Introduction

Le cinéma africain malgré sa « jeunesse » est très riche et présente des aspects inattendus. On y trouve la diversité, la complexité, l’originalité, la débrouillardise, la poésie, la réflexion qui, de façon générale, caractérise toutes les activités créatrices en Afrique.

Toutefois, si les films venus d’Afrique Effaçons tout d’abord une ambiguïté: par cinéma africain on entend le cinéma produit par les africains eux-mêmes, même s’il est parfois fait référence au cinéma « colonial » ou aux films sur l’Afrique produits par les occidentaux. Malgré le caractère généralisateur de l’expression « cinéma africain », on est face à une diversité de cinémas souvent arbitrairement compartimentés en cinémas du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, en cinémas francophone et anglophone, mais on pourrait aussi parler de cinémas nationaux, de cinémas éthniques. Cet article de découverte fait principalement référence au cinéma francophone d’Afrique noire et dans une moindre mesure, anglophone. Telle est la convention que nous passons avec le lecteur. sont aujourd’hui reconnus et respectés, ils restent en comparaison avec les films asiatiques, fort moins éclairés par la scène médiatique occidentale.

Pour l’heure, l’Afrique noire apparaît ainsi dans l’esprit du public cinéphile comme un continent en marge du septième art et par conséquence, nous pouvons déceler dans les classes et chez les enseignants un lointain et inavoué dédain pour les films du continent noir dont l’image générale semble se résumer à un cinéma pauvre, aride, naïf, lent et campagnard. Demander donc à un élève occidental de vous citer des réalisateurs africains, il aura des difficultés à en trouver ne serait-ce qu’un seul !

A croire que les films africains resteront cantonnés au rôle d’éternels « parents pauvres » et éternellement catalogués, éternellement mis à l’écart et incompris, car encore trop méconnus – et ce, en dépit de quelques tentatives répétées de promotion dans les festivals et les kiosques – .

Cependant, parler de « cinéma africain » ou de « cinéma d’Afrique » au singulier, n’est pas pertinent. Nous devons en effet, à l’instar d’Idrissa Oudreago accepter « le mot cinémas d’Afrique, mais au pluriel ». Il convient alors d’appréhender ces films dans leur formidable diversité, parfois dans leur médiocrité et parfois dans leur génie. Une diversité en tout cas que l’on doit probablement, en partie tout du moins, à une pluralité d’ethnies, de langages et de dialectes au-delà même d’une incomparable pluralité géographique et géopolitique.

De ce fait, les cinémas d’Afrique noire présentent autant de regards sur l’histoire d’un continent que de réalisateurs.

Dans cette perspective, la médiathèque des trois mondes soutenue par le CNC et FASILD propose en version originale une liste de films sur l’Afrique intéressante à exploiter (voir filmographie : on filme l’Afrique, l’Afrique se filme), d’autant plus qu’elle procure un accord légal pour diffuser ces oeuvres dans un cadre pédagogique.

C’est à partir de ces films qu’incombe au professeur d’Histoire cinéphile la tâche d’élaborer des outils didactiques en lien avec les programmes officiels et dans le but de démythifier l’image d’une l’Afrique emprunte de partis pris. En effet, réhabiliter dans les classes un « cinéma différent » BALOGUN Françoise, Un cinéma différent, Notre Librairie, Revue des littératures du Sud, n°149. Cinémas d’Afrique, octobre décembre 2002. , qui plus est à la recherche de sa propre identité, n’est pas un pari facile.

Ainsi, dans une démarche pluridisciplinaire, conjuguer tradition et modernité pour imaginer l’avenir de l’Afrique à la lumière de la mémoire reconquise, nous interroge sur le cinéma africain, son rôle de transmission culturelle et de partage de la mémoire. Ce fil conducteur peut alors non seulement être à l’origine d’une ébauche de réflexion sur l’esthétique du cinéma africain mais aussi permettre de mieux faire connaître l’Histoire, la géographie et la culture de ce continent.

Si dès les débuts de l’histoire du cinéma, l’Afrique était systématiquement perçue à travers le prisme occidental figeant l’africain dans des stéréotypes exotiques intemporels, les choses ont peu évolué aujourd’hui. Pire, les médias et les films documentaires (humanitaires notamment) ont aussi apporter leur pierre à la construction de stéréotypes sur l’Afrique en faisant de l’africain un affamé dont l’agonie n’en finit plus de se banaliser.

Parmi ces regards cinématographiques sur l’Afrique, conséquences sans doute d’un silence médiatique, les films d’auteurs africains n’existent pas, ou alors quand ils existent, ils restent encore pour la plupart sous influences occidentales (diffusion, production).

Toutefois, depuis quelques années, pour les plus avertis, un cinéma noir tend à émerger dans les festivals et dans les salles obscures, certes lentement mais il propose une vision intéressante et originale loin des préoccupations purement occidentales.

Ainsi, en évitant de dévaloriser les films africains en fonction de critères occidentaux, des cinémas du continent noir semblent enfin ouvrir la voie à de nouvelles interrogations sur le rapport entre image et mémoire en Afrique. Les mythes traditionnels se sont vus réactualisés à travers les formes modernes du septième art réinterrogeant les termes inédits du dialogue entre tradition et modernité, oralité et image dans une perspective universaliste.

Des ténèbres…

L’Afrique au cinéma vu par l’autre, un regard stéréotypé ?

Dès les débuts du septième art, avec les films muets notamment, l’Afrique, par sa puissance d’évocation et son exotisme, sert de cadre à de nombreuses aventures de fiction. Un véritable « goût de l’Afrique » fascine alors l’occident. En effet, pour les cinéastes d’Europe, et bien plus encore des Etats-unis, l’Afrique (re)présente alors le mystère et la colonisation (c’est à dire l’exploration), elle est un décor et rien d’autre aux yeux des occidentaux. « Tarzaneries » et safaris, cimetières des éléphants, fleuves indomptables, tribus farouches, mines oubliées, hommes léopards, sorciers, potentats grotesques, boys serviles… tels sont les clichés de l’Afrique du septième art qui alimentent encore aujourd’hui le mythe d’un continent primitif et pittoresque où la faune, la flore et les indigènes se confondent presque indirectement pour servir de faire valoir aux tribulations d’une poignée de blancs perdus dans un monde hostile.

Cette vision inspirée en partie de la littérature anglo-saxonne a donc été l’apanage pendant longtemps de nombreux réalisateurs occidentaux. De ce fait, les problèmes africains n’existent pas à Hollywood (exception de trafics et esclavages). L’Afrique n’est qu’un terrain de chasse pour l’intelligentsia américaine qui aime voyager et s’intéresse aux activités exotiques comme chasser la bête sauvage. On est bien dans le « syndrome Hemingway ».

Aujourd’hui, malgré des efforts pour changer de vision, ce « goût pour l’Afrique » est encore fortement marqué au cinéma par des lieux communs. Ainsi, des films tel que Out Of Africa ou Itinéraire d’un enfant gâté témoignent, à l’évidence, de la prégnance de ces visons réductrices où seuls les blancs ont le statut de héros ou d’humains à part entière. Le spectateur assis confortablement dans son fauteuil s’y retrouve et voyage par procuration sur un continent exotique.

Finalement à travers le cinéma de fiction, l’Afrique semble être perçue invariablement à travers le regard de l’autre car pour le spectateur occidental, elle se révèle comme un continent ancien, mystérieux et exotique. En effet, on y trouve d’un côté des peuplades rebelles, voire anthropophages, faisant cuire pour leur repas des missionnaires, en dansant du « Crazy Horse Saloon » et de l’autre, la quête de trésors sur fond de carte postale et de nature sauvage en est constante.

Un cinéma instrumentalisé par les occidentaux

Parallèlement à la fiction, le cinéma ethnographique et le cinéma « documentaire » colonial imbibés de propagande étatique ou missionnaire figeaient aussi l’africain dans des stéréotypes intemporels.
C’est donc à titre historique ou comme pièce à conviction du procès d’une mentalité et de ses ravages idéologiques qu’on peut et qu’on doit revisiter ces films sur l’Afrique.

Toutefois, des exceptions sont notables. En effet, quelques films proposent une représentation différente. Parmi eux, notons Afrique 50, film militant du Français René Vautier, qui s’insurgeait avec vigueur contre les violences colonialistes perpétrées en Côte d’Ivoire. Les maîtres fous (1954 tourné au Ghana) ou Moi, un noir (1957), qui, non sans ambiguïté, faisait émerger une autre parole davantage ethnologique (Jean Rouch), proposent une vision intéressante.

Subséquemment, du côté de la fiction vont apparaître aussi des tentatives pour montrer une Afrique différente.
Mais, ce cinéma issu la plupart du temps de la culture bourgeoise se résume à des messages écologiques. Greystoke, la légende de Tarzan ou Gorille dans la brume par exemples proposent une vision naturaliste de l’Afrique: véritable jardin d’Eden ! Impossible de faire un nouveau cinéma africain réaliste avec cette culture !

Quoiqu’il en soit, même si des singularités apparaissent, le continent noir est toujours perçu au cinéma à travers le prisme occidental et selon une norme stéréotypée. Pour beaucoup, l’Afrique reste encore une idée de décor, de superstition et de mystère.

L’étude de la construction des stéréotypes cinématographiques sur l’Afrique dans les classes

Une question semble se poser au pédagogue celle de l’intérêt d’étudier ces films en classe ? A priori, ils ne pourraient présenter qu’un intérêt limité mais à y regarder de plus près, les stéréotypes révèlent un fond de vérité et permettent de mettre à jour avec les élèves l’image d’une Afrique convoitée par les européens.

Il s’agit de contextualiser ou de recontextualiser avec nos élèves la production de ces films sur l’Afrique. C’est alors l’occasion d’illustrer les programmes d’Histoire et plus particulièrement les chapitres concernant la colonisation et la décolonisation au lycée.

Cependant, plus qu’une illustration ces films sont les révélateurs d’une interprétation partisane de l’Histoire. En effet, du documentaire aux médias en passant par les films revendicatifs humanitaires aux films de fiction, le professeur peut s’employer à partir de ces représentations imagées de l’Afrique à construire, avec un regard critique, les fondements d’une image mieux maîtrisée du continent noir.
Ce travail permettrait alors de comprendre les stéréotypes colonialistes ou néocolonialistes pour mieux les combattre.

… à la lumière crue

Les pionniers : un cinéma africain engagé à la recherche d’une identité

Lorsque qu’après les indépendances, des cinéastes d’Afrique noire commencent à tourner librement leurs propres films, la perspective ne peut que changer.

L’impératif de la décolonisation mentale, que Homi Bhabha théorise dans The Location culture (1994), comprend en ce sens, la reprise de la parole. Il s’agit d’une réappropriation du regard et de la voix pour parler de soi au nom de ceux que la colonisation avait déshumanisés.

Les années 1960 voient donc l’apparition de divers courts-métrages cinématographiques engagés signés par des cinéastes africains. En 1966, le sénégalais Ousmane Sembène réalise La noire de… moyen métrage de fiction qui se fait remarquer. Cette même année voit naître les journées cinématographiques de Carthage. C’est la première session du premier festival du film en Afrique : étape originelle d’une reconnaissance officielle de ce cinéma alors balbutiant.

D’une façon très générale, on peut dire que le cinéma africain s’est d’abord caractérisé par une volonté visible de réalisme social, d’éducation morale, voire politique, et de réhabilitation culturelle. En fait, tout était à faire : tourner le dos à l’exotisme et à l’aliénation coloniale, mettre au premier plan l’homme et la femme africains, montrer les conflits sociaux, les inégalités de classe, le déchirement des consciences, la richesse ou la pesanteur des traditions vivaces ou reniées. Et que leurs formes soient véristes ou lyriques, leurs thèmes tragiques ou satiriques, la plupart des cinéastes ont opté pour l’« engagement », conscients, comme leurs collègues écrivains, de leur pouvoir virtuel et de leurs responsabilités.

Qu’ils s’appellent Sembène Ousmane (Sénégal), Gaston Kaboré, Pierre Yameogo, Idrissa Ouedraogo, Dani Kouyaté (Burkina Faso), Souleymane Cissé, Cheick Oumar Sissoko (Mali), Bassek Ba Kobhino, Jean-Marie Teno, Jean-Pierre Bekolo (Cameroun), Ngangura Mweze, Balufu Bakupa Kanyinda (Congo), Med Hondo, Abderrahmane Sissako (Mauritanie)… tous ces auteurs expriment, chacun à leur manière et sans exclure le plaisir cinématographique pur, le désir de témoigner et de faire prendre conscience.

Dans cette perspective, il s’agit donc bien d’auteurs, selon le principe européen, car ces films ont surgi d’une conscience vive et d’une irrépressible ambition de s’exprimer et de témoigner. Prise de conscience identitaire qui s’est en effet développée chez quelques jeunes intellectuels africains durant leurs études universitaires à travers leurs expériences des activités artistiques dans les métropoles européennes.
Cependant, la transmission de la culture et du patrimoine cinématographique africain n’est pas une chose facile. Elle doit en effet se libérer de l’influence occidentale à tous les niveaux pour trouver une voie qui lui est propre et ainsi surmonter plusieurs handicaps.

Les cinéastes africains toujours sous influence: les problèmes de la diffusion et du modèle occidental

Un des handicaps majeurs du cinéma africain c’est que jusqu’à maintenant, faute de moyens financiers, de politique gouvernementale suivie et cohérente pour la création d’infrastructures aidant à la production et à la diffusion de films, il ne s’est pas développé en tant qu’industrie et vit tant bien que mal de subventions, d’aides et de coproductions souvent extérieures au continent. Cette situation n’a cependant pas arrêté la production de films. Il semble même qu’elle ait développé, chez les cinéastes, une ténacité et une ingéniosité qui les aident à triompher de la plupart des obstacles matériels.

Le cinéaste d’Afrique, des pays francophones du moins est en effet souvent tout à la fois scénariste, réalisateur, producteur, distributeur… dans un contexte économique marqué par la pénurie et la dépendance à l’égard des capitaux étrangers (coopérations internationales diverses et maisons de productions privées, courageuses ou téméraires). Les états africains en dehors des festivals de Ouagadougou et de Carthage, n’ont pas à l’exception (partielle) du Burkina Faso, investi véritablement dans un art et une industrie aux coûts jugés prohibitifs.

Quant aux capitaux privés, là où il en existe, ils ont pris d’autres chemins. Et les circuits de distribution, presque partout sur le continent, sont aux mains de commerçants étrangers eux aussi, il faut le dire, et pour qui la rentabilité est le seul critère décisif. Ce qui est donc remarquable, c’est qu’au travers des pires marasmes, des films (plusieurs centaines) aient pu, bon gré mal gré être tournés et voir le jour.

L’autre handicap principal du cinéma africain c’est qu’en se construisant dans un grand dénuement, il est plus facile de le manipuler, et là encore les cinéastes continuent à faire face avec dignité pour imposer leurs images et leurs points de vue. Former les consciences, relier le passé au présent et du présent éclairer l’avenir, tel semble être aujourd’hui le rôle majeur du cinéaste africain dans « l’éveil de la conscience de la civilisation noire » DEFFONTAINES Thérèse-Marie, “Pour croire en l’avenir de l’Afrique”, dans Manière de voir, Le monde diplomatique, n°88, Août-Septembre 2006, pp.96-97. . Il est alors important de plaider pour la reconstitution de l’Histoire, de la cosmogonie et des arts africains ainsi que pour la désaliénation des créateurs.

Enfin une chose est sûre, en quarante ans d’existence, le cinéma africain a gardé une cohérence remarquable et a cherché à traiter tous les thèmes qu’il jugeait importants du point de vue de la société, qu’elle soit rurale ou urbaine, « moderne » ou « traditionnelle » : choc des cultures, exode paysan, conflits de générations, mariages forcés, cynisme des nouveaux riches, exploitations, dictatures, immigration, déracinement, retour au pays, problèmes de santé publique (dont bien entendu, depuis plusieurs années, la prévention du Sida). Cette nouvelle richesse thématique semble alors proposer un riche corpus et des outils précieux pour étudier l’Afrique dans les classes.

Exploitation pédagogique : Appréhender le cinéma africain dans les classes

Travailler sur le cinéma africain à l’école à travers un large corpus de films originaux, nous permet d’avoir une vision réaliste d’un continent fragile où les problèmes en terme de territoire, de population et de société se posent différemment qu’en Occident. Ainsi, beaucoup de films peuvent illustrer un travail en lien avec les programmes d’histoire, de géographie, d’éducation civique et de lettres du secondaire.

Pour le pédagogue, il s’agit alors de combattre les stéréotypes et de « se libérer d’un langage référentiel à l’Europe » selon les propos de Rahaga (cinéaste malgache). En effet, on parle très souvent de la lenteur du cinéma africain, or cette considération n’est perçue qu’à travers le modèle des grosses productions américaines. Là encore, le regard de l’autre intervient négativement. Mais, lorsqu’on visionne Sia le rêve du python par exemple, parler de lenteur à propos du film de Dani Kouyaté n’est pas adéquat. En effet, la trame narrative du film et la mise en scène bien que théâtrale au départ donne à l’œuvre une dynamique originale, certes loin des conventions des films américains à grand spectacle mais ô combien plus réaliste et intéressante !

Par ailleurs, en présence de la représentation subjective de ces films, il est aussi facile d’oublier que les vulgarisations de l’écran sont utilisées à des fins pédagogiques. Ainsi, si Teno montre dans Afrique je te plumerai des alphabets inventés par des chefs avant l’arrivée des blancs et interdits par ces derniers, c’est pour légitimer son aversion des bureaucraties coloniale et néo-coloniale !

Mais comble d’ironie, ces cinéastes qui ont pour mission de restituer les vraies images de leur histoire ont recours, comme les historiens, aux sources écrites datant de l’époque coloniale ainsi qu’à la tradition orale, sans avoir forcément la formation critique ni la disponibilité nécessaire.

Laisser tomber les œillères

Vers une nouvelle perspective cinématographique humaniste et universaliste

Aujourd’hui, il semblerait que la quête d’une personnalité africaine et la lutte anticoloniale ont peut-être fait leur temps. En effet, l’enfermement dans un discours qui ne s’affirme que par la riposte rend le révolté toujours dépendant de l’ennemi, comme l’avait prédit Rahaga dès 1974.

En outre, pour Tomaselli « une identité africaine existe peut-être aux yeux de l’autre (« l’ouest »), mais cette identité est aussi façonnée par des interactions globales plutôt qu’elle n’existe sous la forme d’une essence ».

Ainsi, il est possible de prédire que les commentateurs s’enliseront dans la protestation s’ils continuent à définir les productions de l’Afrique en fonction du discours de l’autre (l’Européen).

Dans cette perspective, il s’agit de donner aux films de divertissement ou de réflexion une image de soi et définir ou redéfinir l’Afrique pour soi-même et pour le monde extérieur à travers des thèmes qui plongent dans la connaissance culturelle, historique, sociale, religieuse, politique du continent : « L’Afrique, ce n’est pas seulement celle des masques, des danses, des cases. C’est aussi celle de l’amitié, de l’amour, de la réflexion sur le monde… » (Idrissa Ouedraogo). Positionner le cinéma africain sur la voie de la modernité c’est aussi tenir compte d’une mémoire traditionnelle riche.

En effet, si la tradition orale reste vivante sur le continent africain et constitue ce que Frank Ukadike appelle les « médias traditionnels de l’Afrique » Nwachukwu Frank Ukadike, Black Africian Cinema, University of Clifornia Press, Berkeley and Los Angoles, 1994, p.2 , elle est un réservoir dans lequel puisent les cinéastes. Ils y trouvent des structures narratives, un mode de pensée, une transmission du réel, un étonnant moyen de communication avec les masses sensibles à leur patrimoine oral qui s’étale avec des variations chromatiques sur l’ensemble du continent.

Cependant, d’autres thèmes plus universels, la fragilité du destin humain, la lâcheté ou la dignité, l’amour-passion, la haine aveugle, le poids de l’histoire, ont aussi fait l’objet de grands films, mais qui n’ont pas toujours été vus avec les yeux qu’il fallait en Europe en particulier. On pense ici aux chefs d’œuvres du Sénégalais Djibril Diop Mambety, décédé en 1998 à l’âge de 53 ans : Touki Bouki, Hyènes, ses deux longs métrages, ou encore Le franc, La petite vendeuse de soleil, moyens métrages baignés de poésie radieuse et de révolte lucide, l’ont hissé au rang des plus grands.

Un cinéma qui évolue sans cesse vers une nouvelle représentation du monde

Pour continuer à exister, le cinéma africain doit, sans cesse et de manière fascinante, s’adapter, contourner, se questionner, se professionnaliser, prendre parfois une forme hybride.

Evitant l’image d’Epinal « du lion dans la savane » et le cliché morbide, le cinéma de fiction a ouvert la voie à de nouvelles interrogations sur le rapport entre image et mémoire dans le contexte africain. Les mythes traditionnels se sont vus réactualisés à travers des formes modernes du cinéma.

L’oralité, telle qu’elle est reflétée dans le cinéma africain, n’est pas une simple transposition de cette forme de création et de communication au niveau cinématographique mais un dépassement qui participe au développement de la civilisation de l’image.

Pourtant, à côté de ses films météores bien d’autres titres, auteurs de grand talent méritent amplement le détour pour permettre aux spectateurs d’Occident, débarrassés de leurs lunettes exotiques, de comprendre et de vibrer devant une Afrique diverse, mouvante, en recherche, simplement humaine. C’est l’image d’une Afrique dynamique qui est ainsi véhiculée dans les films de Dani Kouyaté ou dans ceux d’Ousmane Sembène.

La problématique de l’équilibre à inventer entre tradition et modernité apparaît dans de nombreux films. Ainsi, Sango Malo (« le maire du canton »), de Bassek Ba Khobio (Cameroun), oppose un directeur d’école fidèle aux vieux principes éducatifs du temps de la colonisation à un jeune enseignant plus soucieux de faire de ses élèves des adultes adaptés à leur environnement que des champions d’orthographe. Avec la nouvelle vague de jeunes cinéastes africains, l’Afrique semble enfin revisitée loin des préjugés. Ce qui aura peut-être pour effet de changer le regard de l’autre.

Toutefois, nous pouvons alors nous demander si les européens et les américains vont pour autant changer leur vision de l’Afrique ? Des films comme The constant gardener ou Le cauchemar de Darwin semblent apporter une réflexion plus critique sur les problèmes de l’Afrique. Mais cette nouvelle vision ne montre t-elle pas une Afrique ravagée par tous les maux: maladies, guerre fratricide, famine ? Là encore, les clichés font recette ! Attention, nous ne voulons pas dire par là que l’image de l’Afrique véhiculée par ces films est loin de la réalité: le sida, les guerres et les famines existent bien en Afrique mais ils ne sont qu’une partie d’une certaine réalité. S’arrêter à la dimension proposée par ces films, serait comme regarder l’Afrique par un trou de serrure ! Peut-être faudrait t-il suivre alors la démarche « objective » d’un Depardon dans Afriques : comment ça va avec la douleur ?, quand il filme magistralement en plan fixe et pendant une minute Nelson Mandela silencieux… ou celle d’un Rachid Bouchareb quand il tente de redonner dans Indigènes la parole aux soldats africains : ces héros oubliés de l’Histoire qui ont participé à la libération de l’Europe lors de la seconde guerre mondiale ?

L’écueil d’un afro pessimisme trop marqué ou celui d’une vision angélique trop impénitente de l’Afrique semblent être à de rares exceptions près les deux carcans dans lesquels les occidentaux restent prisonnier!

Une pédagogie des cinémas d’Afrique est à construire

Ne pas définir les productions de l’Afrique en fonction du discours de l’autre (européen) est une gageure difficile à respecter. En effet, si une identité africaine existe aux yeux de l’autre, cette identité est toujours comparée aux références qui sont les nôtres : l’étranger fascine en même temps qu’il fait peur !

Au pédagogue incombe la tâche de démontrer qu’un film, même historique ou documentaire, est avant tout une interprétation. Ainsi, Rtiba Hadj-Moussa rend grâce à Pierre Sorlin d’avoir seul en son temps proposé dans Sociologie et cinéma (1974), une lecture qui ne confond pas les films et la société.

Traiter le cinéma africain à part, comme une discipline indépendante, représente une tentation et un danger.
Pour Jean Mitry, il faut d’abord étudier le fonctionnement d’un message filmique: « en faisant table rase de toute idée de code, de grammaire et de syntaxe » , ensuite Roy Armes signale que toute interprétation risque de nuire à la fragilité de ce cinéma en prenant les « réalisateurs en otages dans les festivals et les colloques et en les enfermant dans le carcan de critères interprétatifs prescrits et généralisateurs ». Dans les classes, le professeur doit alors favoriser le développement de l’esprit critique et faire réfléchir l’élève sur la complexité d’élaborer une esthétique cinématographique africaine unique.

Conclusion

Si les films africains ont souvent été dévalorisés en fonction de critères occidentaux (genres, unité, esthétisme…), il est finalement temps d’admettre l’altérité d’une Afrique authentique: celle des griots modernes, c’est-à-dire des cinéastes africains.

Toutefois, la métaphore du griot pour désigner le cinéaste n’est pas en Afrique simple rhétorique. En effet, Diawara l’explicite par les références aux épopées dans la mise en scène et, selon lui, par le rôle que joue le cinéaste dans la transformation de la tradition en un nouvel ordre prenant sa source au sein des cultures authentiques sans toutefois faire de la tradition « une vache sacrée ».

Ainsi, pour croire en l’avenir cinématographique de l’Afrique aujourd’hui, il faut selon les propos de Thérèse-Marie Deffontaines: s’engager aujourd’hui avec les cinéastes africains « au-delà des clivages traditionnels (tradition/modernité, Noir/Blanc, guerre/paix) ».

Ce travail présente donc un aperçu panoramique du cinéma africain et suggère des pistes de réflexions didactiques avec l’espoir que ces repères susciteront curiosité, dialogue, débat et recherche sur le septième art en Afrique et sur son exploitation pédagogique dans les classes…

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