité et de fraternité sont aussi mis à mal par la Purge où le système cherche à cibler des individus jugés comme indésirables pour la société afin de les éliminer. Avec la Purge, c’est le concept même de liberté qui est remis en question. Dans American Nightmare, la liberté est poussée à son paroxysme avec des individus pouvant librement agir et commettre toutes les actions qu’ils souhaitent sans peur de sanctions juridiques. Cette dérive de l’ultra libéralisme cache en réalité une réelle dépendance des individus qui sont prisonniers de leurs pulsions, bien plus que des hommes libres. L’invocation de la libération des individus par le régime cherche simplement à dissimuler le fait que les citoyens sont changés en outils du pouvoir politique répondant à des objectifs définis par le régime lui-même.
Fascination pour la violence dans la société américaine
American Nightmare révèle la fascination de la société américaine pour la violence. Ici, le pouvoir politique se sert de cette fascination pour asseoir sa puissance et cherche, en cela, à accroître l’intérêt des individus pour la violence. Dans tous les films, chaque année les autorités politiques se félicitent du nombre toujours plus grand de participants à la Purge et du chiffre exponentiel de victimes faites par la Purge. Cette fascination pour la violence dépasse les frontières comme en témoigne American Nightmare 3 : Élections où des groupes de touristes se rendent aux États-Unis non pas pour faire du tourisme mais pour participer activement à la Purge. La hausse et l’expansion de la fascination pour la violence est rendue possible par les médias. Dans American Nightmare, les chaînes télévisées sont chargées de retransmettre en direct les événements de la Purge et de diffuser à l’échelle globale les meilleures images de violence. À l’échelle internationale, cela provoque un réel attrait pour les États-Unis qui sont présentés comme le pays où la liberté est absolue et où tous les crimes sont permis une fois par an. La violence est alors banalisée et devient un outil de spectacle afin de renforcer la puissance économique et touristique des États-Unis. Au-delà d’American Nightmare, les sociétés contemporaines sont soumises à une exposition de plus en plus accrue à la violence. Cela est dû aux médias qui diffusent toujours davantage d’informations et d’images liées à la violence. On observe qu’en 10 ans, la couverture médiatique de la violence a augmenté de 75%[3]. Cette hausse est causée par la fascination toujours plus grande des spectateurs pour la violence, qui est alors banalisée.
Néanmoins, la saga American Nightmare cherche à démontrer que la fascination pour la violence n’est en rien un aspect positif pour la société. Cette fascination populaire pour la violence représente même un danger pour l’ordre social. C’est ce qu’illustre le dernier volet American Nightmare 5 : Sans Limites où la Purge devient incontrôlable. Les participants à la Purge, très nombreux, revendiquent la poursuite de celle-ci sur un temps plus long et décident alors de ne pas mettre fin à la Purge au bout des 12 heures traditionnelles. Cela démontre que les individus soumis à la violence ne sont jamais satisfaits et ont besoin de perpétuellement repousser les limites de ce qui est acceptable. Dans le film, la Purge est généralisée et les massacres ne trouvent pas de fin, faisant alors sombrer les États-Unis dans le chaos et l’anarchie. La fin de la saga se veut être un message d’alerte sur la banalisation de la violence qui finit par prendre pleinement possession de la société de façon durable. De plus, dans tous les films d’American Nightmare, les participants à la Purge sont masqués. Le fait que les personnages commettant les violences portent un masque insiste sur la perte d’humanité des individus lors de la Purge. Aussi, le masque permet aux participants de se dédommager de toute forme de responsabilité morale. Cela amène à réfléchir sur le rôle de la société et des individus dans leur rapport à la violence.
L’exportation de la violence et de la peur par le Soft power américain
Dans un monde où les sociétés sont fascinées par la violence et la peur, ces dernières deviennent alors des outils du Soft Power américain. Les États-Unis fondent une partie de leur puissance sur l’exportation dans le monde de représentations de la violence utilisant ainsi le climat de peur actuel pour étendre leur influence. Pour ce faire, la puissance américaine dédie une grande partie de sa production culturelle à des œuvres mettant en scène la violence et la peur. Zygmunt Bauman, sociologue polonais, met en avant une théorie selon laquelle la violence est un produit de la modernité, et non d’un retour à la barbarie, où les sociétés participent à une forme d’esthétisation de la violence. Ce sont principalement les médias et la culture qui sont responsables de ce processus. Celui-ci transforme la violence en spectacle désensibilisant les individus, instaurant ainsi une certaine distance entre eux et la violence. En cela, les États-Unis contribuent à cette esthétisation de la violence et de la peur, qui deviennent alors des produits de consommation. Dans ce sens, American Nightmare diffuse à l’échelle globale une imagerie politique reposant sur l’idée de purification des sociétés par la violence pour garantir la paix sociale justifiant ainsi l’usage de la force physique. Il est important de souligner l’ambivalence des films qui sont à la fois une critique du système américain mais qui participent malgré eux à la construction d’un imaginaire de la violence et de la peur. Aussi, les œuvres mettant en scène la violence peuvent servir de prétexte à certains individus pour commettre des actes de violence en trouvant leur inspiration dans la fiction. Il en va donc du rôle de l’éducation de prévenir des mauvais usages des œuvres culturelles, avec une sensibilisation nécessaire à la violence pour ne pas la romantiser et la banaliser auprès des individus et surtout de la jeunesse.
La peur et la violence deviennent des éléments essentiels du Soft Power américain qui les transforment en biens marchands via la production culturelle. Les œuvres suscitant la peur et mettant en scène la violence sont les œuvres avec le plus de retombées économiques comme en témoigne le succès d’American Nightmare. La saga a rapporté environ 535 millions de dollars avec des coûts de production estimés à seulement 53 millions de dollars[4]. La franchise dispose d’une grande popularité dans le monde, principalement en Occident. En France, American Nightmare 4 : Les Origines a fait 1 040 490 entrées dans les cinémas entre juillet et octobre 2018[5]. Cet intérêt pour les œuvres d’horreur et dystopiques où la violence est présente conduit à un accroissement significatif des productions culturelles mettant en scène la violence. Il s’agit ici d’une réponse à la demande des spectateurs qui sont les consommateurs.
En conclusion, American Nightmare dépasse le cadre du divertissement pour agir comme un miroir déformant du système américain. La saga met en lumière les mécanismes d’un pouvoir fondé sur la peur et la légitimation de la violence au nom de l’ordre social et la stabilité économique. En transposant dans un futur proche les dérives d’une démocratie américaine malade, American Nightmare invite à réfléchir sur la société américaine actuelle. Depuis 2018, la série télévisée The Purge prolonge ce cauchemar politique et poursuit sa mise en garde contre une société où la morale s’efface au nom de la sécurité et où la peur devient le ciment du pouvoir.
Pour la spécialité HGGSP
- Comprendre un régime politique, la démocratie (classe de Première) : la saga American Nightmare invite à réfléchir au processus de transformation d’une démocratie en un régime autoritaire à la suite d’une période de crise profonde. Cela permet d’illustrer la manière dont une démocratie malade succombe à la tentation d’un régime anti-démocratique. Dans American Nightmare, ce sont les promesses démagogiques des Nouveaux Pères fondateurs qui permettent leur arrivée au pouvoir. S’en suit alors toute une série de mesures anti-démocratiques, allant du contrôle de la justice à celui des médias et de l’éducation. American Nightmare invite également à réfléchir sur le rôle des acteurs privés, comme les lobbies.
- S’informer, un regard critique sur les sources et modes de communication (classe de Première) : dans American Nightmare, les médias jouent un rôle crucial dans le maintien en place du régime. En effet, les médias influencent l’opinion publique en faveur de la Purge en s’efforçant de démontrer ses bienfaits à travers des interviews d’experts, ou encore des données chiffrées. De plus, les médias diffusent en direct les événements de la Purge, contribuant ainsi à une certaine banalisation de la violence.
- L’enjeu de la connaissance (classe de Terminale) : la saga amène également à analyser la place de la communauté scientifique dans la légitimation de la Purge. Effectivement, les scientifiques justifient la mise en place de la Purge à l’aide de données empiriques démontrant la nécessité pour les êtres humains de se libérer des pulsions qui les rongent. À noter que les laboratoires pharmaceutiques et les assurances maladies ont eux-mêmes fait pression sur les Nouveaux Pères fondateurs afin d’instaurer la Purge, générant ainsi un marché lucratif autour des soins médicaux. Enfin, l’école participe activement à la valorisation de la Purge comme un rituel nécessaire et bénéfique à l’ensemble de la société. Cela invite à réfléchir sur la manière dont des acteurs non politiques influencent les individus dès leur plus jeune âge en usant de leur légitimité intellectuelle.
Pour la spécialité SES
- Comment la socialisation contribue-t-elle à expliquer les différences de comportement des individus (classe de Première) : dans American Nightmare, les citoyens, majoritairement les enfants, sont éduqués à la violence à travers la Purge. Celle-ci fait l’objet d’une intériorisation de la part des individus qui trouvent alors un sens et une justification à ce rituel. Les individus sont désensibilisés à la violence qui leur est présentée comme normalisée et institutionnalisée. Ce processus vise à créer une certaine forme de dépendance des individus vis-à-vis de la Purge. Il s’assure aussi que la Purge soit perçue comme légitime, réduisant ainsi toute forme de contestation du système établi.
- American Nightmare permet aussi d’illustrer plusieurs notions au programme : déviance, justice sociale, inégalités, opinion publique…
Pour la philosophie
- La justice (classe de Terminale) : la saga questionne la notion même de « justice ». Dans American Nightmare, la justice est alors soumise au pouvoir politique qui décide arbitrairement de légaliser les crimes lors de la Purge. Les films permettent aussi d’analyser la théorie de « se faire justice soi-même » avec des individus motivés à commettre des crimes en réponse à des injustices passées. Enfin, American Nightmare démontre comment le pouvoir politique peut influencer la vision de ce qui est juste pour les individus afin de servir ses propres intérêts. Pour renforcer la puissance du régime, le pouvoir parvient à transmettre aux individus qu’il est patriotique de purifier la société de ses membres les plus vulnérables. Ces derniers sont ainsi présentés comme indésirables par le système.
- L’État (classe de Terminale) : le régime des Nouveaux Pères fondateurs amène à réfléchir sur le rôle de l’État dans la société. Dans American Nightmare, le contrat social est renouvelé chaque année grâce à la Purge, rituel meurtrier promettant une sécurité perpétuelle durant le reste de l’année. L’État délègue donc temporairement son monopole de la violence aux citoyens tout en conservant le contrôle de la situation. Ici, il est pertinent d’analyser jusqu’où s’étendent les pouvoirs de l’État qui va jusqu’à instrumentaliser les frustrations et pulsions des individus, illustrant ainsi la théorie du biopouvoir.
- La liberté (classe de Terminale) : naturellement, American Nightmare interroge la notion de « liberté ». La Purge est présentée par le pouvoir politique comme l’exercice absolu de la liberté des individus libres de commettre toutes les actions qu’ils désirent sans cadre légal. Il s’agit ici d’une dérive de l’ultra-libéralisme promis par les États-Unis, à comprendre comme la défense extrême des libertés individuelles. Ce retour à un état de nature, où règne la loi du plus fort, cache en réalité le contrôle du pouvoir sur les individus. Ces derniers sont alors prisonniers de leurs pulsions et vont jusqu’à devenir dépendants de la Purge.
Pour l’épreuve du grand oral
- La saga American Nightmare peut faire l’objet d’un sujet pour l’épreuve du grand oral afin d’analyser les dérives de la puissance américaine dont le modèle semble malade. Ce sujet peut aussi amener à traiter des thématiques de la démocratie, des médias et de la connaissance. Ainsi plusieurs sujets sont possibles selon l’angle choisi :
- Dans quelle mesure la saga American Nightmare révèle-t-elle les fragilités de la démocratie américaine ?
- En quoi la saga American Nightmare traduit-elle la crise du modèle américain en se faisant le miroir déformant de ses valeurs ?
- American Nightmare peut-elle être lue comme une métaphore de la puissance américaine ?
- Comment la saga American Nightmare dénonce-t-elle le rôle d’acteurs non étatiques dans l’influence de l’opinion publique ?
[1] « Election américaine 2024 : Une déclaration de Donald Trump comparée aux films American Nightmare », 20 Minutes, 2024 : https://www.20minutes.fr/monde/etats-unis/4112966-20241001-elections-americaines-2024-declaration-donald-trump-comparee-films-american-nightmare
[2] « Armements : les Etats-Unis battent un record de ventes à l’exportation en 2024 », La Tribune, 2025 : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/exportations-d-armements-en-2024-nouveau-record-pour-les-etats-unis-1016720.html
[3] « La place des violences dans les médias a augmenté de 75 % en dix ans », Ouest France, 2025 : https://www.ouest-france.fr/medias/la-place-des-violences-dans-les-medias-a-augmente-de-75-pourcent-en-dix-ans-6288ae78-b795-11ef-ab9f-bc1b3bcb740d
[4] Box Office The Purge Movies, The Numbers: https://www.the-numbers.com/movies/franchise/Purge-The#tab=summary
[5] American Nightmare 4 : Les Origines, Allociné : https://www.allocine.fr/film/fichefilm-250645/box-office/

