Dans un article récent du Figaro Le Figaro 01 octobre 2008 l’économiste Olivier Pastré dénonçait les chroniqueurs qui comparaient la crise boursière actuelle à celle de 1929, les accusant au passage d’alimenter un début de panique. Certes, comparaison n’est pas raison, mais à chaque fois qu’une bulle spéculative agite la mer médiatique, le spectre du jeudi noir ressurgit, ne serait-ce qui pour conjurer le mauvais sort. La crise asiatique de 1997 ou la « bulle internet » de 2001 n’ont pas échappé à la règle. Les économistes nous expliquent que la crise des années trente est atypique, qu’elle appartient au passé et ne peut se reproduire dans une économie d’échanges mondialisés. Leur emboîtant le pas, les historiens ont revu à la baisse la place accordée dans les programmes et les manuels scolaires, au point que : « New deal » et la « NRA » sont des termes largement ignorés des élèves et peu enseignés. Cette archive tirée des actualités Pathé apporte un élément de réponse à la première question que doivent se poser des historiens : Comment les contemporains ont perçu et compris le Krach de Wall Street ?
|
1 – Analyse des images et découpage du scénario
Première séquence : la bulle spéculative
Deuxième séquence : l’argent collecté à la bourse finance l’activité industrielle et la création de richesses
Troisième séquence : le renversement de tendance, ou plus dure sera la chute
Quatrième séquence : La ruine des banquiers et des spéculateurs
Séquence finale : La crise boursière se propage à l’industrie
2 – Commentaire : Une séquence d’actualité atypique
Cette archive Pathé date de l’époque du cinéma muet. Elle est très éloquente, voire bavarde. C’est une véritable analyse des causes de la crise que nous avons sous les yeux, uniquement expliquée avec les moyens du langage cinématographique. L’auteur (inconnu) de ce montage utilise des prises de vues contemporaines (la Bourse), qu’il mêle à des images d’archives (l’industrie) et à des plans tirés de fictions (chute dans l’escalier) et d’autres encore probablement tournées pour la circonstance (graphique).
Nous avons donc à faire à un véritable discours économique qui attribue le krach du « Jeudi noir » à l’explosion d’une bulle spéculative et à l’inconscience des financiers. La ruine des spéculateurs intervient comme un châtiment dont les conséquences sont l’arrêt de la production. Il y a aussi dans ces images un jugement moral. Nous sommes donc très loin de la simple relation de faits économiques.
L’histoire de cette archive, qui fait partie de la collection du « Journal Actualité Pathé », est aussi intéressante. L’auteur des prises de vues et le nom du monteur ne figurent pas sur la fiche d’archivage. La date de production indique le 6 novembre 1929, soit immédiatement après le Krach. A côté de ces informations figure la mention « Non Utilisé Pathé ». Ce montage n’a donc pas été diffusé et vu par le public auquel il était destiné, pour des raisons que l’on ignore. Peut être a-t-il déplu ? Peut-être a-t-il été retardé ? Il faudrait d’autres sources pour éclairer cette zone d’ombre. En revanche des plans ce film sont régulièrement utilisés dans des montages historiques ou dans des fictions pour parler de la crise de 1929. Cela ne peut que nous faire réfléchir sur la fragilité des sources que nous utilisons et de la difficulté de les contextualiser.
3 – Piste d’exploitation avec les élèves
-1 Visionner l’archive
-2 Dans un tableau où l’on aura reproduit quelques images-clé du film, faire décrire ses images et construire le mécanisme qui décrit et explique la crise boursière et ses conséquences.
-3 Comparer les explications données par le film avec les réactions des contemporains. On peut prendre comme « étalon » la célèbre interview de Paul Reynaud qui précède d’une semaine le Jeudi noir. (Voir ci-dessous)
– 4 Rédigez une petite synthèse à partir de ces deux documents répondant aux questions suivantes :
- La crise était- elle prévisible ?
- Comment les contemporains ont analysé et expliqué cette crise ?
Le document annexe
Le Temps : » Que pensez-vous de la situation économique et financière des Etats-Unis ? Certains estiment que […] l’ascension continue des cours à Wall Street ne pourr[a] point longtemps se continuer et qu’une crise brutale, un jour prochain, éclatera ?
Paul Reynaud : Il ne pourra s’agir d’une crise violente. Des trusts ont été formés qui détiennent une grande partie des actions des sociétés qu’ils considèrent comme les meilleures. Ces trusts auront une action régulatrice. J’estime toutefois qu’une crise pointe aux Etats-Unis. Des sources de richesse sont taries. Les agriculteurs se plaignent ; la situation du textile est difficile. Il y a surproduction d’automobiles ; les stocks s’accroissent faute de débouchés, et un ralentissement dans la production automobile atteindra directement les industries métallurgiques, industries de base. En outre, la hausse continuelle des titres a développé le goût de la spéculation : des Américains ont emprunté de l’argent à 9 % pour acheter des titres ne rapportant que 2 % mais qu’ils espéraient revendre à bénéfice. Des reculs comme ceux qui se sont produits ces jours derniers à Wall Street ne sauraient être négligés ; ils sont comme des signes avertisseurs.
Interview de Paul Reynaud, ministre français, au Journal le Temps, 15 octobre 1929.