Montrer l’horreur des camps : une séance complète avec Nuit & Brouillard d’Alain Resnais, en classe de seconde BEP.
Document de professeur
1- Le document
Le documentaire dure 32 minutes. Réalisé par Alain Resnais (né à Vannes le 3 juin 1922. En 1958 Hiroshima mon amour fera l’effet d’une bombe dans le cinéma français (tourné en partie à Nevers). En 1959, Hiroshima mon amour fut à son tour évincé de la sélection française – cette fois « pour ne pas déplaire aux États-Unis, offusqués du rappel des ravages de la bombe atomique » (J. Siclier).
Le texte est de Jean Cayrol dit par Michel Bouquet.
C’est un film de commande : « Nuit et Brouillard, commandé par le Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale pour le dixième anniversaire de la libération des camps de concentration, film admirable et nécessaire, obtient son visa d’exploitation au prix d’une altération d’un document photographique de 1941, où l’on voyait le képi d’un gendarme français au camp de rassemblement des futurs déportés de Pithiviers. » (Jacques Siclier, « Histoires de peurs et de pudeurs », Cinéma et Libertés, numéro spécial du Monde, mai 1989.)
Absence de source concernant les images. Insister sur le croisement entre les images en couleurs tournées en 1955 et les images d’archives en noir et blanc, leur constante mise en perspective par le commentaire sobre et informatif dit par Michel Bouquet, le lent crescendo dans l’horreur des images confèrent au film une force confondante.
– les images tournées en 1955 en couleurs, à Auschwitz ;
– celles tirées des archives nazies : beaucoup de photos fixes ;
– celles des cinéastes des armées alliées qui ont ouvert et « nettoyé » les camps en 1945.
Alain Resnais a eu notamment accès à certaines séquences tournées par Sidney Bernstein, chef de la section cinéma des armées alliées à l’ouverture du camp de Bergen-Belsen dans le but de faire le procès des Allemands. Le projet du film avait été abandonné en 1946.
2. Rappel sur l’accueil du reportage à l’époque
Contexte des années 1950 : le film est réalisé 10 ans après la fin de la guerre. De fait, Nuit et Brouillard est d’abord un film sur le phénomène concentrationnaire tel que les déportés des camps de Dachau et de Buchenwald ont pu en rapporter l’expérience. L’auteur du commentaire, Jean Cayrol, en était lui-même un rescapé. Le film montre bien les chambres à gaz d’Auschwitz mais gomme la spécificité du génocide juif. L’œuvre d’Alain Resnais se situe dans cette première période de la mémoire de la déportation, où le choc de l’ouverture des camps est proche mais où l’on distingue encore mal l’ampleur et la diversité du phénomène.
« À la veille du passage du film en commissions de censure, Resnais est prié de supprimer un plan. […] On lui promet, en échange, « de ne rien couper à la dernière bobine », donc à l’ouverture du film sur le présent. Son refus de s’autocensurer bloque le film jusqu’au jour où Resnais consent à « mettre une poutre à la gouache sur le képi du gendarme » tout en maintenant la référence orale à Pithiviers dans le commentaire. […] [Le film] mêle un certain soutien officiel et des marchandages de dernière minute, dont la note d’humour n’est pas exclue : le dos de la photo incriminée portait l’autorisation de la censure allemande. » (Joseph Daniel, Guerre et Cinéma, Armand Colin et Fondation nationale des sciences politiques, 1972.)
Une volonté d’amnésie, dix ans après la fin de la guerre, révélatrice du désir de refouler certaines taches de la police française sous l’Occupation, afin de ne pas troubler l’imagerie d’une France unanimement résistante. Or l’incroyable est vrai : les copies en circulation de Nuit et Brouillard perpétuent ce mensonge par omission.
À l’annonce du choix de Nuit et Brouillard pour représenter la France au festival de Cannes, l’ambassade d’Allemagne de l’Ouest fit une démarche, couronnée de succès, auprès du gouvernement de Guy Mollet pour faire retirer le film de la sélection officielle. L’affaire Nuit et Brouillard venait de commencer. Outre les protestations nombreuses (y compris en Allemagne même, de l’opposition SPD à Adenauer), s’ensuivit une campagne de presse en faveur du film. Jean Cayrol, le scénariste, s’exprima publiquement : « La France refuse ainsi d’être la France de la vérité, car la plus grande tuerie de tous les temps, elle ne l’accepte que dans la clandestinité de la mémoire. […] Elle arrache brusquement de l’histoire les pages qui ne lui plaisent plus, elle retire la parole aux témoins, elle se fait complice de l’horreur. […] Mes amis allemands […], c’est la France elle-même qui fait tomber sa nuit et son brouillard sur nos relations amicales et chaleureuses. » (Le Monde, 11 avril 1956.)
Seule la Suisse interdit Nuit et Brouillard au nom de… la neutralité.
3. Les deux grandes périodes de la politique concentrationnaire allemande.
– 1933-1941 : création des principaux camps de concentration, Dachau (1933), Buchenwald (1937), Auschwitz (1940). On recherchera qui sont les premiers prisonniers des camps de concentration et leur fonction initiale pour les nazis. À quelle date peut-on parler de déportés ? (1938 : les premiers prisonniers non allemands des camps sont autrichiens et tchèques.) Avec le début de la Seconde Guerre mondiale, on relèvera les changements principaux dans l’origine nationale des déportés. Dans quel pays conquis les nazis multiplient-ils les camps ?
– 1941-1945 : camps de concentration et d’extermination. En quoi la mise en place de la « solution finale » (conférence de Wannsee en janvier 1942) change-t-elle radicalement la nature de certains camps ? À partir de témoignages, on reconstituera la journée d’un déporté à Buchenwald. Quelle est la spécificité d’Auschwitz Birkenau ? On relèvera des exemples de l’intégration des camps de concentration à l’économie de guerre allemande. En quoi les camps d’extermination échappent-ils à cette intégration ?
Dans Mein Kampf, écrit en 1924, Hitler avait clairement annoncé : » La loi la plus générale et la plus impitoyable est la lutte des races pour leur espace vital. Un groupe mène la lutte avec franchise, audace et conscience de sa supériorité raciale. C’est le groupe des races des Seigneurs et des Guerriers(.) De ces races, la plus grande(.)est la race allemande(.)Une fraction restreinte mais puissante de la population mondiale a choisi le parasitisme(.) Elle cherche à s’établir parmi les peuples sédentaires, à priver celle-ci du fruit de leur travail, à prendre le pouvoir. L’espèce la plus dangereuse de cette race est la juiverie. »
30 janvier 1933, Hitler et ses partisans prennent le pouvoir en Allemagne. Un mois plus tard Heinrich Himmler dirige la police de Munich et dès le 20 mars, il donne une conférence de presse pour claironner la création d’un camp de concentration dans la banlieue de Munich, à Dachau. L’élimination systématique des adversaires politiques est donc bien l’une des premières mesures du régime national-socialiste. Communistes, sociaux démocrates mais aussi monarchistes refusant le joug totalitaire vont, les premiers, en faire les frais.
Progressivement le nombre de camps de concentration va augmenter et le public des victimes s’élargir : malades incurables, juifs, homosexuels, tziganes, malades mentaux, témoins de Jéhovah. Tout prétexte est mis en œuvre pour isoler, avilir, puis anéantir des catégories entières d’êtres humains.
Dès 1933 les nazis bannissent les juifs de la fonction publique et de la pratique des professions libérales. En 1935 ce sont les mariages mixtes et les rapports sexuels entre juifs et non juifs qui sont interdit par la loi, puis à partir de 1938 tout un arsenal législatif exclut les juifs de l’économie et de leurs biens. Mort civique, mort sociale, mort économique, ce sont bien les conditions d’une extermination qui sont mises en place avant même le déclenchement de la guerre.
Un terrorisme d’État
Les nazis font largement connaître la politique d’internement qu’ils pratiquent : il s’agit pour le régime de faire pression sur toute velléité d’opposition. Ainsi le très officiel journal Illustrieter Beobachter portant sur sa couverture la croix gammée publie-t-il début 1937 un reportage sur Dachau « qui nous fait voir le sévère régime de la vie du camp et le dur service des SS qui montent ici la garde pour le bien de la communauté du peuple, pour le bien de la communauté de la nation ».
Sous la photo des prisonniers que le journal appelle des « untermenschen », c’est-à-dire des sous-hommes, une légende : « trois représentants typiques de l’humanité inférieure au camp de concentration de Dachau. Un communiste, Un fainéant. Un criminel professionnel. »
D’autres, crâne rasé et en tenue de forçats sont taxés de « récidivistes politiques qui n’ont pas renoncé à leur activité d’agitateurs et à leur travail souterrain contre le nouvel État, même après une première détention. »
La santé des détenus est déclarée « excellente » par le journal qui précise toutefois « qu’il en est autrement de la santé héréditaire des détenus. Les tares biologiques raciales héréditaires de certains détenus forcent à l’occasion le médecin du camp à solliciter leur stérilisation ou même leur émasculation, en vertu de la loi sur la descendance tarée. »
C’est à un tel régime que certains vont choisir de collaborer et d’autres de résister.
Le programme Nuit et Brouillard
La politique d’extermination à grande échelle qui va suivre se fera sur la base de ces orientations proclamées à la face du monde bien avant la déclaration de la guerre.
Face à l’accentuation du conflit, à l’automne 1941 et aux politiques de résistance que rencontrent les nazis, ceux-ci vont codifier et réglementer la disparition de milliers d’adversaires politiques.
C’est à Wagner que les nazis empruntent la terminologie de « Nuit et Brouillard » : dans L’Or du Rhin, Alberich, coiffé du casque magique se change en colonne de fumée tandis qu’il chante « Nuit et brouillard, je disparais ». Pour l’extrême droite allemande au pouvoir, il ne s’agit nullement de disparaître mais de faire disparaître sans laisser de traces.
4- Un document exceptionnel
Le grand mérite du court métrage d’Alain Resnais, c’est, avec une économie de moyens, en 32 minutes, de guetter les traces, de faire surgir les questionnements, de tenter de faire sentir l’indicible. Le regard porté sur l’histoire n’étant pas neutre, on étudiera avec intérêt les pressions que le film rencontre à sa sortie. Et cela éclaire terriblement le propos de Jean Cayrol, romancier et ancien déporté, co-auteur du commentaire du film d’Alain Resnais : « Nous qui feignons de croire que tout cela est d’un seul temps et d’un seul pays, nous qui n’entendons pas qu’on crie sans fin ».
En trente minutes, l’essentiel est dit : l’horreur du meurtre de masse, la survie et la mort, le temps qui passe et l’enjeu de la mémoire.
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Fiche professeur
Avant de commencer :
– présentation rapide du document et du réalisateur en mettant l’accent sur la dureté de certaines images.
- durée
- forme (alternance images NB / couleur, tourné en plan séquence sans montage…)
- présenter Alain Resnais, Jean Cayrol
– rappeler le contexte dans lequel il a été fait et l’état des connaissances sur les camps de l’époque ( cf. travaux de Robert Paxton par exemple sont postérieurs).
- travail de commande
- pas de source concernant les images
- contexte de première période de la mémoire de la déportation, rien sur la spécificité de la destruction des juifs : choc de l’ouverture des camps sans conscience de l’ampleur et de la diversité du phénomène.
– commenter brièvement la censure à laquelle il s’est heurté.
- scène du camp de Pithiviers, censure de l’image du képi français : volonté du gouvernement de gommer certaines actions de la police française sous l’Occupation Þ document n’obtient son visa d’exploitation qu’à ce prix.
- l’Allemagne de l’Ouest obtient son retrait de la sélection officielle du festival de Cannes
- la Suisse refuse de le diffuser au nom de la neutralité !
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Questionnaire élève
I- Étude de la forme
– Quel effet produit l’utilisation du noir et blanc ?
– Que cherche à montrer l’utilisation des gros plans ?
– Le film se divise en deux parties : donnez un titre à chacun d’elle.
- (1)
- (2)
II Connaissances factuelles et compréhension des images montrées
– Que sont Ravensbrück, Dachau et Auschwitz ?
– Qu’est ce qu’un Kapo ? un SS ?
III censure du film et limites de ce qu’il montre (à faire chez soi et à rédiger)
– Pourquoi, dans le passage sur le camp de Pithiviers, le gouvernement français a-t-il fait censurer une image ?
– En vous servant du cours, précisez quelles sont les deux grandes périodes de la politique concentrationnaire allemande ?
– La vision des camps que donne A. Resnais est-elle une vision globale ou permet-elle d’appréhender la spécificité de la destruction des Juifs par les nazis ? justifiez et expliquez votre réponse à l’aide du cours.
Conclusion
Que signifiait le terme « Nuit et Brouillard » dans la terminologie nazie ?
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Quelques URL
– un dossier télédoc ; une version PDF
– le site mémoire.net
– une analyse
– une autre exploitation sur le site « approches croisées
– un article sur le site de [dominique Natanson->]
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