Interpelé plusieurs fois sur le caractère « légal » des usages de films et vidéogrammes que nous mutualisons sur notre site, Cinéhig, par la plume de son rédacteur en chef et de l’équipe rédactionnelle, a décidé de faire une mise au point et de prendre position.

Après avoir précisé puis analysé le cadre actuel dans lequel l’enseignant désireux d’utiliser films et vidéogrammes doit se placer, nous exprimerons clairement notre position.

I- UN CADRE INSATISFAISANT…

1- Le cadre juridique

Avant le vote de la loi sur le droit d’auteur (DADVSI)…

Le cadre juridique Voir la page de « Savoirs CDI » qui compile les liens vers tous les textes pertinents à propos de l’éducation à l’image. Se reporter aussi à notre article : http://cinehig.clionautes.org/article.php3?id_article=98 ; lire aussi Philippe Gauvin : http://savoirscdi.cndp.fr/rencontrelyon/gauvin/gauvin.htm et aux pages sur Educnet : http://www.educnet.education.fr/juri/default.htm est le suivant : les vidéogrammes dont les droits n’ont pas été libérés ne peuvent être utilisés dans le cadre de la classe puisque celle-ci n’est pas assimilée au « cercle de famille ». D’autre part, l’enseignant ne peut dupliquer ou enregistrer des vidéogrammes puisque que seules les copies « à usage personnel» sont admises.

Tordons le cou à quelques « croyances » : le droit de citation n’existe pas pour les vidéogrammes ; la classe n’est pas un lieu d’exception ; l’enseignant n’a pas plus de droits que le citoyen lambda.

Avec la loi sur le droit d’auteur (DADVSI)

En application de la directive européenne 2001/29/CE sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, le gouvernement par son ministre de la culture a déposé et fait discuter une loi sur les droits d’auteur appelée DADVSI Lire un hyperdossier sur la DADVSI (en France et en Europe) . Celle-ci a été adoptée par l’Assemblée Nationale le 21 mars 2006 Voir le texte complet n°554 dit « petite loi » sur le site de l’Assemblée Nationale (le Sénat se prononcera en mai 2006). Pour compléter cette loi, 5 accords sectoriels sont en voie d’être conclu entre l’Etat et des sociétés de perception et de répartition des droits d’auteurs Voir : http://droitauteur.levillage.org/spip/article.php3?id_article=44 . L’un d’eux, conclu entre le ministère de l’En et la Procirep, concerne directement les oeuvres cinématographiques et audiovisuelles. En voici les principales dispositions sur le sujet qui nous concerne :

  1. nous pouvons utiliser (et temporairement copier / enregistrer) les ressources audiovisuelles passées sur les chaines / stations hertziennes non payantes ;
  2. il est possible d’incorporer des extraits audiovisuels dans des sujets d’examens et de concours ou dans des conférences / colloques ; ces extraits sont limités à 6 minutes (ou, si l’oeuvre est courte à au plus 10% de sa durée) et à 15% du total de l’oeuvre si plusieurs extraits sont utilisés ;
  3. hormis le droit de citation précédent l’usage de ressources audiovisuelles issues de chaines / stations payantes et/ou du commerce n’est pas autorisé sauf si l’oeuvre a fait l’objet d’une acquisition des droits pour les établissements scolaires et si l’oeuvre a été produite spécifiquement pour l’éducation ;
  4. sont interdits les acquisitions illégales ; les usages commerciaux ; la duplication pour les élèves et étudiants ; la cosntituion de base de données
  5. pour les usages autorisés la Procirep recevra 150 000 euros par an sur 2 ans
  6. par ailleurs le ministère s’est engagé à diffuser cet accord et sensibliser les enseignants ; un comité de suivi est aussi mis en place
  7. enfin la Procirep est autorisée à effectuer des controles

2- Les pratiques pédagogiques

Confrontons ce cadre aux pratiques pédagogiques (seul l’enseignement de l’histoire-géographie en collège, Lp et lycée sera abordé). On constate 3 points :
– l’institution incite les enseignants à utiliser les images (fixes ou animées). Il existe une véritable volonté « d’éducation au regard », transdisciplinaire. De façon plus précise, dans le cadre de l’histoire-géographie nos Instructions Officielles nous incitent à un tel usage Dans les actes de la Desco « Apprendre l’histoire et la géographie à l’école » (colloque de décembre 2002), sur la partie consacrée aux images et à l’enseignement de l’histoire, on trouve ces commentaires : « Encore trop souvent illustration de la parole de l’enseignant, l’image tend à devenir un témoin rapide de ce qui est dit de façon plus magistrale. Sa fonction se révèle alors plus sécurisante que pédagogique. Elle est également utilisée pour faire émerger des représentations qui ne sont pas toujours exploitées dans la suite du cours. L’observation des pratiques montre que la nature du document iconographique et son statut ne sont pas suffisamment évoqués. L’attention des élèves est insuffisamment attirée sur le support même des images, sur les matériaux de sa réalisation. ». Plus loin, on nous précise que l’apprentissage de l’image ne se fait pas en une année mais 5 priorités semblent se dégager :
– l’élève doit avoir saisi que toute image est construction d’une réalité et non-expression d’un réel (y compris la photographie qui est toujours construite) ; toute image produite (dessin, photo, peinture, caricature, vidéo) est rarement destinée à l’usage de son créateur mais sert à être montrée (y compris à des proches).
– Celui qui utilise l’image n’épuise jamais le sens donné par l’auteur et peut même le détourner.
– Toute image est donc interprétation et ré(interprétation) ; certaines images sont le fruit d’une commande. Pour l’expliquer, il faut alors prendre en compte cette commande (par qui , pour qui ou pourquoi ).
– Il faut aussi analyser le détournement inévitable opéré par celui qui obéit à cette commande. L’image informe aussi sur celui qui la produit.
– Toute image est soumise à une variation d’interprétation sémantique ; toute image peut être manipulée.

Le texte émane d’un professeur d’université, Christian Delporte et d’une IA-IPR, Marie-Claire Gachet.
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– les enseignants disposent assez largement des moyens de diffusion : téléviseur, magnétoscope, lecteur de DVD, vidéoprojecteurs…
– dans leur pratique, l’usage des films et vidéogrammes a progressé très nettement, à la fois en quantité mais aussi en qualité pédagogique (il ne s’agit en aucun cas d’une séance récréative mais bel et bien d’un travail pédagogique).

On peut donc dire qu’utiliser un film ou un documentaire en classe, partiellement ou en intégralité offre de nombreux avantages pédagogiques que les nombreuses pistes tracées sur le site Cinéhig (et bien d’autres sites Web) ont mises en valeur :
– faire travailler les élèves sur les médias qu’ils pratiquent le plus (télévision et cinéma), afin d’éduquer leur regard et varier les approches pédagogiques
– prélever des informations, mais aussi faire réfléchir les élèves au regard des réalisateurs sur une période de l’histoire, sur un espace géographique ou sur un problème civique. Le travail sur le fond ne peut se dissocier de l’analyse de la forme. Il s’agit autant de comprendre ce qui est montré que de comprendre comment c’est montré.
– enrichir la culture cinématographique des élèves… et, pourquoi pas, susciter des vocations cinéphiliques !

Dès lors, devenu largement utilisateur, l’enseignant se trouve confronté à la question suivante : quelles images utiliser ?

2- Des ressources libres de droits existent mais…

Il existe des ressources libres de droit dont l’usage et (parfois) la duplication, sont autorisés L’ADAV par exemple ; voir notre article . On peut constater que si de nombreuses ressources sont passionnantes, intéressantes ou simplement utiles, force est de constater que :
– elles sont très coûteuses.
– elles sont souvent anciennes.
– elles sont avant tout des ressources au caractère didactique très marqué.
– elles sont difficiles à trouver (il faut se déplacer dans les CDDP/CRDP ou commander au seul organisme habilité à les commercialiser)

D’autre part, ces ressources libres de droit laissent en friche 2 terrains :
– la production filmique fictionnelle. En effet, malgré l’augmentation du nombre de références de films libérés de droits, cette production fictionnelle disponible ne permet pas une large liberté pédagogique !
– une grande partie des ressources télévisuelles.

II- …QU’IL SEMBLE NECESSAIRE DE FAIRE EVOLUER…

La situation est à la fois ambiguë, absurde et présente des aspects intolérables.

1- Une situation ambiguë

L’ambiguïté vient d’une certaine contradiction entre les incitations pédagogiques que l’enseignant reçoit et le cadre dans lequel il doit évoluer. Incité à « éduquer le regard », incité à faire de l’histoire vivante, incité à ancrer histoire et géographie dans la réalité proche de ses élèves, l’enseignant se voit dénigrer le droit de s’appuyer sur les 2 médias les plus prégnants dans l’environnement culturel des jeunes : le cinéma et la télévision Notons que les candidats au capes et à l’agrégation ont parfois à présenter et travailler sur une œuvre cinématographique (cf. M le maudit pour les concours d’allemand…)..

2- Une situation absurde

L’absurdité de la situation est surtout dans le fait de « criminaliser » un acte éducatif On peut aussi évoquer le cas, somme toute assez drôle, rapporté par un collègue formateur et animateur lors d’une conférence « droit et cinéma » : aucun des avocats et autres spécialistes de droit présent n’a pu préciser dans quel cadre juridique on pouvait projeter des extraits de films durant ladite conférence ! Le plus drôle fut donc qu’on le fit, qui plus est en présence d’un des réalisateurs (Giovanni) cité à de multiples fois !! Le flou est donc grand même chez les spécialistes !. En effet, lorsqu’un enseignant d’histoire passe un extrait de « la chambre des officiers » (un DVD qui a été acheté, souvent à ses frais) pour illustrer le traumatisme d’une société française confrontée à ses « gueules cassées » il encourt 15 000 euros d’amende, 1 an de prison, la radiation Voir : http://savoirscdi.cndp.fr/rencontrelyon/gauvin/gauvinannexe1.htm … Or cet enseignant n’a pas lésé les ayant droits (à moins de considérer qu’il lui était nécessaire d’acquérir ce dvd en 35 exemplaires ?) ; il n’a engrangé nul profit ; enfin il n’a pas donné un exemple pernicieux à ses jeunes élèves (à moins, encore une fois, de considérer que cette séance s’apparentait à une projection de type cinéclub, ce qui serait par contre légitimement condamnable). Par contre, cet enseignant a passé un temps conséquent à préparer ce travail, en tout cas souvent plus long qu’une « simple » préparation de cours « classique »… comme c’est le cas de manière générale pour toute pratique pédagogique un peu innovante.

La situation est d’autant plus absurde à l’heure où le téléchargement est monnaie courante et que l’accès aux productions cinématographiques récentes ne se fait plus exclusivement dans les salles de cinéma, aux dépens, hélas !, de l’industrie cinématographique. On mesure ainsi l’hypocrisie que ce serait de condamner un professeur responsable, ayant acheté ou ayant en sa possession suite à une diffusion télévisée un film, un documentaire, alors que, sans scrupules, certains s’adonnent aux joies du téléchargement en toute impunité !

3- Des aspects intolérables

Enfin il convient de souligner quelques aspects plus intolérables de la situation. L’école doit-elle être la vache à lait du secteur privé ? Déjà cannibalisée par des éditeurs de logiciels propriétaires (observons les difficultés qu’ont les logiciels libres à percer dans l’éducation nationale face aux géants du secteur comme Microsoft par exemple), l’école doit-elle l’être par les grandes « boîtes » de production ?

III- …VERS UNE PLUS GRANDE LIBERTE

Des évolutions sont nécessaires et attendues. Il est difficile de savoir quelles pistes sont tracées. Mais le vote récent de la loi sur les droits d’auteurs ne va pas dans le bon sens ! Par ailleurs vous pouvez consulter l’état des législations chez nos voisins européens c’est assez édifiant.

1- Ce que revendique Cinéhig

La solution passe par la loi. La DADVSI n’est pas satisfaisante : elle doit évoluer de façon à intégrer complètement la notion « d’exception éducative » prévue par la directive européenne 2001/29/CE. L’utilisation à des fins éducatives, dans le cadre de l’enseignement ou de la recherche scientifique, des ressources audiovisuelles doit être libre. Cette liberté s’accompagne d’obligations : pas d’usage de productions illicitement acquises ; pas d’usage commercial ; indiquer, à moins que cela ne s’avère impossible, la source, y compris le nom de l’auteur. Cette exception éducative doit aussi s’accompagner d’une modification du droit de citation, étendu dorénavant à toute activité pédagogique, avec une limitation non plus de brièveté mais de proportionnalité par rapport à l’objectif poursuivi.

Voir : http://www.droitauteur.levillage.org/spip/article.php3?id_article=49

Dans le même genre il pourrait y avoir une approche plus juridique : élargir juridiquement la notion de cercle familial à la salle de classe : en effet, rappelons que la copie personnelle d’un original ou d’une émission et sa projection dans le cadre restreint du « cercle de famille » (« s’entendant de façon restrictive et concernant les personnes parentes ou amies très proches qui sont unies de façon habituelle par des liens familiaux ou d’intimité. La projection devant se dérouler sous le toit familial » Jurisprudence communément admise.) : étendons alors cette notion à la classe et à l’acte pédagogique !

En tout cas les pistes sont claires et passent par la loi…

2- Cinéhig s’engage

Bien évidemment Cinéhig n’est pas seuls ! Des associations, des personnalités, des groupes professionnels militent pour une plus grande liberté d’usage pédagogique des supports audiovisuels. Voici quelques liens choisis :

– Yves Hulot, professeur d’Education Musicale, se débat depuis des mois pour informer le plus grand nombre de collègues, pour saisir les députés des enjeux de cette question (voir sa lettre aux députés) et pour solliciter les médias afin de peser sur les débats.

– l’initiative EUCD-info et sa pétition

– l’interassociation des Bibliothécaires, archivistes, documentalistes et sa pétition

– un collectif d’enseignants (il existe aussi une pétition).

D’autres initiatives sur ce site

Cinéhig souhaite participer au débat et apporter sa pierre. Nous ne sommes pas un groupe de pression et n’avons pas d’autre légitimité que celle que confère une pratique avancée, raisonnée et mutualisante de l’usage pédagogique des ressources audiovisuelles en classe. Nous nous fixons 4 objectifs :
– informer et sensibiliser les enseignants d’histoire-géographie sur les évolutions juridiques en cours
– inciter les enseignants d’histoire-géographie à apporter leur soutien aux initiatives visant à faire évoluer ce cadre juridique
– informer et sensibiliser à ce sujet nos associations professionnelles et notre hiérarchie
– inciter nos collègues à continuer à utiliser pédagogiquement les ressources audiovisuelles afin de démontrer, à partir du terrain, que l’exception pédagogique est une totale nécessité

3- Le fil de l’action

– 26 février : mise en ligne de la 1ère version de cet article
– 28 février : l’article est relayé dans un Expresso du café pédagogique
– 26 mars : mise en ligne de la 2nde version de cet article
– 1er avril : lancement d’une campagne d’information en direction des enseignants d’histoire géographie en utilisant une affichette PDF ; la liste H-Français et l’assciation « Les Clionautes »
– 1er avril : lancement d’une campagne d’information auprès des IPR et de l’Inspection générale

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Pour nous contacter
– le site Web : http://cinehig.clionautes.org
– le webmaître et rédacteur en chef : Jean-Pierre Meyniac, enseignant d’histoire-géographie au lycée Marie Curie (avenue du 8 mai 1945, 38430 Echirolles), admin-cinehig@clionautes.org
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Historique :
– Version n°1, rédigée le 6 février 2006.
– Version n°2, rédigée le 26 mars 2006.