La Chambre de Mariana en cette rentrée 2025 est l’occasion de nous replonger dans une époque qui résonne douloureusement avec notre actualité. Alors que les conflits se multiplient et que la question des refugiés traverse notre époque, Emmanuel Finkiel nous propose un regard sur l’humanité dans ses retranchements les plus sombres.
Synopsis
1943, Ukraine. Hugo, 12 ans, doit être sauvé de la déportation. Sa mère le confie à Mariana, une prostituée qui fut son amie d’enfance et vit dans une maison close à la sortie de la ville. Caché dans le placard de la chambre de Mariana, Hugo grandit entre peur et désir, témoin privilégié d’un monde interdit qui devient son unique horizon.
1943, quand l’innocence se cache dans l’ombre de l’Histoire
C’est en Ukraine orientale qu’Aharon Appelfeld a puisé, avec une sincérité réellement bouleversante, dans ses propres souvenirs d’enfant caché. L’auteur israélien transforme son traumatisme personnel en fiction réparatrice. Dans cette Ukraine de 1943, la Shoah par balles fait rage, les Einsatzgruppen sillonnent le territoire, et la complicité d’une partie de la population locale rend possible l’impensable.
Pour sauver Hugo, il faut l’accepter dans un milieu que la société rejette, avec des femmes que les bien-pensants méprisent. Viennent alors ces femmes qui s’inquiètent de nourrir un enfant, des hommes qui ferment les yeux sur sa présence, un peu trop fragile, un peu trop vulnérable pour ne pas émouvoir. Quant à Mariana, elle incarne cette « banalité du bien » dont parle Francis Wolff dans le dossier pédagogique accompagnant le film, cette humanité ordinaire qui accomplit l’extraordinaire.
« Tu n’es qu’un enfant, tu ne dois pas voir ces choses-là »
La protection de l’enfance dans un monde qui a perdu ses repères moraux devient un défi permanent. Seule, Mariana doit convaincre. Non seulement il faut cacher Hugo des autorités, mais aussi préserver son innocence dans un univers de violence et de sexualité. Le réalisateur parvient finement à dresser un tableau juste de cette communauté marginale où s’épanouissent paradoxalement générosité et solidarité.
La prostituée mène dès lors un combat multiple. Seule, elle doit convaincre ses collègues, rassurer les clients, négocier avec les autorités, compter sur l’appui discret du tenancier. Mariana s’impose par sa poigne, cette force de caractère qui lui permet de tenir tête aux hommes de pouvoir. Si parfois on pourrait avoir l’impression de se retrouver dans La Petite Maison dans la Prairie, version maison close, le film se nourrit d’une vérité humaine profonde nettement plus aboutie.
Les personnages sont attachants, chacun portant une histoire personnelle qui le rend crédible. Le passé de Mariana, le poids de ses propres blessures, la tendresse inattendue d’un milieu réputé dur… tout concourt à créer une galerie de portraits authentiques, loin des clichés habituels sur la prostitution.
L’enfant doute, mais il ne renonce à rien et de son côté elle finit par s’imposer, autant que sa capacité à comprendre cet univers complexe.
Grandir malgré tout, avec Mariana
Cette communauté, avec ses rituels, ses codes, ses solidarités souterraines, ses peurs face à l’avancée soviétique, finit par se réunir autour de l’enfant. L’émancipation d’Hugo, son apprentissage accéléré de la vie, prennent la forme d’une classe particulière avec sa carte de l’Europe en guerre, ses leçons de survie quotidienne, son apprentissage des relations humaines dans ce qu’elles ont de plus complexe.
C’est un récit d’apprentissage où le film évoque un temps où l’enfance était brutalement interrompue. Il n’y a pas d’écran noir, la réalité s’impose dans toute sa crudité, mais il y a cette forme de protection que constitue l’amour authentique. Les enfants ne sont pas épargnés par l’Histoire, mais ils peuvent grandir grâce à la bienveillance des adultes.
Mais cette protection n’est pas sans tensions. Hugo observe ce monde découvre la sexualité, la violence, l’alcool. S’émanciper dans ce contexte, c’est aussi perdre de l’innocence pour gagner en humanité. Ces questionnements résonnent avec notre époque, où la précocité des apprentissages interroge les éducateurs comme les parents.
La mémoire par l’intime
Si le film reconstitue la mémoire douloureuse de la Shoah par balles, des massacres de masse en Ukraine, il privilégie l’approche intime à la grande Histoire. Au détour des souvenirs d’Hugo, les déportations et les fusillades surgissent, mais le récit reste ancré dans l’expérience personnelle, dans ces petites histoires qui éclairent la grande.
Comme évoqué dans le riche dossier pédagogique proposé par nos partenaires de l’Agence Approches, cette approche permet d’exploiter de multiples pistes avec les élèves. Le film conjugue histoire et littérature, offre une réflexion sur les genres narratifs contemporains, questionne la frontière entre témoignage et fiction.
L’œuvre d’Emmanuel Finkiel est de qualité et permet d’aborder sereinement ces questions sensibles. Les acteurs sont justes, Mélanie Thierry compose une Mariana complexe et touchante. Le rythme, porté par la voix off d’Hugo devenu adulte, épouse la temporalité particulière de la mémoire. Les images de l’Ukraine en guerre résonnent avec l’actualité sans jamais instrumentaliser la souffrance passée.
Largement exploitable avec des élèves de collège comme de lycée, ce film peut nourrir une sortie cinéma enrichissante et ouvrir des perspectives pédagogiques fécondes, tant en Histoire qu’en HGGSP pour le thème des mémoires, ou encore en HLP.
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Cinéfrance Studios, Curiosa Films et Metro Communications / 2025 / 2h 11min / Drame historique
Titre original : La Chambre de Mariana
Réalisateur : Emmanuel Finkiel
Scénaristes : Emmanuel Finkiel, d’après le roman d’Aharon Appelfeld
Avec : Mélanie Thierry, Artem Kyryk, et Victoria Bolotova, Khrystyna Diakova