Dans la seconde partie du texte « Pour une véritable exception pédagogique » on trouve une analyse de la situation faite aux enseignants désireux d’utiliser films et vidéos en classe comme étant « à la fois ambiguë, absurde et présente des aspects intolérable ».

Selon moi, cette ambigüité-absurdité relève de l’injonction paradoxale étatique, qui pourrait être formulée ainsi :

–  » Vous êtes en tant que fonctionnaire un serviteur de l’Etat et obligé de suivre à la lettre les programmes et instructions « .
–  » Vous devez donc enseigner les oeuvres cinématographiques au programme « ,
–  » Donc, pour cela, vous devez logiquement faire étudier ces oeuvres avec des supports VHS ou DVD « .
–  » Mais, en suivant mon ordre en tant que fonctionnaire, vous transgressez la loi, ma Loi « .

Le fonctionnaire est donc soumis à une « double contrainte » ( » double bind  » de Gregory BATESON, 1904-1980 et plus généralement de l’Ecole de Palo Alto : JACKSON, WATZLAWICK) : où un même message contient deux ordres qui s’annulent l’un l’autre ( » quelqu’un donne à entendre à quelqu’un l’autre qu’il doit faire une chose, et, en même temps, à un autre niveau, lui interdit de le faire « ) : une situation dans laquelle un individu est soumis à une double injonction contradictoire de telle sorte que l’obéissance à l’une entraîne la transgression de l’autre.

Philosophiquement, il s’agit de rompre avec une conception dualiste : l’Etat et le fonctionnaire en tant qu’élément séparé et lui substituer une pensée de l’inter-relation, objet de la systémique. Par là, l’Etat met ses commis pédagogues dans une position schizophréne et non content de se soumettre au marché (un Etat moderne et indépendant par définition se devrait d’équiper ses institutions, notamment l’EN de logiciels libres, à commencer par l’OS, ie Linux…), il fait perdurer, par une belle rétroaction, le manque de formation sur  » l’image « .

Cette rétroaction s’écrit ainsi : absence  » d’exception pédagogique  » –> le domaine de l’image est un champ trop peu exploré des enseignements de manière approfondie et systématique (sauf quelques passionnés, convaincus et courageux) –> La culture de l’image de nos élèves est parfois celle du sens commun –> ce qui ouvre la voie au marché –> ALORS QUE l’image à la TV obéit de plus en plus à ce que Peter WATKINS dénomme la « monoforme », (« Peter Watkins filme la Commune : http://www.monde-diplomatique.fr/2000/03/LAFOSSE/13458)
en clair, « La télévision a imposé des structures narratives totalitaires à la société sans que nul ait eu le temps de réagir, à cause de sa rapidité, de son arrogance et de son côté mystérieux. C’est ça, la « monoforme » : un torrent d’images et de sons, assemblés et montés de façon rapide et dense, une structure fragmentée mais qui donne l’impression d’être lisse. » C’est ce mélange fluide et nauséeux qu’on trouve aussi bien dans les soap operas, les séries policières ou les actualités télévisées.
« En dépit des apparences, souligne le réalisateur, la « monoforme » est rigide et contrôlée, elle ignore les possibilités immenses et sans limites du public que les médias estiment immature. »

Ce que l’État fait, il peut le défaire ; ce qu’il a certifié, il peut le rayer et produire une nouvelle certification, exactement avec la même légitimité. Au-dessus de l’État, il n’y a rien, puisqu’il est, comme dirait Durkheim, Dieu sur terre, Dieu institué. Il ne faut jamais hésiter à mettre Dieu non en accusation (ce serait faire le démiurge), mais à le poser face à ses responsablités. Le mot « responsabilité » vient de « répondre ». Quand Dieu est sourd, il faut crier.

C’est ce cri que je lance aujourd’hui.

On est dans le même genre de situation contradictorielle, que celle de la problématique des régularisations massives :  » il [l’État] demande au « sans-papiers » de décliner les preuves de sa présence et donc de son existence sur le territoire français, même si pour cette « opération », ce dernier est autorisé à faire valoir à l’État des « pièces » (par exemple, l’invitation à quitter le territoire) par lesquelles l’État lui demandait de ne pas exister, aux sens propre et figuré de disparaître « . Smaïn Laacher, « L’hospitalité entre raison d’état et principe universel » > VEI Enjeux, n° 125, juin 2001.