Le monde ouvrier entre misère et solidarité.

Analyse de document : une séquence du film de Mario Monicelli Les camarades.

La séquence choisie est l’arrivée du Professeur à Turin (elle dure environ 12 minutes, du cours de grammaire par l’instituteur à la scène du sandwich).

Vocabulaire : « bergamasque » : originaire d’une région montagnarde (les Alpes Bergamasques, au Nord de l’Italie, au Nord-Est de Milan) , « les jaunes » : les briseurs de grève.

lescamarades
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LES QUESTIONS

  1. Dans quel lieu se déroule la séquence diffusée ? A quels moments ?
  2. Dressez le portrait culturel et politique de l’Italie à la fin du XIXe siècle en vous appuyant sur des indices précis.
  3. Quelles difficultés les ouvriers et le professeur rencontrent-ils ? Indiquez des passages significatifs.
  4. Les ouvriers forment-ils un groupe social homogène d’après cet extrait ? Expliquez.
  5. Quelles idées l’instituteur et le professeur tentent-ils de faire passer aux ouvriers ? Relevez des indices.

Question bonus : comment comprenez-vous la scène entre le professeur et l’ouvrier qui a oublié son sandwich ?
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L’histoire du film et sa carrière inématographique

Source : le site internet http://monsieurcinema.com

LES CAMARADES (I COMPAGNI))

De Mario Monicelli (1963)

Avec Marcello Mastroianni, Renato Salvatori, Annie Girardot, Folco Lulli, Bernard Blier, François Périer,

Une usine de tissage, à Turin, à la fin du XIXe siècle. Pour les ouvriers, qui vivent dans des taudis, ce sont quatorze heures de dur labeur quotidien. Un jour, fatalement, se produit l’accident : un vieil homme se prend la main dans les rouages d’une machine. Ses camarades organisent une collecte, puis se rendent, en délégation, chez le directeur dont ils désirent attirer l’attention sur les pénibles et dangereuses conditions de travail. Martinetti est chargé de prendre la parole. Mais les délégués ne sont reçus que, furtivement, par le chef du personnel. Les ouvriers décident alors d’actionner la sirène marquant la fin du travail une heure plus tôt. Leur entreprise échoue. Pautasso, le responsable de cette mission, est mis à pied pour quinze jours, les autres ont une amende. Arrive alors dans la ville, venant de Gênes, le professeur Senigaglia. Aidé par l’instituteur, il convainc les ouvriers de la nécessité d’une lutte organisée et de l’emploi d’une arme redoutable : la grève. Celle-ci est décidée. Un ouvrier sicilien, dans l’obligation de travailler pour nourrir sa famille, est arrêté par les carabiniers à la suite d’une altercation avec le chef du personnel (il n’avait pas voulu désavouer ses camarades). Après l’échec des négociations, les patrons font appel aux briseurs de grève. Une violente bagarre éclate entre ceux-ci et les grévistes. C’est à cette occasion que Pautasso meurt, écrasé par un train. Recherché par la police, le professeur trouve refuge chez Niobé, la prostituée. Plus tard, après une tentative d’occupation de l’usine, la troupe intervient. Un jeune homme est tué. Raul, un des meneurs, doit s’enfuir. Les ouvriers reprennent le travail, tandis que le professeur est conduit en prison.

Après avoir été plusieurs fois primé, notamment à Mar Del Plata, où il a remporté le grand prix en 1964, ce film, dont la sortie en France a été tardive, a partout connu un échec commercial, à la grande amertume de ses auteurs. On avait alors peu l’habitude de voir une fresque sociale (sur la première grève ouvrière à une époque charnière de l’histoire italienne) aussi peu chargée d’effets romanesques, d’accessoires  » d’époque « , d’éléments dramatiques. Refusant, tout à la fois, le pur documentaire sur la condition ouvrière, selon un schéma politique propagandiste, et la reconstitution néo-réaliste d’un univers à la Zola, Monicelli et ses collaborateurs ont accumulé les handicaps.
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PISTES DE CORRECTION

Insister sur l’époque et le lieu du film : la ville du Turin dans le Piémont représente l’Italie ndustrialisée, celle qui se développe sous l’effet de la révolution industrielle.

– La séquence se déroule dans un lieu assez sordide, qui rappelle une cave et qui tient lieu de salle de classe. Les moments sont la fin de la journée (donc après 20 heures, vraisemblablement vers 21 heures car les ouvriers du tissage sont en retard) et le dimanche matin (la classe ouvrière se détourne de l’église).

– Portrait politique :

  1. un pays peu démocratique où le suffrage est réservé à ceux qui savent écrire, ce qui détourne du vote les plus pauvres. En fait, le film sous-entend l’existence d’un suffrage censitaire (mais il n’est pas fait référence aux conditions de fortune) qui perdure effectivement en Italie jusqu’en 1913.
  2. Un pays où les libertés sont restreintes et les opposants politiques, les agitateurs pourchassés (cf la réflexion du professeur sur son départ de Gênes).

– Portrait culturel :

  1. grand retard dans l’instruction, problème d’alphabétisation (dans un autre passage du film, les ouvriers doivent tirer au sort celui qui va actionner la sirène pour faire cesser le travail mais ils ne parviennent pas à retrouver l’auteur du bulletin car ce dernier a mis une croix sur le papier comme tant d’autres).
  2. Absence d’homogénéité linguistique : persisitance de patois, de dialectes : cf le bergamasque mais avec la révolution industrielle c’est le début d’un brassage culturel (exode rural…)

– Des difficultés matérielles : les gants troués du professeur, une seule lampe pour éclairer la salle (pas d’électricité), absence de confort dans la salle (pas de chauffage : les ouvriers sont bien habillés, pas de logement pour le professeur)
Une lassitude physique : l’enfant qui s’endort pendant le cours…
Une certaine malnutrition : le professeur affamé qui se jette sur le sandwich de l’ouvrier
Des problèmes d’hygiène : le professeur en train de se gratter le dos…

– Le film est ambigu car il montre à la fois la volonté des ouvriers de se regrouper dans un certain enthousiasme, l’existence d’un comité mais il montre aussi qu’ils ne savent guère comment s’y prendre. Le film signale cette impréparation au moment de la décision de faire grève. Ils sont facilement manipulables. Le symbole de cette volonté d’arriver à agir ensemble malgré des divergences est constitué par le personnage de Raul qui accepte la grève malgré ses réserves.

– Il s’agit d’idées socialistes : l’insituteur prononce des paroles qui semblent émaner des théories, de discours marxistes si théoriques que les ouvriers ne le comprennent pas, il parle de « forces nouvelles », d’éducation du peuple par lui-même… Le professeur fait de même en mettant l’accent sur la prise de conscience de l’unité de la classe ouvrière « une unité de vue ».

Question bonus : la scène apparamment n’apporte rien au déroulement de l’histoire mais c’est un moment important car il nous montre le point de vue du réalisateur sur son sujet. Le professeur apparaît comme un homme à double personnalité : combattant pour la classe ouvrière mais aussi oeuvrant pour son bien propre. C’est tout le problème de la réalité du socialisme révolutionnaire que pose ce passage : les idées généreuses fondées sur l’idéal de collectivité peuvent-elles être mises en application ? L’intérêt personnel ne prend-il pas le dessus ? Rappeler qu’à partir des années 60, bon nombre de réalisateurs italiens pourtant proches du communisme commencent à développer un discours critique à son égard. La fin de l’extrait avec le professeur prenant soin de rendre à l’ouvrier son bien sauve un peu le personnage et les idées qu’il défend (idéal de partage, de solidarité).